La Chose, ou Who goes there ? en version originale, de John W. Campbell, est une grosse nouvelle publiée originellement en 1938. Bien sûr, elle est surtout fameuse pour être à la base du chef-d’œuvre de John Carpenter, The Thing (1982), peut-être le meilleur film d'horreur qui soit.
Une critique qui semble revenir souvent contre ce petit texte (que j'ai lu en VO), c'est son écriture. Certes, John W. Campbell n'est clairement pas le meilleur prosateur qui soit : c'est presque habituel pour ces auteurs de vieille SF. L'action est souvent confuse, c'est certain, la narration est maladroite et les personnages ne brillent pas par leur profondeur. Ceci dit, le concept central et la trame qui s'en saisit sont si percutants que ces imperfections n'empêchent pas l'ensemble de captiver, d'autant plus que Campbell, contrairement à ce qui est hélas de rigueur aujourd'hui, ne tire pas à la ligne. D'autres auraient pu faire cette histoire un long roman professionnellement écrit mais sans âme (Terreur de Dan Simmons par exemple), alors que la brièveté ici présente ne laisse pas le temps de s'ennuyer et met en valeur les idées centrales.
Difficile de ne pas voir les liens avec un autre grand classique polaire : Les montagnes hallucinées de Lovecraft. Une expédition arctique, un alien congelé depuis longtemps qui revient à la vie, oui, la parenté est claire. Et il est peut-être normal que quelqu'un d'habitué à la prose de Lovecraft ne soit pas trop choqué par celle de Campbell !
La grande horreur du livre, ce n'est pas tant le monstre lui-même que sa capacité à adopter l'apparence et le comportement de n’importe quelle créature vivante. De plus, la chose convertit la chair : ainsi elle peut être en même temps un nombre potentiellement infini d'entités. En conséquence, Campbell fait l'excellent choix de ne pas se concentrer sur la chose elle-même. Alors bien sûr, on a droit à une certaine dose de descriptions plus ou moins grotesques et gores, mais le gros morceau, c'est la paranoïa des humains. C'est d'ailleurs mis en avant dès le début : quand la narration s'ouvre, toute l'équipe est rassemblée autour du corps gelé de la chose et un débat faire rage pour savoir qu'en faire. J'aime particulièrement cette tension intrinsèquement humaine, cette tension des concepts et des opinions, des peurs ataviques et des appels à la raison.
C'est là que l'histoire est à son plus fort : ces regards suspicieux, cette crainte d'autrui, et la terreur existentielle de se dire que, peut-être, on est la chose sans le savoir, car comment faire subjectivement la différence entre soi et une imitation de soi ? En effet, ceux qui sont possédés par la chose sont si crédibles, si humains : si la chose peut ainsi reproduire toutes les caractéristiques d'un être humain, n'est-elle pas cet être humain ? Et ainsi, quelle est la valeur de l'esprit humain s'il est si aisément copié et/ou manipulé comme un pantin ? Ce prisme horrifique ne sera peut-être jamais désuet.
La fin diffère grandement de l'adaptation de Carpenter, et si elle est un peu moins ambiguë, elle met l'accent avec pertinence sur l'esprit de la chose. On est témoin de son habilité à créer, à utiliser la technique, et ainsi elle apparait plus comme une entité propre, hautement intelligente, avec ses buts et ses émotions, que comme un simple organisme parasitique.
Il va falloir que je lise "Les montagnes hallucinées" (qui manque à mes classiques) !
RépondreSupprimerJe ne peux qu'encourager toute impulsion à lire Lovecraft !
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