Nature's Temples (2016) de Joan Maloof est un petit essai sur les forêts anciennes, ou forêts sauvages, ou forêts vierges, ou forêts primaires, bref, les forêts qui existent en paix depuis de nombreux siècles hors de l'influence humaine. On s'en doute, elles hébergent une faune et une flore bien plus riches que celle des forêts "gérées" par les humains. Et, bien sûr, elles sont en voie de disparition. Nature's Temples se concentre sur les forêts nord-américaines, et ce n'est pas qu'à cause de la nationalité de Joan Maloof : les forêts primaires sont plus communes aux Amériques car les humains n'ont eu que quelques siècles pour les attaquer. En Europe, à part très au Nord, il n'y a sans doute plus de véritable forêt primaire depuis l'an 1000.
Quelques caractéristiques qui différencient les forêts anciennes des forêts gérées : on y trouve plutôt de gros arbres assez espacés, des arbres très hauts et d'autres tordus par l'âge, des arbres aux couronnes denses et complexes encore une fois à cause de leur âge, des arbres morts qui pourrissent tranquillement au sol, des trous dans la canopée qui offrent des opportunités à des plantes au sol, un sol inégal à cause d'anciennes chutes d'arbres qui créent des trous... Toute cette variété est importante car elle offre de multiples niches écologiques qu'on ne trouve pas dans les forêts gérées. Par exemple, les arbres des forêts gérées n'ont pas le temps de développer des imperfection et des cavités, qui servent de refuges aux insectes, aux oiseaux et aux mammifères (des chauve-souris aux visons). Les amphibiens, eux, ont besoin d'humidité, et notamment des petites mares temporaires qui sont favorisées par les chutes naturelles d'arbres. Ils ont besoin d'un sol chaotique, plein de crevasses, de trous et de fissures, là où l'humidité peut s’accumuler. En plus du besoin d'eau pour pondre leurs œufs, certains amphibiens "respirent" par leur peau, or ce processus n'est possible que quand leur peau est humide. Par exemple, une étude à trouvé 500 salamandres par acre (0.4 hectares) dans une forêt primaire, 100 dans une forêt secondaire et 0 dans une forêt récemment coupée. Le bois mort, surtout sous forme de gros troncs, est particulièrement riche en niches diverses, car ces troncs restent en place de nombreuses années, c'est un micro-environnement sur la durée.
Dans les forêts anciennes, les plantes au sol, celles qui ne sont pas des arbres, ne sont qu'1% de la biomasse végétale, mais elles accueillent 90% de la diversité, et la diversité de tous les animaux est plus directement corrélée avec la diversité de ces plantes au sol que celle des arbres. Une fois qu'une forêt est rasée, ce ne sont pas que les arbres qui disparaissent : les plantes au sol elles aussi n'ont plus leur cadre de vie normal. De plus, quand un arbre est coupé pour une utilisation humaine, il ne rend pas ses nutriments au sol, comme il l'aurait fait s'il était tombé naturellement. Il ne suffit donc pas de replanter des arbres pour faire une forêt : toute cette variété est perdue, elle ne peut réapparaitre naturellement que sur un temps extrêmement long. Ainsi les forêts secondaires, dans la plupart des cas, n'ont pas la richesse des forêts primaires, qui se sont développées en paix depuis des millénaires.
Et toute cette variété a un vrai rôle écologique. Par exemple, les insectes qui se spécialisent dans la consommation d'un type d'arbre favorisent la pousse d'une grande variété d'arbres, car une seule espèce fortement dominante est plus susceptible d'entrainer une explosion du nombre de ses prédateurs. Toutes ces espèces, comme dans la classique et facile à visualiser relation proie/prédateur, forment un équilibre. De plus, les insectes peuvent aider un arbre même s'ils mangent ses feuilles, car leurs déjections accumulées forment un terreau naturel à nouveau absorbé par l'arbre apparemment attaqué.
Fun fact : plus un arbre est gros, plus il stocke de carbone, logique. Mais ce n'est pas tout : plus un arbre est gros, plus il absorbe de carbone année après année, car sa circonférence augmente, ainsi chaque "anneau" de matière ajouté chaque année est plus important que le précédent. Donc, les vieux arbres absorbent plus de carbone que les jeunes, et pas de bol, dans les forêts gérées, les arbres n'ont guère l'occasion de devenir vieux. Les forêts non gérées emmagasinent plus de carbone.
Il y a aussi beaucoup à dire sur les Fungi, notamment leur variété. Dans un échantillon de 0,25 grammes, 218 espèces de Fungi. Et dans un autre échantillon pris juste à côté, autant d'espèces, mais la plupart complètement différentes. Il semblerait que les arbres les plus âgés aient plus de relations avec le mycélium. Et, bien sûr, on trouve plus de variété dans les forêts anciennes. (Plus d'infos sur les champignons et lichens dans Entangled Life.)
Il y a 5000 ans, les forêts couvraient 46% des terres. Aujourd'hui, 31%, dont la moitié ont été rasées au moins une fois. Donc, sur 46% de forêts primaires originelles, il n'en reste que 15%, la majorité en Amazonie et dans le nord boréal. Ainsi, quand on parle d'extinction des espèces, on peut y voir avant tout la conséquence de l’extinction de leurs environnements. Les forêts les plus "saines" sont celles que les humains ne touchent pas.
Votre résumé est vraiment très intéressant. Avez vous lu "Éloge de la plante" de Francis Hallé ? C'est un ouvrage qui m'a beaucoup marqué.
RépondreSupprimerMerci ! Non je n'ai pas lu ça, mais je note l'auteur, j'ai sans doute encore bien des lectures de prévues dans ce vaste domaine.
SupprimerEn effet.Rien ne remplace les forêts d’origine.C’est vrai ,les forêts ce n’est pas que les arbres,mais aussi les lichens,les insectes ,toute une chaîne.
RépondreSupprimerTu le dis beaucoup mieux que moi. L’humain finalement fait beaucoup de dégâts,inconsciemment ou pas.
Oui, c'est un pas mental presque renversant de se dire que la quasi totalité des forêts qui nous entourent, à l'échelle contentinentale, sont en fait plus ou moins artificielles !
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