À rebours (1884) de Huysmans ressemble étrangement à ma dernière lecture, Le loup des steppes de Hermann Hesse. Là aussi un protagoniste déçu par le monde lutte avec son isolation. Le des Esseintes de Huysmans est né riche, héritier d'une famille décadente et consanguine. Élitiste, malade, ayant épuisé tous les plaisirs, il choisit de s'isoler dans une grande maison campagnarde où il se remémore son passé et se livre à toutes sortes de fantaisies de richard.
Déjà, À rebours est superbement écrit. La langue de Huysmans est aussi riche que son protagoniste, pleine de mots rares comme la bibliothèque de des Esseintes est pleine de livres rares. En revanche, ce n'est pas un roman facile, et ce n'est qu'à moitié un roman. C'est-à-dire que des dizaines de pages sont consacrées aux goûts littéraires et artistiques de des Esseintes. On a souvent plus l'impression de lire un étalage de culture, de la critique d'art (à forte tendance conservatrice), plutôt qu'un roman, et j'ai traversé en diagonale pas mal de ces épisodes. Ensuite, la narration elle-même est complétement éclatée, désorganisée, on est livré aux caprices chaotiques de des Esseintes. Il se procure une tortue à la carapace plaquée or, il commande une forêt de plantes exotiques dont il se lassera vite, il est torturé pas ses maux d'estomac, il se remémore ses expériences presque sadiques, il se morfond dans les affres de l'ennui... Clairement, c'est du roman qui déconstruit le roman. Cela rend la chose un peu difficile à lire, bien sûr, mais le tout a une cohérence qui ne m'a pas frustré comme par exemple dans Le loup des steppes. Des Esseintes n'est absolument jamais mis sur un piédestal, ses quelques qualités intellectuelles sont loin d'être compensées par ses torrents de défauts, et il incarne la futilité de l'accomplissement purement intellectuel et esthétique, la futilité de la richesse débordante, la futilité des désirs toujours renouvelés et jamais satisfaits, la futilité du corps humain susceptible à chaque instant de frôler la ruine...
À rebours est parfois très pénible à lire, certes, mais quelques scènes particulièrement frappantes viennent régulièrement faire rebondir l'attention après les passages soporifiques. Quand des Esseintes va chez le dentiste, l'implacable absurdité de la douleur et la description hilarante de l'arrachage de dent, ou encore cette tentative de voyage en Angleterre pour tromper l'ennui : il fait rapidement demi-tour, car l'idée de voyage et la modeste stimulation procurée par un repas en auberge suffisent à remplacer la réalité du voyage... Déjà la représentation, l'artificiel, gagnent en attrait sur le réel.
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