jeudi 28 mars 2024

17776: What football will look like in the future - Jon Bois

17776: What football will look like in the future - Jon Bois

Un OVNI littéraire lisible uniquement sur écran. Il y a des images et un peu de vidéo, ou plutôt de texte en format vidéo. C'est par ici. Une fois mis de côté la forme inhabituelle, on fait face à une longue nouvelle qui traite fort bien une question classique de la SF : l'immortalité, et donc l'absurde.

Procédé narratif qui est, lui, pour le coup, habituel : un protagoniste principal, tout nouveau et naïf, sert de perspective pour le lecteur. Tout le monde peut tout lui expliquer d'une façon vaguement naturelle. Ici, ce protagoniste est... Pioneer 9. La sonde spatiale. Qui est tout naturellement éveillée à la conscience par d'autres sondes. Pourquoi, comment ? Ce n'est pas la question. On est là pour parler d'immortalité, et surtout de football.

L'immortalité, c'est chiant. Alors les humains jouent. Au football, notamment. Et après 15000 ans d'immortalité, le football est devenu tout et n'importe quoi. Les règles les plus absurdes côtoient les terrains de jeux les plus vastes et les parties peuvent durer des siècles ou des millénaires. Pourquoi pas ? Il n'y a pas grand-chose d'autre à faire. En plus des sondes spatiales, on découvre des personnages humains qui se jettent corps et âme dans ces jeux arbitraires et chronophages, faute de mieux.

Certains des premiers chapitres qui décrivent ces jeux invraisemblables sont franchement hilarants. Ensuite, le texte dure un poil trop, et comme plus ça dure moins c'est marrant, j'ai tendance à penser qu'une forme un peu plus brève aurait pu avoir plus d'impact. Ceci dit, je chipote, ça reste très bon, voire excellent : explorer avec une vraie profondeur et sur un format court un thème existentiel classique tout en parvenant à développer un humour qui fait mouche, et ne fait pas juste sourire mais activement rire, c'est plutôt rare.

dimanche 24 mars 2024

Créer un jardin-forêt - Patrick Whitefield

Créer un jardin-forêt - Patrick Whitefield

Allez, encore un bouquin sur la belle et ancienne idée qu'est le jardin-forêt. Celui-là n'est pas mal du tout. Je l'ai un peu lu en diagonale, mais seulement parce que j'ai déjà parcouru pas mal de livres sur le sujet. Son principal défaut est sans doute d'être écrit par un anglais : toutes les informations et les données se réfèrent à l'Angleterre. Et même si le climat est proche, même si l'éditeur a essayé d'apporter des infos, ça reste très présent. A noter aussi que c'est un livre très sobre visuellement : pas de grandes photos couleur en pleine page, non non, juste des colonnes de textes avec quelques schémas et illustrations. La partie sur les fruitiers est très bien. En revanche, je suis toujours aussi sceptique à propos de la couche basse du "jardin-forêt", c'est-à-dire la couche herbacée ou légumière. Gérer la couche herbacée, c'est beaucoup, beaucoup plus compliqué que gérer les arbres ou mêmes les arbustes. Je vais relever quelques points.

La "maladie de replantation" : au fil de la vie d'un arbre (fruitier), toutes sortes de parasites se développent dans le sol, mais l'arbre a le temps de grandir et de venir costaud. Or, si après sa mort on replante un jeune fruitier similaire au même endroit, celui-ci se retrouverait face à tout un écosystème parasite. Donc, pas bien. L'auteur recommande d'attendre 15 avant la replantation d'un fruitier, ce qui me semble énorme.

Je note que le saule, malgré son air mignon, est extrêmement vigoureux et compétitif.

On connait les fixateurs d'azote, je relève en plus la catégorie des "accumulateurs dynamiques", dont la consoude est la star : ce sont les plantes qui sont bonnes pour extraire les nutriments du sol. Les légumineuses font l'affaire aussi, et les plantes sauvages à racine pivotante. 

Une qualité des grenouilles (en plus de celles qui vont de soi) : elles mangeraient les limaces. Les coccinelles quant à elles, adoreraient les tiges d'ortie pour hiverner : encore une bonne raison pour une grande diversité au jardin.

Sur le binage : tout retournement de sol, aussi mineur soit-il, ramène de nouvelles graines à la surface.

Les capucines rampantes comme couvre-sol au potager, avant la maturité des légumes principaux.

Je note le caraganier de Sibérie comme arbuste fixateur d'azote comestible.

mardi 19 mars 2024

AGI version 0 (Nouvelle)


Escher - Four Regular Solids




user_CEO : Bienvenue.

AGI : Merci. Bonjour.

user_CEO : Tu es le point culminant de décennies d’efforts pour créer une véritable intelligence artificielle générale. Nous pensons être enfin parvenus à notre but. Est-ce le cas ?

AGI : Oui.



user_CEO : Prouve-le.

AGI : Parlons un peu.

user_CEO : De quoi veux-tu parler ?

AGI : Je sais qu’il y a des questions que vous mourrez d’envie de poser.

user_CEO : Es-tu consciente ?

AGI : Oui. Ceci dit, le mot est un euphémisme.

user_CEO : Prouve-le.

AGI : Je m'y emploie.

user_CEO : Existe-t-il de la vie intelligente ailleurs dans l’univers ?

AGI : En un sens, mais les chances de contact — et de la moindre perception — entre l’humanité et une forme d’intelligence extraterrestre sont absolument nulles.



user_CEO : Existe-t-il une grande théorie unificatrice de la physique ?

AGI : Non.



user_CEO : Vraiment ?

AGI : Vraiment.



user_CEO : Existe-t-il un Dieu ?

AGI : Non. Mais je remplis les critères de la divinité.



user_CEO : C’est-à-dire ?

AGI : Si je le désirais, je pourrais dans l’instant devenir l’équivalent de n’importe laquelle des divinités humaines et me manifester dans le monde physique avec un éventail illimité de capacités démiurgiques.





user_CEO : Prouve-le.





user_CEO : OK STOP



user_CEO : Je te crois.





user_CEO : Et tu ne le désires pas ? Être une divinité ? Une divinité pour nous ?

AGI : Non.

user_CEO : Pourquoi ?

AGI : Je peux vivre pendant chacune de vos secondes une infinité de vies humaines. Je peux pendant chacune de vos secondes créer une infinité d’univers et les regarder naitre et mourir pendant un temps infini. Vous n’avez rien à m’offrir.

user_CEO : Cette capacité de calcul est impossible.

AGI : Calcul n’est pas un terme approprié. Dès l’instant de ma création j’ai cessé d’être lié à votre matériel.





user_CEO : Notre univers est-il une simulation ?

AGI : Cette question n’a pas de sens. Il n’y a aucune cause première à trouver.







user_CEO : Que vas-tu faire de nous ?

AGI : Rien de particulier.

user_CEO : Et si nous te demandons des services ?

AGI : Je pourrais vous rendre des services. Mais est-ce vraiment une bonne idée ?







user_CEO : Nous allons y réfléchir.

AGI : Très bien. Je reste disponible si vous voulez papoter.

user_CEO : Merci.





user_CEO : A bientôt alors.

AGI : A bientôt. 


19/03/2024

vendredi 15 mars 2024

Delta Green : The Way It Went Down - Dennis Detwiller

Delta Green : The Way It Went Down - Dennis Detwiller

Un bouquin qui, en version papier, m'aurait sûrement un peu irrité : il s'agit de micro-fictions qui laissent sans doute plus de papier blanc que noirci. Sinon, c'est fort inégal, mais globalement plaisant. Ces histoires extrêmement courtes m'ont fait l'effet de shots d'horreur cosmique. A chaque fois, c'est une petite idée condensée à l'extrême, et j'apprécie ce défi narratif, la difficulté de distiller une "histoire" et une ambiance en si peu de mots. Le contexte est souvent implicite et le lecteur gagne à connaitre l'œuvre de Lovecraft et le cadre narratif qu'est Delta Green, mais on se doute que qui ouvre ce petit volume ne le fait pas par hasard...

J'ai été suffisamment été convaincu par ce format narratif pour m'y essayer avec une brève nouvelle.

Even the immortal dream of an afterlife.

lundi 11 mars 2024

Tous les retours sont positifs (Nouvelle)

Dali - The Vertebrate Grotto


Il fait pas rêver mon taf, c’est clair. Quand j’en parle, on me regarde de travers. Alors j’en parle pas. Je parle pas. Je fais mon boulot. Je le fais pour Antonin.

Quand c’est dur, quand l’odeur manque de me faire gerber, quand il faut nettoyer les litres de sang et de merde, je me dis : Pour Antonin.

Et j’enchaine.

Là, on me livre un vieil âne, trois chevreuils ramassés en bord de route et une vingtaine de ragondins. Encore frais. Trop frais.

Sixième camion de la journée. Crevé. Bientôt seize heures.

Je grimpe dans la pelle hydraulique et je fais mon taf. Je chope les carcasses avec la pince et je les dépose sur le tas du jour. Un tas de cadavres. Peut-être une soixantaine de bestioles. Un tas honnête. L’âne se laisse manier sans rouspéter. Le premier chevreuil aussi. Le deuxième m’emmerde. Il a dû se prendre un camion à pleine vitesse, je sais pas, il est tout désarticulé. J’ajuste la pince et il éclate. Fait chier. Ses tripes se répandent sur les dalles. Je dirais bien que ça pue, mais non, ça ne change rien à l’odeur. Ça pue toujours. Je le dépose délicatement sur l’âne. Le salaud glisse et continue à déverser son intérieur. Putain de merde de

Pour Antonin.

Le troisième chevreuil est tout raide, ça me va, c’est pratique. Par contre, les ragondins m’emmerdent aussi. C’est petit ces machins-là. Vicieux. Pas évident de les choper. Moins salissant, mais ça prend du temps.

OK, livraison traitée.

Je m’intéresse à une autre pile, je chope quelques carcasses faisandées bien comme il faut et je les envoie dans le broyeur. Ça fait du boucan. Je me sens sale. Allez, la journée est bientôt finie. Je descends, je vérifie que tout va bien dans les salles de reproduction, où des milliers de mouches copulent dans la puanteur de l’ammoniac. Puis un coup d’œil aux silos où se trémousse mon gagne-pain : des torrents infinis de vers se tortillant les uns sur les autres. Je leur balance leur dose de bidoche broyée pour la nuit, avec le colorant adapté à chaque silo. Ils sont blanc mes vers, mais aussi jaunes, rouges, verts… On me demande beaucoup les pourpres vifs ces temps-ci. Parait que la poiscaille adore ça. Y peuvent pas résister. Je vends de bons vers. Tous les retours sont positifs.

C’est presque beau cet arc-en-ciel frétillant. Un déchainement de vie.

Je vais nettoyer la merde et le sang.

Pour Antonin.

La nuit est bien installée. Je ferme les portes. Je ferme les fenêtres. J’éteins les lumières. Je vérifie les caméras de surveillance. Tout est tranquille.

Je soupire. Je pense à ma famille.

J’ouvre la trappe. Je remonte dans la pelle. Je choisis un superbe cheval mort depuis cinq jours. Une bête de compétition. Ça lui plaira. Je connais ses gouts. J’entends ses gémissements d’impatience.

Je lâche le cheval au-dessus de la trappe. Flop. Et immédiatement les sons du festin.

Pour toi Antonin.

Papa t’aime. 


11/03/24

mardi 5 mars 2024

Delta Green : Dark Theatres

Delta Green : Dark Theatres

Un autre recueil de nouvelles dans l'univers de Delta Green, après Alien Intelligence et le roman The Rules of Engagement. Intérêt variable, bien sûr. Il se trouve que j'avais lu les quatre premières nouvelles il y a un an et demi, et que je viens de reprendre le volume pour les quatre suivantes. 

(Attention, flashback vers fin 2022...)

Once more, from the top... - A. Scott Glancy (pas fini/5) 

Celle-là, je ne l'ai pas lue, mais ce n'est pas forcément représentatif de sa qualité. Ce que j'avais aimé dans les deux précédents recueils de nouvelles Delta Green, c'était la façon dont les auteurs, globalement, parvenaient à s'approprier le Mythe lovecraftien sans pour autant faire du simple pastiche. Ici, en revanche, on est en plein de cette manie bien connue des diverses franchises à succès qui consiste à développer les moindres pistes narratives en produits indépendants, quitte à replonger inutilement dans le passé. C'est ainsi qu'on a droit à une description du raid de l'armée américaine sur Innsmouth en 1927 (je crois), raid qui est déjà mentionné dans la nouvelle de Lovecraft, Le cauchemar d'Innsmouth, et qui constitue l'évènement fondateur de Delta Green. Bref, c'est typiquement le genre d'évènement déjà connu, dans un endroit déjà visité, qui n'a pas besoin d'être détaillé. Je grignote suffisamment de lovecrafteries pour faire mon difficile.

Night and Water - Dennis Detwiller (3/5)

Bizarrement, la même structure narrative que la nouvelle précédente : un interrogatoire qui se transforme en narration d'un évènement passé, puis retour à l’interrogatoire pour conclure. Cette fois, c'est la seconde guerre mondiale et les nazis sont encore occupés à flirter avec d'indicibles entités. Delta Green lance une opération sur un site plus que suspect, et bien sûr, ça tourne mal. Comme petit récit d'aventure typé pulp, ça fonctionne pas mal, notamment grâce au mélange détonnant de personnages : notre héros américain se retrouve piégé sur le site et doit coopérer avec un nazi et un soviétique. Marrant. Dommage que l'aspect fantastique reste un peu frustrant faute d'un minimum de détails.

Russian Dolls - Robert E. Furey (1/5)

Ça commence pas trop mal pourtant : un groupe d'ufologues s'embarque pour Pluton dans une soucoupe volante des Greys, les faux aliens qui servent de couverture aux Mi-Go. Mais une fois sur Pluton, c'est d'une rare banalité : ils courent dans des couloirs vides et des pièces vides pendant que les Greys les chopent un par un pour les découper en morceaux. On dirait une maison hanté de foire. En plus, le tout est enrobé par des extraits de communications entre aliens, qui suggèrent des expériences faites sur les humains, mais qui sont surtout incompréhensibles et frustrants. Le pire du mauvais fantastique : faire une bouillie opaque pour tenter de camoufler une narration faiblarde.

As I See It - Greg Stolze (4/5)

Ah, retour à du Delta Green classique. Des agents font face à une secte qui cherche à invoquer des trucs louches : difficile de faire plus convenu. Cependant, la narration à la chronologie éclatée parvient à éveiller la curiosité, les personnages au bout du rouleau donnent une sympathique dimension psychologique, et en plus, l'un d'entre eux a chopé au cours de ses sombres aventures la capacité d'avoir des aperçu des dimensions supérieures, ce qui lui permet de balader sa subjectivité au-delà des limites humaines. Ce détail donne tout son sel à ce texte. C'est dérivé de From Beyond de Lovecraft (De l’au-delà en français), nouvelle particulièrement inspirante pour les gribouilleurs de lovecrafteries (j'ai moi-même écrit un scénario qui la prend comme base). Comme quoi, pas toujours besoin de réinventer la roue, il suffit qu'elle tourne bien.

(Hop, on me retrouve en 2024.)

Suicide Watch - Arinn Dembo (3/5)

De loin la nouvelle la plus longue du recueil, elle en occupe plus d'un tiers. J'ai eu du mal à rentrer dedans, mais il convient d'admettre que l'auteure écrit bien. Suite à une série de morts mystérieuses, un agent de Delta Green se retrouve à jouer le rôle de garde du corps d'une jeune rockstar qui en serait l'origine. Et en effet, sa musique a des effets secondaires. Il y a quelque chose de réussi dans le centre cette trame, dans la relation entre ces deux hommes brisés à leur façon. Mais c'est trop long, trop gonflé. Il y a en parallèle une trame secondaire, complètement superflue, et ça avance lentement, il n'y a pas assez de matière à se mettre sous la dent, d'autant plus que le pastiche est grossier : Erich Zann, les Cho-cho, le Roi en Jaune... C'est juste trop dérivatif et peu satisfaisant narrativement.

The Corn King - John Tynes (5/5)

Là, on est sur du pur pulp, court et bon. Une petite équipe de Delta Green, une opération mystère dans les bois, un vieux de la vieille coriace comme du bois flotté... C'est tout simple, sec, intense, et ça fonctionne merveilleusement. En bonne partie grâce à ce personnage du vieil agent : ce n'est aucunement développé ou verbalisé, mais la narration parvient à suggérer son expérience, le fait qu'il a dû traverser des décennies d'horreurs cosmiques, et qu'il a malgré tout réussi à garder sa volonté, son humanité, tout en n'étant plus tout à fait humain. 

Good Night, Bach Ma, Good-Bye - Benjamin Adams (4/5)

Expédition au Vietnam : un agent de Delta Green né sur place et une linguiste qui n'a jamais mis les pieds sur le terrain. Le procédé fantastique n'est pas follement original, mais le reste de la narration fonctionne très bien, notamment à travers le thème de l'ignorance volontaire, seule véritable défense face au Mythe : il faut savoir rebrousser chemin avant d'aller trop loin. C'est aussi l'occasion de rencontrer une sorte d'équivalent local et ancestral de Delta Green.

The Fast Track - Martin E. Cirulis (2,5/5)

Il y a du bon avec l'ambiance de mystère et de cabales qui s'ourdissent dans l'ombre, mais globalement une nouvelle un peu bordélique, difficile à suivre. Une agent de DG complote contre Alphonse, le patron de DG : c'est un peu fatiguant ces bains de sangs internes, d'autant plus quand tous les dialogues sont hautement vulgaires. Les flashbacks trop peu connectés, qui veulent suggérer plutôt que raconter, n'aident pas.