samedi 13 juillet 2019

Walden Two - B.F. Skinner

Walden Two - B.F. Skinner

Une utopie qui doit son nom au Walden de Thoreau, écrite par un psychologue béhaviouriste, B. F. Skinner, et publiée en 1948. Déjà, littérairement, c'est clairement médiocre. A la la manière d'Island d'Huxley, ou de beaucoup d'autres utopies d'ailleurs, la narration n'est qu'une excuse pour la visite guidée de la communauté présentée. C'est très pénible à lire, et je me suis arrêté après les deux premiers tiers. L'auteur étant à priori un psychologue reconnu, on pourrait s'attendre à un certain sérieux. En vain. Peut-être y a-t-il en fond plus qu'une simple idéologie, mais ça ne transparait pas dans le livre : pas de mentions d'expériences concrètes ou d'études de sociétés réelles. En fait, j'ai l'impression de retrouver le même rationalisme naïf que je pouvais avoir en étant plus jeune. Exemple : la famille, vraiment, ce n'est pas du tout optimal. Hop, il faut optimiser tout ça et élever les gamins en communauté. Certes, pourquoi pas, mais c'est oublier les sentiments humains : si les gens ont des gosses, la plupart du temps, ce n'est pas pour renoncer à avoir une influence personnelle sur eux. Skinner, d'ailleurs, pense que les sentiments et les émotions ne sont que le produit de l'éducation et du milieu : dans cette perspective très constructiviste, une éducation rationnelle produit des êtres rationnels. Au contraire, je suis convaincu si le milieu exerce évidemment une influence considérable, jamais l’éducation ne peut garantir une unité de pensée et d’opinion, c'est à dire une cohésion sociale, sans que la société, n'importe laquelle, exerce un certain niveau de coercition. Or, Skinner prétend à la fois que son utopie n'exerce pas la moindre coercition, tout en décrivant au final un certain totalitarisme : des règles fortes doivent êtres suivies par tous sans changement démocratique possible, mais apparemment pas de souci, ces règles étant rationnellement les meilleures...

Il me semble assez vain de critiquer Walden Two tant le livre apparait comme une accumulation de jugements à l'emporte pièce. Exemple : pourquoi ne pas laisser les jeunes avoir des enfants dès seize ans ? Comme ça, pas de répression des pulsions naturelles, les femmes ont quatre bébés à vingt-trois ans, et c'est super. Mais comment assurer l'égalité des opportunités qu'il revendique entre les hommes et les femmes si les femmes passent une bonne partie de leur jeunesse handicapées par des grossesses successives ?

Il y aurait un point sur lequel élever des contradictions toutes les trois pages, alors concluons plutôt sur un peu de positif. Déjà, Skinner me semble avoir bien saisi les bases classiques de la bonne vie : lien social réel, vie communautaire incluant un espace personnel, rejet du matérialisme, liberté du choix du travail, travail pénible réduit au minimum, équilibre variable entre intellectualisme et labeur physique, contact avec la nature, valorisation de la création artistique, grande attention portée à la santé du corps, pas d'entassement de la population... Il faut bien avouer que la vie à Walden 2, du moins dans sa présentation romanesque, peut sembler tentante. 

J'aime bien le système proposé pour remplacer l'argent. Tout est gratuit dans la communauté, mais en échange chaque membre doit fournir chaque jour environ quatre crédits-travail, dont la valeur est variable en fonction de la pénibilité du travail. Ainsi, trente minutes d'entretien des égouts et deux heures d'entretien des plants de fleurs peuvent chacun valoir un même crédit-travail. La faisabilité d'un tel système est discutable, mais ça donne à penser.

Ensuite, contrairement à bien des pseudo-utopies, la société de Skinner n'est pas figée. Il n'y pas la prétention d'avoir atteint un état de perfection, et l’expérimentation sociale fait partie de l'essence même de Walden 2 :
The main thing is, we encourage our people to view every habit and custom with an eye to possible improvement. A constantly experimental attitude toward everything—that’s all we need. (Chapitre 4)
It’s a job for research, but not the kind you can do in a university, or in a laboratory anywhere. I mean you’ve got to experiment, and experiment with your own life! Not just sit back—not just sit back in an ivory tower somewhere—as if your own life weren’t all mixed up in it. (Chapitre 1)
Vraiment, j'aime ce point. Non seulement j'ai tendance à voir toute société comme une expérience de l'homme sur l'homme, mais l'idée de quête permanente d'un potentiel progrès est indispensable, ne serait-ce que parce que la croyance en la stabilité totale ne peut que se heurter violemment au chaos de la réalité. Le problème, bien sûr, c'est que le progrès de l'un est la régression d'un autre... Bref. Un peu comme Erehwon de Samuel Butler, que Skinner cite abondamment, Walden Two est à la fois une plaie à lire et une stimulation intellectuelle bienvenue.

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