vendredi 19 juillet 2019
The Fisherman - John Langan
Les bons romans fantastiques à tendance horrifique contemporains ne me semblent pas légion. Par exemple, malgré son succès, j'ai trouvé Annihilation (2014) de Jeff Vandermeer incroyablement médiocre, tout comme Revival (2014) de King. La Maison des Feuilles (2000) de Daniel Z. Danielwski m'a laissé froid et récemment American Elsewhere (2013) de Robert Jackson Bennett m'a assommé d'ennui. Cependant, je crois avoir trouvé dans The Fisherman (2016) de John Langan un représentant plus qu'honnête de ce genre maltraité.
Déjà, la forme. Comme l'auteur le dit dans les remerciements à la fin, son roman a eu du mal à trouver un éditeur parce que « The genre publishers said it was too literary, the literary publishers, too genre. » Quand j'ai lu cette phrase, j'ai tout de suite acquiescé intérieurement. The Fisherman a en effet la carrure pour s'imposer dans les deux catégories : il y a une vraie retenue dans la forme, une écriture soignée et une construction non linéaire qui peut être un peu exigeante. Bon, c'est aussi l'un des défauts du livre : c'est trop long. Le début notamment, où le narrateur raconte sa vie misérable après la mort de sa femme, puis la vie misérable d'un de ses potes après la mort de sa femme et de ses enfants, aurait gagné à être largement amputé. Les personnages n'ont guère d’existence à part les traumas en question : ce sont des veufs qui noient leur chagrin dans la pêche, c'est tout ce qui les définit. Les nombreuses mentions assez racoleuses de l'horreur à venir sont également superflues : que l'auteur balance son histoire, au lieu de nous promettre qu'elle sera terrifiante !
Malgré tout, c'est bien écrit, la curiosité est éveillée et nos deux pêcheurs vont plonger leur ligne dans un endroit louche. En chemin, le tenancier d'un diner leur raconte une histoire de folklore local pour les dissuader d'aller dans la crique vers laquelle ils se dirigent : cette histoire, c'est du fantastique horrifique pur jus qui occupe plus de la moitié du roman. D'une certaine façon, on est dans du classique : c'est quasiment la même structure que L'Affaire Charles Dexter Ward, l'un des chefs-d’œuvre de Lovecraft. Le lieu : le chantier de construction d'un large barrage. Un type bizarre, qui se révèle sans surprise être une sorte de sorcier, vient rendre visite au magnat local. Il est impliqué dans quelques affaires douteuses. Puis, longtemps après, sur le chantier, une morte revient à la vie. Après quelques problèmes, l'origine du mal est localisée et une expédition punitive organisée. Évidemment, quelques vieux ouvrages ésotériques sont impliqués. Contrairement au petit roman de Lovecraft, on suit de près cette expédition, qui va dépasser les frontières de la réalité familière. Vraiment, John Langan parvient à donner de l'ampleur à sa trame, notamment en l’étalant longuement dans le temps : ce n'est pas un évènement unique, mais quelque chose qui se terre en permanence au bord du monde. Le récit est rapporté par divers personnages dont les points de vue incomplets s’entremêlent pour former un tout cohérent. Puis on revient dans le présent, où le narrateur et son pote vont malgré tout pêcher dans la crique. On s'en doute, ils auront quelques problèmes.
Un autre défaut du roman : le fantastique n'est pas assez, disons, expliqué, ainsi il passe parfois la frontière délicate de la cohérence. C'est-à-dire qu'on a l'impression que l'auteur se borne à écrire ce qui lui semble cool sans avoir à ce soucier de donner à ses scènes un sens plus profond. C'est vraiment dommage, la scène finale est particulièrement coupable sur ce point. Chez Lovecraft, par exemple, l'impossibilité de comprendre est le thème même de l’œuvre : certaines choses dépassent les capacités humaines et leur étrangeté rend dingues les divers narrateurs. Mais pas dans The Fisherman : l'un des personnages principaux est, lui aussi, un genre de sorcier. Il maitrise une sorte de magie, il possède le savoir des mystères qui rodent dans l'ombre... mais il ne partage jamais ce savoir ! Il se contente d'allusions. Si ce personnage, qui est un humain comme un autre et presque le héros, si l'on peut dire, comprend ce qu'il se passe, je veux le comprendre aussi. Pas d'excuses !
Dommage, parce que la mythologie esquissée dans The Fisherman a vraiment son charme, on voudrait y trouver plus de sens. Néanmoins, reconnaissons à l'ensemble une forte unité thématique : il s'agit d'une exploration du rapport à la mort, aux êtres chers perdus. En somme, mieux vaut faire son deuil plutôt que de vouloir retrouver ses morts : ça pourrait mal finir... Pas particulièrement original, mais très bien traité. The Fisherman, malgré les retenues évoquées plus haut, est un roman fantastique et horrifique qui parvient à être très lovecraftien sans jamais s'abaisser à faire du simple pastiche : il se tient fièrement sur ses deux jambes et sa fierté est justifiée.
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