dimanche 7 juillet 2019

Ma vie : souvenirs, rêves et pensées - C.G. Jung


Ma vie : souvenirs, rêves et pensées - C.G. Jung

De Jung, j'avais plutôt apprécié Essai d'exploration de l'inconscient. Mais par contre, son autobiographie me laisse franchement consterné. Il fait fi de toutes les retenues nécessaires à l'élaboration d'une discipline se voulant plus ou moins scientifique comme la psychologie, et il se lâche. On a souvent l'impression de lire les élucubrations du gourou d'une secte, qui partage ses visions surnaturelles et ses croyances franchement douteuses.

Mais commençons par en retirer du positif. Il y a quelques belles idées, parfois classiques, mais bien formulées. Par exemple, j'ai été frappé par la proximité entre ces lignes...
Quand on pense au devenir et au disparaître infinis de la vie et des civilisations, on en retire une impression de vanité des vanités; mais personnellement je n’ai jamais perdu le sentiment de la pérennité de la vie sous l’éternel changement. (p.22)
... et celles-ci de Marc Aurèle :
Voici que la terre va nous recouvrir tous; puis elle-même changera; et les choses changeront indéfiniment. Si l'on songe aux vagues successives de changements et de transformations et à leur vitesse, l'on méprisera tout ce qui est mortel. (livre 9, 28)
Ou encore, voici qui est bien dit :
J’ai souvent vu que les hommes deviennent névrosés quand ils se contentent de réponses insuffisantes ou fausses aux questions de la vie. Ils cherchent situation, mariage, réputation, réussite extérieure et argent; mais ils restent névrosés et malheureux, même quand ils ont atteint ce qu’ils cherchaient. Ces hommes le plus souvent souffrent d’une trop grande étroitesse d’esprit. Leur vie n’a point de contenu suffisant, point de sens. Quand ils peuvent se développer en une personnalité plus vaste, la névrose, d’ordinaire, cesse. C’est pourquoi l’idée de développement, d’évolution a eu chez moi, dès le début, la plus haute importance. (p.166)
Les passages sur Freud sont éclairants : Jung décrit clairement Freud comme quelqu'un de lui-même extrêmement névrosé, projetant ses névroses sur le monde, et terriblement autoritaire et dogmatique.
Il était clair pour moi que Freud, qui faisait sans cesse et avec insistance état de son irréligiosité, s’était construit un dogme, ou plutôt, au Dieu jaloux qu’il avait perdu, s’était substituée une autre image qui s’imposait à lui : celle de la sexualité. Elle n’était pas moins pressante, exigeante, impérieuse, menaçante, et moralement ambivalente ! A celui qui est psychiquement le plus fort, donc le plus redoutable, reviennent les attributs de « divin » et de « démoniaque »; de même, la « libido sexuelle » avait revêtu et jouait, chez lui, le rôle d’un deus absconditus, d’un dieu caché. (p.178)
J'ai aussi été frappé par l'un rêves de Jung qui ressemble étonnamment à ce que Lovecraft a sans doute dû rêver. C'est en phase avec l'idée de Jung « qu'il existe des composantes archaïques de l'âme qui ne peuvent avoir pénétré dans l'âme individuelle à partir d'aucune tradition » (p.43), mais sont des formes plus profondes, innées, pourrait-on dire.
J’arrivai à une lourde porte, je l’ouvris. Derrière je découvris un escalier de pierre conduisant à la cave. Je le descendis et arrivai dans une pièce très ancienne, magnifiquement voûtée. En examinant les murs je découvris qu’entre les pierres ordinaires du mur étaient des couches de briques, le mortier en contenant des débris. Je reconnus à cela que les murs dataient de l’époque romaine. Mon intérêt avait grandi au maximum. J’examinai aussi le sol recouvert de dalles. Dans l’une d’elles je découvris un anneau. Je le tirai : la dalle se souleva, là encore se trouvait un escalier fait d’étroites marches de pierre, qui conduisait dans la profondeur. Je le descendis et parvins dans une grotte rocheuse, basse. Dans l’épaisse poussière qui recouvrait le sol étaient des ossements,des débris de vases, sortes de vestiges d’une civilisation primitive. Je découvris deux crânes humains, probablement très vieux, à moitié désagrégés. (p.186)
Jung explique aussi comment une patiente hypocondriaque et extrêmement susceptible à la suggestion est responsable de sa soudaine renommée de « magicien ». Comme il le dit lui-même, un tiers de ses patients se tirent du traitement avec succès, un tiers avec une amélioration, et un tiers sans changement. Vraiment, je ne peux m’ôter un fort scepticisme sur la valeur se sa psychanalyse. J'ai du mal à y voir plus qu'un homme intelligent et habile à manier les esprits qui tâtonne au cas par cas, avec certes en fond quelques principes crédibles.

Et petit à petit le mysticisme de Jung prend complètement le dessus. Il multiplie les récits de visions diverses et d'évènements surnaturels. Si Jung n'était pas Jung, les visions qu'il raconte (page 208 par exemple) le qualifieraient directement pour des troubles mentaux sévères. Ou encore :
J’essayai alors de me rendormir, mais une voix me dit : « Il te faut comprendre le rêve, et tout de suite ! » Une impulsion intérieure me harcela jusqu’à un terrible paroxysme où la voix dit : « Si tu ne comprends pas le rêve, tu dois te tirer une balle dans la tête ! » Or, dans ma table de nuit, il y avait un revolver chargé et je fus pris de peur. (p.210)
Quoi, il entend des voix aussi ? Des voix qui lui parlent de suicide ?
Une nuit, je m’éveillai et je vis, au pied de mon lit, baigné d’une claire lumière, le Christ en croix. Il m’apparut non pas tout à fait grandeur nature, mais très distinctement, et je vis que son corps était d’or verdâtre. C’était un spectacle magnifique ; néanmoins je m’effrayai. Des visions, en tant que telles, ne me sont pourtant en rien inhabituelles, car je vois souvent des images hypnagogiques plastiques. (p.245)
Et il a des visions de Jésus au pied de son lit ?!
Je mentionne cet épisode pour montrer par quelles voies subtiles un archétype influence notre façon d’agir. Nous étions trois hommes et c’était pur hasard. J’avais convié en outre un troisième ami de nous accompagner. Mais des circonstances malencontreuses l’avaient empêché d’accepter. Cela a suffi pour consteller l’inconscient ou le destin : sous la forme de l’archétype de la triade, qui appelle le quatrième, comme cela s’est toujours montré dans l’histoire de cet archétype. (p.299)
Et quand une quatrième personne vient rejoindre lui et ses potes en voyage, il y voit le pouvoir magique des archétypes ?!
[L'homme vieillissant] devrait pouvoir disposer d’un mythe de la mort, car la « raison » ne lui offre rien que la fosse obscure, dans laquelle il est sur le point d’entrer ; le mythe pourrait mettre sous ses yeux d’autres images, des images secourables et enrichissantes de la vie au pays des morts. Qu’il y croie ou qu’il leur accorde seulement quelque crédit, il a en cela autant raison ou tort que celui qui n’y croit pas. Mais tandis que celui qui nie s’avance vers le néant, celui qui obéit à l’archétype suit les traces de la vie jusqu’à la mort. (p.348)
Quoi ? Celui qui croit en des mythes a autant raison que celui qui n'y croit pas ? Alors autant s'offrir un baume réconfortant par l'aveuglement volontaire ?

Arg. Et je pourrais multiplier les exemples. Franchement, je suis à bout, je n'en peux plus. Concluons sur une remarque liée à la précédente, mais qui, pour changer, me semble être un îlot de pertinence :
Beaucoup d’êtres humains, à l’instant de leur mort, sont non seulement restés en deçà de leur propres possibilités, mais surtout aussi loin en arrière de ce que d’autres hommes avaient, déjà de leur vivant, rendu conscient ; d’où leur revendication d’acquérir dans la mort cette part de conscience qu’ils n’ont pas acquis durant leur vie. (p.351)
Je pourrais être tenté de lire d'autres bouquins de Jung. Et il a le mérite de me redonner envie d'explorer avec attention mon paysage onirique, comme à l'époque où je m’entrainais à me souvenirs de mes rêves et les notais au réveil.

450 pages, 1961, folio

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