mardi 25 février 2020

La mort du fer - Serge Simon Held

La mort du fer - Serge Simon Held

La mort du fer (1931), l'unique roman de Serge Simon Held, rappelle de façon évidente toute une frange de la littérature d'anticipation de l'entre-deux-guerres : les divers romans de Jacques Spitz, notamment La guerre des mouches et L'homme élastique, Les hommes frénétiques de Pérochon, Quinzinzinzili de Messac, ou encore La guerre des salamandres et La fabrique d'absolu de Karel Čapek, pour sortir de la France. À cette époque, après le choc de la Grande Guerre, comme le dit Paul Valéry, les civilisations savent désormais qu'elles sont mortelles. Et La mort du fer s'inscrit totalement dans cette tradition.

En effet, au niveau de la construction du récit, l'auteur ne se concentre par sur des personnages, mais sur des évènements. Ce qui compte, c'est le mal bleu et la chute de la civilisation industrialisée. C'est d'ailleurs le point faible du roman : là où Spitz et Pérochon compensent cette perspective globale avec un retour régulier sur un protagoniste principal relativement développé (Čapek de son côté se servant de l'humour) Serge Simon Held échoue sur le plan humain de la narration. Il y a bien des personnages, mais on n'est jamais vraiment avec eux, ils vont et viennent aléatoirement sans jamais être développés. Deux d'entre eux semblent vaguement émerger du lot, mais l'un meurt subitement en hors-champ, tandis que l'autre disparait tout bonnement avant la fin du roman sans qu'on connaisse son destin. C'est dommage, car La mort du fer aurait certainement gagné à une trame un peu plus recentrée sur une ou deux subjectivités, histoire de donner au lecteur un certain fil conducteur, et tout simplement des personnages intéressants.

De plus, il semble que le mal bleu lui-même, c'est-à-dire la mort du fer, soit un peu laissé de côté. Par exemple, contrairement à ce que suggère la couverture, il n'y a pas la moindre scène en rapport avec la tour Eiffel. D'ailleurs, il n'y a quasiment pas de scènes de destruction massive. Étonnant, car le sujet semble en appeler. En fait, plus la narration progresse, plus on a l'impression que l'auteur délaisse son concept de départ au profit d'une décadence civilisationnelle généralisée. Qu'importe le fer, ce qui compte, ce sont les troubles sociaux, la guerre civile, le retour à la barbarie, la décadence des idéaux...  De ce point de vue, La mort du fer est un grand succès. Le roman incarne à la perfection le malaise dans la civilisation, pour citer Freud, qui imprègne l'époque. L'humanité s'est vautrée dans la technique, mais désormais tout s’effondre, elle pait le prix de l'hubris et retourne littéralement à l'âge de pierre. C'est presque trop, mais c'est l'idée : je veux dire qu'on pourrait aisément imaginer l'humanité surmonter la mort du fer, mais que dans le contexte de l'entre-deux-guerres, c'est inimaginable : le zeitgeist est sombre, blasé ; l'Europe est déçue par elle-même.

Alors tous les personnages sombrent, certains encore titillés par de l'ambition, d'autres dévorés par les idées noires. Les idéologies remplacent les religions et les hordes ne s'entretuent plus au nom de Dieu, mais du prolétariat. L'auteur jette le monde entier par-dessus son épaule et conclut sur un épilogue quasi-préhistorique, encore une fois marqueur de son époque. Et tout à la fin, il se laisse aller à ce qui ressemble peut-être à une tentative d'optimisme : l'espoir en un possible avenir spirituel de l'humanité. Ici, le lecteur peut presque ressentir une certaine compassion pour l'auteur qui, désespérément, va racler les tréfonds du tiroir en quête d'un avenir radieux. Sans doute n'est-il pas dupe lui-même.

La mort du fer est un roman à la construction imparfaite, mais qui incarne excellemment l'esprit d'une Europe traumatisée par la Grande Guerre et hantée par un doute ravageur : et si la civilisation, en se vouant au le culte de la technique, s'était engagée dans une impasse ?

L'avis de TmbM.

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