mercredi 5 février 2020

Le nuage pourpre - M.P. Shiel

Le nuage pourpre - M.P. Shiel

La solitude absolue de la fin du monde, c'est une idée qui traverse sans problème les époques. Ce qui est clair, c'est que Le nuage pourpre (1901) s'en sort beaucoup mieux que The last man (1826) de Mary Shelley. M.P. Shiel a aussi la qualité de ne pas faire les choses à moitié : après une première partie qui voit notre narrateur rejoindre un peu malgré lui une expédition vers le Pôle Nord, il se retrouve très rapidement, et pour la plus grande partie du roman, dans une solitude absolue. Profitons-en pour évoquer quelques faiblesses. Déjà, la cohérence est douteuse : par exemple, c'est un richissime mécène qui motive l'expédition vers le Pôle en offrant une fabuleuse fortune à la première personne à l'atteindre. Et pourtant, les membres de l’expédition ne songent même pas à se mettre d'accord avant de partir pour partager la récompense : quoi, ils ne prévoient pas que récompenser aussi fortement un unique membre de l’expédition ne peut manquer de causer des problèmes ? Dans le même ordre d'idée, quand notre narrateur atteint le Pôle, il trouve une sorte de site mystique ou fantastique. Qu'est-ce que c'est ? On n'en saura jamais rien. Ce qui d'autant plus frustrant qu'il est clairement suggéré que c'est le fait d’atteindre le Pôle qui cause l'apocalypse. Pourquoi donc ? Mystère. Il y a pas mal de bizarreries narratives de ce genre. Aussi, le narrateur est assez antipathique : instable et violent, on a souvent du mal à suivre ses raisonnements. Dommage, sachant qu'on est la plupart du temps seul avec lui.

En échange de ces défauts, Le nuage pourpre ne manque pas de charme. Les scènes de carnage et d'apocalypse sont parfois saisissantes : le narrateur, absolument seul, découvre progressivement comment l'humanité est morte pendant son absence. Les cadavres pourrissent par millions dans les villes d'une façon qui permet de comprendre ce qui s'est passé pendant qu'il croupissait au Pôle : migrations de masse et retours de la barbarie face à l'imminence de la fin. Mention spéciale aux passages dans les mines, où les derniers survivants se sont battus jusqu'à l'auto-destruction pour tenter de s'y calfeutrer. Le narrateur, qui vit dans cette horreur pendant une vingtaine d'année, perd un peu la boule : entre autres fantaisies, il décide d'incendier d'innombrables villes de part le monde. Ainsi, la belle flambée en couverture n'est pas causée par le cataclysme, mais par le dernier homme devenu dément.

Le ton est assez insaisissable, notamment à cause de la religiosité omniprésente. On est presque face à du manichéisme, je veux dire, au sens propre : deux divinités opposées semblent se livrer bataille dans l'esprit du narrateur. Il y une bonne touche de christianisme, mais sans que ce soit du prosélytisme bas de gamme : c'est ce qui fait l'intérêt de cet aspect du roman. Il y a l'humour, aussi. Par exemple, notre narrateur, après une série d'incendies, va s'installer dans un monastère et entend la voix de Dieu qui l’incite à la piété. Conséquence ? « C'est ainsi que m'est venue l'idée de construire un palais. » Et il le construit, son palais d'or massif. Vraiment, je peine à savoir si toute cette religiosité est à prendre au premier degré. Vers la fin, le narrateur, qui, sans surprise, s'appelle Adam, rencontre son Ève. Comme dans Les hommes frénétiques par exemple, ils vont rejouer la genèse en ignorant joyeusement les problèmes de la consanguinité. Mais, et c'est là tout l'intérêt, notre narrateur est trop misanthrope pour vouloir se reproduire : alors il tourne autour de son Ève, tiraillé entre son désir et sa volonté de ne pas perpétuer l'espèce. C'est l'occasion de scènes très cocasses, mais qui me laissent franchement pantois sur les intentions idéologiques de l'auteur, d'autant plus que son l'étrange manichéisme est toujours en fond. Le problème se résout dans l'humour, grâce à un pieux mensonge de l'Ève, mais sans qu'on ait la moindre résolution sur le caractère divin de toute l'affaire.

L'avis de TmbM.

2 commentaires:

  1. Ce livre m'avait laissé assez perplexe me semble-t-il.

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    1. Je ne suis pas certain d'avoir moi-même totalement esquivé la perplexité.

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