Contrairement à mon texte sur ma semaine dans une jeune communauté à visée autonome, ce petit compte-rendu est plus sobre, moins personnel, moins intime. Sans doute parce que je n'était pas seul, et que donc je n'avais pas autant le loisir de prendre du recul pour écrire, mais aussi parce que le contexte était plus classique, s'il l'on peut dire, moins radical. C'est aussi une ambiance idéologique assez différente.
CONTEXTE
L’envie de ruralité s’entête. Cette décision colossale me hante. Pour la semaine dont il s’agit ici, j’avais l’intention de plutôt passer quelque temps dans une exploitation maraîchère pro, pour voir comment se fait la « vraie » production, mais finalement, par la force des choses, je me suis retrouvé sans déplaisir dans une petite ferme non pro, en permaculture. Une semaine à travailler en échange du logis et du couvert donc, et cette fois à deux, avec Audrey.
LA PROPRIÉTÉ
Paul, un peu plus que la trentaine, est l’âme de l’endroit. Les cheveux légèrement bouclés qui arrivent en bas du cou, l’air perpétuellement enjoué, il est débordant, une crue permanente. Quand il parle, il regarde son interlocuteur droit dans les yeux avec une expression plus qu’intense, et il monologue sur toutes sortes de sujets sans guère laisser aux autres la chance d’intervenir. Il fait un peu gourou, avec son visage illuminé, sa passion à la fois communicative et écrasante, sa pratique régulière du taï-chi et la position de « maître » qui va avec, sa bienveillance et son ouverture réelles mais à sens unique, sans compter son goût pour les expériences mystiques. Là où sa passion m’a le plus touché, c’est en ce qui concerne le jardin, les plantes, la permaculture. Ce projet est son projet, il s’y consacre à plein temps, et ses deux parents ne seraient pas là sans lui. Il vit dans une vieille maison qu’il travaille à retaper depuis 3 ans déjà, avec l’aide de son père. À notre arrivée, il sort d’un jeûne de 5 jours « pour se retrouver », ou quelque chose comme ça.
Ses parents, Jacques et Madeleine, ont 70 ans. Ils vivent dans une maison toute neuve, écolo, avec retraitement local de l’eau à coup de plantes et de filtrage. Initialement, ils voulaient une maison en paille, mais les conditions n’étaient pas optimales. Tous les deux sont en bonne forme physique. On sent que Jacques a été costaud, et d’ailleurs, il l’est encore. L’âge se fait sentir, sur l’audition, sur la mémoire, mais il est toujours extrêmement bricoleur, extrêmement actif, en permanence à faire des trucs quelque part sur le terrain. Il a un grand atelier dans la grange. Paul n’aurait pas tenté l’aventure sans les talents pratiques de son père. Madeleine semble à peine marquée par l’âge et, contrairement à son compagnon, elle pratique le taï-chi et ne consomme ni viande ni alcool. Elle semble clairement plus sociable que Jacques, qui, d’après les monologues de Paul, est un individualiste. Tous les deux, avec leur fils, parviennent à maintenir une intense vie sociale à la campagne. Ils sont membres de plusieurs collectifs et, quand ils ne sont pas occupés socialement, ils gèrent eux aussi le terrain et les plantes. Ils donnent l’impression de gens « simples », dans le sens où la pièce principale de leur maison (certes à peine terminée) est extrêmement épurée, voire vide. Pas d’écran, pas de bibliothèque, très peu de livres… Juste une table pour manger et une table basse accompagnée d’assises. Ce sont des gens qui vivent dans le réel. Ils lisent L’Humanité.
Le terrain fait 8 hectares, dont 5 de bois. La partie activement cultivée est divisée en deux sections : une parcelle de potager relativement classique, avec des plate-bandes en ligne et deux serres en bâche, et une autre plus typée permaculture, c’est-à-dire non géométrique, avec des buttes paillées plus anarchiques remplies de toutes sortes de plantes semées et plantées en guildes (groupe de plantes mutuellement bénéfiques). C’est là qu’Audrey et moi passeront l’essentiel de notre temps. Il y a aussi un coin verger, avec pas mal de pommiers, et quelques autres recoins avec des plantes intéressantes, entre lesquels 6 moutons servent de tondeuse fertile. Ce terrain, c’est déjà beaucoup pour un jeune homme et deux retraités. D’ici quelques années, les parents de Paul glisseront de la position d’aide à celle de poids. Il le sait, et il s’y prépare en essayant de vendre deux parcelles constructibles à des gens qui partageraient sa vision.
Il m’est bien sûr impossible de juger véritablement cette petite ferme. Une semaine sur une année, ce n’est rien. Je ne sais pas grand-chose de leur production, et s’il peut sembler que le temps passé à désherber ne peut guère être rentable, il faut garder en tête que c’est la saison exacte des herbes folles. Je ne sais pas si le travail effectué vaut le coup en termes de récoltes, et je ne sais pas non plus où est la limite pour déterminer ce qui vaut le coup ou non.
17 avril
Arrivée en fin de matinée. Paul nous accueille. En plus de nous, une jeune femme en sarouel, dont les deux chaussettes affichent des couleurs vives délibérément différentes, est sur place pour visiter la propriété, potentiellement intéressée par une des parcelles « pour y planter sa yourte ». Repas, tour du terrain et découverte de la caravane, où nous logerons. Elle servait à Jacques et Madeleine pendant la construction de leur maison. Paul nous présente le travail de l’après-midi : désherbage des framboisiers. Le premier n’a pas de paillage : ça déborde de vie, de plantes, d’insectes, de racines… On en arrache une quantité dingue. Ça me rappelle quand je désherbais des myrtilliers en Suisse. Les autres framboisiers, paillés, sont beaucoup moins envahis et les herbes s’arrachent aisément. Sous le paillage, le mycélium : un réseau blanc clairement visible, abondant seulement là où le sol est protégé et non retourné. Autour de nous, les fleurs jaunes de la moutarde, plantée pour occuper le sol l’hiver (et pour être mangée, accessoirement).
Ensuite, une plate-bande d’origan à désherber, entre de la tanaisie et l’achillée millefeuille. Ils plantent de l’origan au pied des arbrisseaux pour attirer les insectes qui dévorent les bestioles qui pondent des vers dans les fruits. Complexité. On trouve toutes sortes de plantes comestibles en désherbant : herbe à Robert, mâche en fleur, poireau sauvage, gaillet, rumex. Deux amis sont en visite, des permaculteurs à tendance crudivore au jardin apparemment remarquable. Repas du soir, Paul parle beaucoup, ses parents aussi, et on est complètement épuisés socialement. Ils se déversent en nous, torrentiels, à sens unique. On s’y fera, ça s’arrangera, nos tendances sociales s’apprivoiseront un peu, mais ça reste éprouvant. Paul évoque notamment la Ğ1 (ou June), cryptomonnaie qui se veut éthique. Je suis sceptique, mais ce n’est pas comme si je comprenais. Étonnant de retrouver de genre de chose ici.
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L'origan bien désherbé avec BRF ajouté.
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18 avril
À 8h, on va à la séance de taï-chi. Paul préside, fait le prof, et Madeleine est la troisième élève. Nous sommes là sans coercition : du taï-chi, pourquoi pas ? Voyons donc. Ce n’est pas désagréable, et même un peu éprouvant physiquement. Je veux bien croire que cette pratique a ses avantages, même si ici elle est avant tout sociale, une activité comme une autre à faire ensemble. Ce qui me gêne, c’est son caractère à la fois arbitraire et mystique. Pour la salutation au soleil, on sort se mettre devant le soleil. Inoffensif, certes, mais mon instinct est en alerte. Puis il faut changer les moutons d’emplacement, refaire leur clôture. Incroyablement peureux, ils détalent dans un coin, mais on parvient à les ramener aisément, en espérant qu’ils n’aient pas commencé à grignoter les arbrisseaux. Ensuite, on se pose sous le tilleul pour ramasser les jeunes feuilles qui, une fois séchées au soleil, serviront à faire de la farine. (Je ne parviens pas à trouver des informations sur sa densité calorique.) Les feuilles sont aussi très bonnes crues. Paul nous montre la pépinière, petite serre accolée à sa maison où grandissent les jeunes pousses. À l’intérieur, un incubateur électrique tient chaud aux plus sensibles et favorise une germination plus rapide. Il nous montre aussi un prunellier aux fruits immangeables sur lequel il a tenté de greffer des branches de bon prunelliers, et d’autres jeunes fruitiers destinés au verger.
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Jeunes pousses de tilleul.
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Repas. On apprend que Paul fait partie d’un « cercle d’hommes » où ils font des « cérémonies du cacao ». Il y a un écrivain, un prof de la Sorbonne… Ils lui ont conseillé de faire du taï-chi un métier. De son côté, Madeleine mentionne à quel point le covid a tué la vie sociale à la campagne. Eux et quelques-un de leurs cercles s’en foutent, mais, par exemple, leurs voisins refusent toute interaction depuis un an. Je me retrouve embarqué avec Jacques dans ce que je suppose être du « travail d’homme ». Il s’agit de rétablir l’eau courante pour l’évier devant la caravane. On installe aussi une gazinière et je passe un bon moment à la nettoyer. Je rejoins Audrey qui a passé une bonne partie de l’aprèm à arranger la plate-bande d’origan. Des amis de nos hôtes arrivent, deux ex-invités exactement comme nous. Ils viennent d’acheter un terrain tout près et ils prévoient de construire leur maison. Tout le monde parle beaucoup, de plein de trucs pratiques et locaux, tout un réseau social, l’importance capitale du réseau. Je vis presque comme un handicap mon incapacité à avoir un « réseau » en dehors de quelques vrais amis proches, mais je suppose que tout le monde n’a pas quelques vrais amis proches. Je me déconnecte complètement face à tant de papotage. Paul parle de ses projets d’argent : YouTube, taï-chi, formations en permaculture… Je suis critique envers ce dernier point : il ne me semble pas que le jardin, aussi respectable qu’il soit étant donné ses conditions et son âge, confère l’autorité nécessaire à des formations. Il parle de son business plan, de comment gagner un public… L’ami qui a été à notre place évoque à quel point il a été marqué par le taï-chi. Il fait encore le salut au soleil.
Fin de travail sur l’origan. On tapisse les parties abîmées de la plate-bande avec du terreau et du BRF (bois raméal fragmenté.) Un peu partout, de la consoude, belle plante comestible aux grandes feuilles qui sert aussi d’engrais vert et de paillage. La tanaisie, elle, sert également à faire du paillage, mais a l’inconvénient d’être envahissante. Quant à la potentille, c’est la plante la plus envahissante, l’ennemie que l’on va passer des heures et des heures à arracher. Ses racines traçantes sont une arme de guerre. Le soir, Paul est fatigué, conséquences du jeûne, alors on mange surtout seuls avec les deux parents. Ils parlent beaucoup eux aussi, mais avec un style différent de celui de leur fils. Ils sont « plus calmes », dit Audrey. Ils évoquent leurs nombreux cercles sociaux dans les environs, notamment deux associations de permaculture qui semblent peuplées en bonne partie par des caractères. Audrey et moi sommes socialement au bout du rouleau, ça doit se voir.
19 avril
Je me réveille à 5h. Petit à petit naît le chant des coqs, puis des oiseaux, puis les pleurs de l’âne dépressif qui vit juste à côté, derrière la haie d’arbres. Les lamentations de cet âne solitaire, dont la compagne est morte, ressemblent à des sirènes teintées de reniflements et nous accompagneront toute la semaine.
Le soleil brille, je suis torse nu. Je réalise que la potentille est comestible, comme la majorité de ce qu’on arrache. Ici, les plantes arrachées sont laissées sur place à sécher un peu avant d’être réutilisées comme engrais vert. Idéalement, il faudrait avoir avec soi un sac dans lequel mettre une partie des plantes comestibles, alias « mauvaises herbes » : avec notre travail de désherbage, on ramasse chaque demi-journée de quoi avoir plus qu’assez de « légumes » pour le repas suivant. Certes, ce sont des feuilles, et pas les plus fines gustativement, mais il me semble dommage de ne pas en profiter. Je sais qu’il faudrait consacrer du temps à préparer ces plantes, mais la satisfaction de manger potentille, pissenlit, ortie ou gaillet que l’on vient de toutes façons d’arracher dans son jardin me semble valoir le coup. Légèrement cuites à la poêle avec épices et accompagnement, ces plantes sont honorables. On peut aussi faire du pesto avec elles (comme le pesto aux orties du jardin de ce midi), ou même prendre le temps de préparer les racines de pissenlit (j’en ferai des crues un peu plus tard).
Les autres vont à une réunion d’un de leurs collectifs. J’ai du mal à arracher Audrey aux potentilles, elle est vraiment passionnée par le désherbage, mais on va ensuite se balader sur un chemin tout proche. Étang, plantation de pins, joli bois, petite vallée avec rivière, fraisiers sauvages… On revient glander un peu dans la caravane.
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La potentille, ennemi comestible.
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20 avril
Ce matin, séance de taï-chi plus courte, car c’est le jour des courses. On retourne faire du désherbage sur les buttes, j’arrache des racines d’ortie plus longues que moi, une oseille splendide avec des racines qui ressemblent à des carottes, et je mets de côté une grosse racine de pissenlit pour expérimenter avec. Paul vient nous chercher, son père a oublié de s’occuper de la petite serre qui sert de pépinière. Il nous explique comment il procède. La nuit, les plants qui passent la journée dans la serre restent dans la maison, et ceux qui passent la journée dehors reviennent dans la serre. Le matin, il met bien au soleil dans la serre les solanacées (tomate, aubergine…) dont le nom indique d’ailleurs leur goût du soleil : si ces plants n’ont pas assez de lumière, ils font pousser leur tige pour en chercher et ainsi s’affaiblissent. Les cucurbitacées et le basilic, eux, crament s’ils sont trop au soleil, donc ils sont soit à l’abri, soit à l’extérieur, mais pas au soleil dans la serre, où ça chauffe trop. Les plants dans l’incubateur sont laissés le plus longtemps possible (pour qu’ils se développent) mais pas trop non plus (pour éviter qu’ils tigent faute de lumière). Il arrose surtout les graines n’ayant pas encore germé, et certaines plantes préfèrent le trempage (basilic…). L’après-midi, il met un tamiseur de lumière sur les plants de tomate pour qu’ils n’aient pas trop chaud. À un autre endroit dans la maison se trouve la pépinière des plantes dormantes, ou qui exigent moins de lumière et de chaleur. Certains des arbrisseaux sont là. La verveine aime l’eau, mais pas trop, donc idéalement le pot est percé pour qu’une partie de la terre et une partie des racines restent sèches. Pour produire, bien l’arroser. Les poireaux sont là, ils peuvent rester longtemps dormants. Pour avoir de gros poireaux avec du blanc, comme ceux qu’on trouve en magasin, il faut les repiquer, jusqu’à cinq fois, pour augmenter la proportion du légume qui est sous terre. À chaque repiquage, on coupe un peu les feuilles et les racines pour stimuler la croissance. Le persil est difficile à faire pousser à partir de graines, mais il suffit d’un seul pied pour le reproduire aisément dans la bonne terre granuleuse. Bien l’arroser une semaine avant la récolte désirée.
Après le repas, Paul nous explique comment gérer le carré (triangulaire) commencé le matin, complètement envahi par chiendent et potentille, car la couche de paille appliquée a été trop faible. Il nous conseille de retirer toute la paille puis d’utiliser grelinette et fourche-bêche pour décompacter la terre, ce qui nous permet d’arracher plus facilement les racines invasives. Quand la paille est mise pour protéger la terre, il faut qu’elle fasse au moins la longueur de l’avant-bras pour faire obstacle à la lumière et éviter ce genre de situation par la suite. Plus tard, on va se balader dans la partie boisée du terrain et j’identifie la véronique petit-chêne. Le soir, on est claqués, mais c’est session jeu de société obligatoire.
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Magnifique rumex !
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21 avril
On reprend sur le carré (triangulaire) désherbé la veille, et on le recouvre totalement, cette fois sur une bonne épaisseur, d’engrais vert arraché juste à côté. Puis on arrache la moquette qui protégeait le sol sous le « tipi », le tuteur pyramidal pour haricots et courges. Malgré tout, la potentille a, seule, poussée en dessous. On l’attaque, et on continue après manger. Mais Paul nous a montré sa petite bibliothèque, et je lis près du tipi au lieu de désherber. Puis Paul m’embarque pour aller chercher du BRF pendant qu’Audrey tamise du terreau pour les graines que nous allons planter. Le BRF, comme la sciure des toilettes sèches (que nous n’avons pas utilisé une seule fois) sont fournis gratuitement par des connaissances. À l’aller, Paul me parle de la trogne, un ensemble d’anciennes techniques de taille des arbres destinées à faciliter la repousse rapide de bois utilisable, diverses techniques servant diverses fins. On remplit l’arrière du pick-up de BRF à la pelle, et au retour il me parle de sa relation avec son père peu communicatif et à la mémoire de plus en plus défaillante. J’essaie d’engager, disons, une conversation, mais rien à faire, il se déverse en moi.
On étale le BRF sous le tipi, puis la paille. On creuse un sillon dans la paille à l’intérieur du tipi et on y place une couche de terreau tamisé avant d’y semer un mélange de graines (betterave fourragère, fleurs, petits pois…). De chaque côté de la structure, on fait des trous dans la paille et on plante en poquets (plusieurs graines dans un même trou) haricot, courge et maïs rouge. Il nous explique comment il a utilisé un niveau égyptien pour percevoir l’inclinaison du terrain et créer les buttes le long des courbes de niveaux de façon à retenir l’eau. On est crevés. Le soir, en rentrant vers la caravane, on croise un énorme crapaud sous la maison sur pilotis. Je me demande si ces bestioles se font martyriser par les chats.
22 avril
Ce matin, Paul et Madeleine vont quelque part faire deux heures de taï-chi avec un « maître », alors pas de séance pour nous : on fait la grasse matinée jusqu’à… 8h15. Puis on sort les plants de la serre. Après le petit-déjeuner, on cure la bergerie avec Jacques et on façonne un beau tas de fumier de mouton, bien fertile. On se douche, je fais acte de présence au jardin, et on fait une récolte de plantes sauvages pour midi. Pendant le repas, Paul est d’humeur conspiration covid.
Ils ont encore en stock plusieurs grosses bottes de paille pour le paillage du jardin, mais c’est du blé non récolté, c’est-à-dire que les épis et leurs graines sont toujours là. C’est mauvais pour le jardin : il y a plein de pousses de blé dans le paillage. Paul dit qu’avec les subventions, récolter le blé est facultatif. Désherbage, mais ma capacité d’attention étant limitée, je commence à me frotter des pousses de menthe sur les bras, puis je grignote la partie blanche à la base des jeunes pousses de blé : c’est très bon, sucré, presque un goût de réglisse. Je vérifie, et je découvre qu’en effet c’est un aliment santé assez fameux. À l’inverse d’Audrey, qui peut rester longtemps concentrée, je ne tiens guère en place, je m’ennuie vite, je sors mon portable ou mon carnet, je vais lire, je picore des plantes plus ou moins connues, j’ai envie d’autre chose. Si je travaillais un terrain qui était le mien, je pourrais jongler entre les activités d’une façon qui m’est impossible ici.
Ensuite, Jacques vient nous chercher. C’est le moment de transporter de gros rondins de bois. On s’entasse à deux sur le siège passager du pick-up et Jacques nous balade dans les 5 hectares de bois, il nous raconte comment ils ont dû en bonne partie créer ce chemin pour le véhicule. Il finit par nous amener là où sont entreposées d’énormes bûches qu’on transporte dans le pick-up. Horreur, elles sont pleines d’araignées. Il nous faut deux voyages. Puis Paul part pour deux jours, il nous donne quelques devoirs. Je remplis un arrosoir, j’ajoute du purin d’ortie, on arrose quelques plants, tomates et courgette au chaud sous des bouteilles de 5 litres découpées, et je pousse la journée à sa conclusion. Il est 17h30, je suis crevé, essentiellement le manque de sommeil. On rentre les jeunes plants. Au dîner, Jacques fait de la pizza et Madeleine de la tarte aux pommes. En rentrant dans la nuit, on contemple le chat roux qui « joue » avec un campagnol juste devant la caravane. Je le soupçonne de chercher à nous impressionner. L’âne pleure. Ce soir, pour tenter d’optimiser mon sommeil, je mets boules quiès et masque sur les yeux…
23 avril
…mais rien à faire, je me réveille quand même avant 6h. On prend notre temps, véritable grasse mat jusqu’à 8h30. On sort les jeunes plants. Les courges semblent attaquées par l’oïdium. Au jardin, on commence à désherber un petit carré pour y semer, mais Jacques vient nous chercher pour transporter d’épais poteaux en bois. On en fait un joli tas bien rangé, et même stable, sur des palettes pour éviter le contact avec le sol, puis on reprend le désherbage. On remarque que là où Jacques et Madeleine avaient passé la grelinette contre la potentille, il n’y a pas de mycélium visible. En revanche, quand on s’attaque à la potentille qu’il reste sur les bords, là où la grelinette n’est pas passée, il y a beaucoup de mycélium. De nombreux vers de terre s’enfuient. Je place quelques pelletées de BRF et on sème pendant que la parcelle est à l’ombre d’un arbre.
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Fraisiers, poireaux et champignons sauvages.
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Ce midi, et cet après-midi, on est seuls, on fait donc notre repas nous-même pour la première fois depuis le début du séjour, c’est agréable. En début d’aprèm, on profite de la maison, et on finit par aller chercher de la fougère dans les bois, pour pailler les fraisiers contre les limaces. C’est plus un prétexte pour aller se balader, notre récolte n’est pas très efficace. On fait deux aller-retours. Puis Audrey ne résiste pas à la passion du désherbage. Quant à moi, je m’assois pour écrire dans mon carnet, mais quand je réalise que je suis directement entouré par tout un tas de plantes sauvages comestibles, je ne résiste pas à l’impulsion de faire une petite vidéo. Je donne mon portable à Audrey et je récolte 7 plantes sauvages comestibles sans bouger : qualité horrible de l’image et de l’audio, qualité horrible de mon improvisation en anglais (que j’utilise comme si c’était de l’espéranto), mais c’est marrant, c’est la première fois que je m’adresse directement à la caméra. Le soir, Jacques et Madeleine sont sous le coup des excès alimentaires de leur repas social, et on se fait encore à manger seuls. Cette fois, on s’installe sur la terrasse, devant le soleil couchant.
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La serre des jeunes plants.
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24 avril
Je me réveille à 4h. Le matin, on désherbe tranquillement, un framboisier, puis des buttes. Paul revient un peu avant midi et, pour l’après-midi, on commence à créer une nouvelle butte. Il s’agit d’enlever toutes les hautes herbes qui occupent le terrain et leurs rhizomes, mais aussi les pousses volumineuses du fusain qui domine la parcelle. Le soleil cogne incroyablement, un thermomètre placé à l’ombre indique 29°C. Sous les serres extérieures, qui sont ouvertes, il fait 36. Paul est occupé à planter plein de trucs un peu partout. En fin de journée arrive une bonne amie de Paul, et deux amis assez âgés, en prévision de la séance d’échange de plantes et graines le lendemain. On place des cartons sur la future butte et on les recouvre de toute la masse végétale arrachée. Je suis fracassé et flotte à travers le repas pendant que Paul, comme d’habitude, mène la danse sociale, notamment en évoquant ses anecdotes d’exploration de la petite ceinture parisienne.
25 avril
Paul étant là, le taï-chi reprend. On arrive un peu en retard, après 9h, sous le grand chêne, où ils sont déjà cinq. Il y a un côté messe du matin, rituel arbitraire à fonction de lien social, et, comme dans les messes espagnoles, on se fait un câlin à la fin. Toutes sortes de gens arrivent pour l’échange de graines. Nous, on va préparer nos affaires et ranger la caravane. Il y a beaucoup de gens, la plupart d’un certain âge (mais pas que), la plupart affichant les traits communs d’une marginalité modérée tendant vers le new age. Les jeunes plants (certains sont fatigués par le voyage), les graines (banque commune partagée par les membres du collectif) et des livres sont installés sur des tréteaux. Sur la terrasse, une grande table pour le midi. Faire vivre la campagne à travers le prisme de la permaculture, respectable. Nous, on met les voiles.
Un peu plus tard, je suis dans un train surchargé, masque sur le nez. La moitié des gens sont debout, mais je demande à retirer une valise qui occupe un siège, à côté des gens debout qui, bizarrement, ne prenaient pas cette initiative, alors je peux m’asseoir. Malgré le manque d’espace, trois gendarmes, l’arme à la ceinture, font le voyage avec nous. Je me demande s’ils pensent à leur presque collègue qui vient de se faire assassiner. Dehors, des maisons, des champs, des pâturages, des palettes, des câbles électriques. Je pense aux moteurs thermiques et aux moteurs électriques. Je pense à mes projets et leur poids. Bordeaux se profile, et partout des grues gigantesques élèvent à la chaîne des cubes de béton. J’ai envie d’apprendre à cuisiner les racines de pissenlit.