Un roman plus ou moins utopique qui prend la forme d'une satire de la société victorienne. Parlons tout de suite des problèmes. Comme souvent dans ce genre de littérature, c'est hautement descriptif. Butler passe la plupart de son temps à décrire en détail les habitudes et croyances des Erewhonien. Pour ce qui est d'une narration classique, c'est le strict minimum. Le narrateur arrive en Nouvelle-Zélande, part à l'aventure derrière des montagnes inconnues, tombe sur Erewhon, se dépatouille en tant qu'invité/prisonnier, se trouve une copine et s'enfuit. Ensuite, le roman accuse un peu son age. C'est aride, très aride, d'autant plus qu'on est loin de l’Angleterre victorienne : j'ai souvent eu l'impression de ne pas pouvoir tout comprendre faute d’être suffisamment familier avec la société contemporaine de Butler. Du coup, j'avoue avoir sauté beaucoup de pages. C'est le genre de livre que j'aurais sans doute dû lire en français : j'aurais pu aller beaucoup plus vite et peut-être m'ennuyer moins. Ou peut-être pas.
Butler ne manque cependant pas d'idées, ni d'humour. Les Erewhoniens traitent le crime comme la maladie, et la maladie comme le crime. Un homme atteint de grippe sera jugé et condamné, alors qu'un homme volant de fortes sommes se verra entouré de la compassion de ses proches et pris en charge par un praticien chargé de guérir les mauvaises tendances de son esprit. Une inversion totale par rapport à la société de Butler, inversion qui met en avant les failles des deux systèmes. Le narrateur est outré quand il entent le juge dire au grippé condamné quelque chose comme : « Tu n'avais qu'à naitre de parents plus sains ! », mais il oublie que les criminels victoriens sont, eux aussi, souvent punis pour être mal nés. Le narrateur juge les Erewhoniens trop modelés par leur société défaillante de voir ce qu'il considère comme la vérité, oubliant que sa vérité n'est pas moins arbitraire. Il constate qu'à Erewhon comme chez lui l'hypocrisie est partout présente, des systèmes de croyances différents voire opposés pouvant cohabiter sans souci. Hypocrisie particulièrement présente dans le monde religieux :
Their priests try to make us believe that they know more about the unseen than those whose eyes are still blinded by the seen, can ever know - forgetting that while to deny the existence of a unseen kingdom is bad, to pretend that we know more about it than its bare existence is no better.Les prêtres d'Erewhon ne manquent pas non plus de préceptes d'une rare profondeur spirituelle :
Thus they hold it strictly forbidden for a man to go without common air in his lungs for more than a very few minutes; and if by any chance he gets into the water, the air-god is very angry, and will not suffer it; no matter whether the man got into the water by accident or on purpose, whether through the attempt to save a child or through presumptuous contempt of the air-god, the air-god will kill him, unless he keeps his head high enough out of the water, and thus gives the air-god his due.Si les prêtres d'Erewhon n'ont rien à envier aux prêtres anglais, les professeurs d'université non plus :
“It is not our business,” he said, “to help students to think for themselves. Surely this is the very last thing which one who wishes them well should encourage them to do. Our duty is to ensure that they shall think as we do, or at any rate, as we hold it expedient to say we do.”Les traits d'esprit de Butler parviennent donc à donner envie de se frayer une chemin dans l'aridité de son récit. Et il faut mentionner un élément particulièrement précurseur : le rapport à la technique. Les Erewhoniens ont banni toutes les machines de leur société par crainte que celles-ci ne se développent de façon trop envahissante. Ils craignent que les machines ne supplantent rapidement la race humaine. Butler parvient à cette conclusion en appliquant le darwinisme aux machines. Celles-ci connaissent une évolution d'une vitesse tellement fulgurante qu'elles laisseront loin derrière elles les créatures de chair. En prenant l'exemple d'un homme conduisant une voiture, Butler envisage l'avenir avec une clairvoyance frappante. Il conclut que, logiquement, la machine qu'est la voiture se verra pourvue des sens de l’homme : la vue, pour savoir où aller, et la voix, pour communiquer avec les autres véhicules. Ce qu'envisage Butler, c'est tout simplement les véhicules autonomes, qui perçoivent les routes et le trafic par leurs propres « sens ». Pas mal comme anticipation, pas mal.
260 pages, 1872, penguin books
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