dimanche 28 juillet 2024

Océanique - Greg Egan

Océanique - Greg Egan

Troisième recueil des nouvelles de Greg Egan en français, après les brillants Axiomatique et Radieux. Ici j'ai trouvé le niveau moyen peut-être légèrement inférieur (sans doute car je commence à être très familier avec l'auteur) mais ça reste le haut du haut du panier de la SF contemporaine.

Gardes-frontières (2/5)

Une suite à En Apprenant à être moi et Plus près de toi, nouvelles présentes dans Axiomatique. C'est un choix étonnant pour ouvrir ce recueil : ce statut de suite ne rend pas cette nouvelle très accessible, d'autant plus qu'elle débute par une longue scène de « football quantique » difficilement compréhensible. Ensuite, on retrouve un contexte habituel de Greg Egan : un univers post-mort où des humains virtualisés vivent éternellement dans des cités virtuelles, et ce contexte est pour moi quoi toujours aussi plaisant à explorer. Ici, chacun se livre donc à des jeux et à l'étude. Le focus de la nouvelle est sur un personnage qui a connu l'ancienne humanité et qui se souvient de la puissante et stimulante épée de Damoclès qu'était la mort ; 7000 ans plus tard, cette personne est toujours traumatisée par des horreurs vécues au cours de son antique vie charnelle. J'ai hélas trouvé que, cette fois, Greg Egan ne parvenait pas à convaincre sur le plan humain et ce drame intime n'a pas su me toucher.

Les Entiers sombres (4/5)

Encore une suite, cette fois à Radieux, du recueil éponyme. Il n'y a plus le charme de la découverte, ni la qualité d'une narration aussi esthétique et limpide, mais on replonge avec plaisir dans les mystères de ces mathématiques alternatifs qui hébergent une civilisation aux intentions ambiguës.

Mortelles ritournelles (5/5)

Une petite nouvelle simple et réussie. Le narrateur est spécialisé dans la musique publicitaire, et voilà qu'une nouvelle méthode de génération algorithmique de musique se propose de révolutionner l'industrie. Et ça marche : des mélodies horriblement inoubliables. Par contre, pour les quelques malheureux, tel notre narrateur, qui ont le malheur d'avoir une profonde sensibilité musicale, c'est le début de l'enfer. Le final boucle cette petite histoire avec une grande élégance : si entre la génération de richesse et la préservation de la sensibilité artistique il fallait choisir une alternative et éliminer définitivement l'autre... eh bien, tant pis pour les sensibles. La parabole fonctionne, c'est indéniable.

Le Réserviste (3,5/5)

Comme dans d'autres nouvelles de Greg Egan, les riches utilisent la bio-ingénierie pour s'élever encore plus loin des simples mortels, cette fois en cultivant des clones qui servent de stocks d'organes et de corps de substitution pour s'y faire greffer leur cerveau et ainsi avoir un joli corps tout neuf. L'idée n'est pas neuve, mais Egan la traite bien et peint efficacement ce petit monde de richissimes imbus d'eux-mêmes qui font tout pour atteindre l'immortalité et profiter de leurs dividendes jusqu’à la fin des temps. Dommage que la chute, où le protagoniste se retrouve piégé dans un corps indésirable, soit prévisible et, surtout, trop peu justifiée, ce qui la rend peu efficace narrativement.

Poussière (2/5)

Bizarre : j'ai l'impression d'avoir déjà lu cette nouvelle. Le coup du gars qui virtualise une copie de lui-même pour faire des expériences, la copie qui ne tolère pas sa situation et veut se désactiver, sauf que l'original ne le laisse pas faire... c'est terriblement familier. Cette nouvelle étant apparemment inédite dans ce recueil, peut-être Greg Egan a-t-il utilisé la même idée dans un de ses romans ? Quoi qu'il en soit, ces expériences entre copie et original ne sont guère passionnantes et mènent à l'idée à mon sens très douteuse, et peu satisfaisante narrativement, qui occupait le cœur de La Cité des Permutants.

(J'ai vérifié : c'est la bien la nouvelle qui a été écrite avant La Cité des Permutants et que Greg Egan a ensuite développé en roman. Il s'y passe donc bien les mêmes choses, et oui, j'ai bien déjà lu tout ça.)

Les Tapis de Wang (probablement 5/5 mais...)

Comme pour la précédente nouvelle, il se trouve que j'ai déjà lu celle-là, sous une autre forme. C'est en fait la nouvelle qui est à l'origine du roman Diaspora, dans lequel elle a été insérée telle quelle, ou presque. C'est assez frustrant, il faut bien l'avouer. Ceci dit, cette nouvelle est fort riche, aussi bien avec le concept de la diaspora (qui méritait en effet d'être développé en roman) et la forme de vie computationnelle éponyme (concept fascinant mais je ne suis toujours pas certain d'avoir bien compris d'où sortaient les computations). 

Océanique (5/5 avec félicitations du jury)

Du grand Greg Egan. Si une bonne partie de ses textes évoquent un futur où les humains sont dématérialisés, virtualisés, il explore ici un retour au corps de ces humains blasés. La narration se déroule sur une planète qu'on devine terraformée puis peuplée par ces humains démiurgiques qui appartiennent désormais à un passé vieux de 20000 ans. Le narrateur, l'un des millions de leurs descendants, après une expérience religieuse subjective mais extrêmement forte, se tourne de tout son cœur vers l'une des religions locales (toutes ont tendances à diviniser certains de ces lointains humains démiurgiques). Toute la trame explore la lente déconstruction de sa religion par le narrateur, jusqu'à une compréhension intime de la biochimie de l'expérience religieuse.

Cette trame fonctionne à merveille, d'autant plus qu'Egan prend son temps : il installe les enjeux éthiques et philosophiques pour les dénouer esthétiquement par la suite tout en développant des détails dont il aurait aisément pu se passer, notamment les interrogations existentielles des autochtones concernant leur origine, et le bizarre échange de sexe qui pour ces humains-là a lieu à chaque relation sexuelle (« Et j'ai dit tout à l'heure que les Anges avaient bien fait les choses ! Dix mille ans sans corps et ils pensaient être qualifiés... »). Il y aurait là de quoi faire un roman, mais Greg Egan concentre les enjeux et les idées en une longue nouvelle qui devient l'une de mes préférées de l'auteur, notamment grâce à sa déconstruction à la fois empathique et intransigeante du fait religieux.

J'apprécie la double pique sur le relativisme culturel de l'anthropologue, qui affirme que « toute vérité est à échelle locale » avant de se faire rabrouer par... les religieux, qui ont nécessairement besoin d'absolu. Et pour conclure :

Vous ne pouvez plus jamais être enchainé, du moment que vous êtes prêt à envisager que tout ce qui vous exalte l'esprit, que tout ce qui vous réchauffe le cœur et vous remplit de joie, que tout ce qui vous rend la vie d'être vécue... que tout ça ne soit qu'un mensonge, une imposture, que tout ça soit dénué du moindre sens.

Fidélité (5/5)

Une variation sur le thème (déjà présent notamment dans Axiomatique) des implants neuronaux qui modifient la personnalité à la demande. Cette fois, il s'agit d'un contexte de couple et de la possibilité de figer pour toujours les sentiments que l'on éprouve pour l'autre. Oui, on s'assure la stabilité, mais on renonce à tout changement, et peut-être à soi-même au passage. Une nouvelle simple qui explore fort pertinemment cette question morale.

Lama (4/5)

La forme est celle d'une enquête policière, comme dans Cocon, et le fond ressemble : il s'agit là aussi de contrôler une avancée technologique pour contrôler l'avenir de l'humanité. Cette fois, il s'agit d'un implant qu'on pourrait qualifier de linguistique : il permet de transformer chaque concept possible en mot, aussi complexe et détaillé soit-il, et, surtout, chacun de ces concepts peut être au choix vécu aussi intensément que s'il était réel, ou au contraire analysé avec une distance purement rationnelle. C'est la clé aussi bien de l'expérience subjective que de la compréhension intime et froidement réaliste de toute chose : un outil puissant, donc.

Yeyuka (4/5)

Dans un futur où la technique a éliminé la plupart des maladies, du moins un occident, un chirurgien désœuvré va en Ouganda pour utiliser ses talents en sauvant les victimes d'un « virus du cancer ». Greg Egan décrit fort bien le métier, avec quelques excellentes scènes d'opération, et parvient à installer à la fois une question globale (le rôle dans cette épidémie de la technique qui guérit l'occident) et une tension morale pour le narrateur (aller ou non jusqu'au bout de son idéalisme). 

Singleton (4,5/5)

Je crois que c'est la nouvelle la plus longue du recueil, et ce n'est pas la plus facile. Elle a, comme Océanique, le mérite de la densité : elle se déroule sur plusieurs décennies et Greg Egan prend le temps de développer ses personnages comme ses idées sans superflu. On est familier avec le déterminisme classique : le comportement des êtres vivants est intégralement déterminé par un réseau infiniment complexe de causes et d'effets, de l'échelle moléculaire à l'échelle culturelle en passant par l'échelle biologique. Soit, mais il y a pire : le déterminisme quantique. La théorie des univers multiples s'avère réelle, il se trouve que tous les états possibles existent en parallèle, et que donc les choix humains (que l'on croie à l'idée de choix ou non) ne signifie strictement rien puisque, face à n'importe quel choix, il existe des versions de nous ayant réalisé toutes les possibilités : l'individu particulier que nous sommes n'est dont qu'un seul jet de dés parmi un univers total qui inclut tous les résultats possibles à ce jet de dé. Je l'avoue, je n'ai pas compris la physique quantique fictive qui prouve cet état de fait. 

Notre narrateur se met donc au travail pour créer Helen, une IA d'apparence humaine qui, grâce à un tour de passe-passe quantique (Egan en est très friand), ne subit pas de division à chaque choix, étant ainsi libérée du déterminisme quantique. Est-ce que ça change quoi que ce soit à l'expérience du quotidien ? Je ne crois pas : c'est avant tout un acte philosophique.

Oracle (4,5/5)

Une suite à la nouvelle précédente. Je suis rarement amateur d'histoires de voyage temporel, mais là, Greg Egan s'en sort admirablement. La Helen de Singleton voyage à travers les univers multiples pour aider chaque version de la terre à se libérer du déterminisme quantique. L'aspect technique du voyage temporel, ou plutôt multiversel, est expédié rapidement, et c'est tant mieux : je ne serai pas convaincu dans tous les cas.

On suit deux personnages, au milieu du vingtième siècle : Stoney, le scientifique inspiré par turing qu'Helen va prendre sous son aile pour lui insuffler la connaissance, et Hamilton, l'universitaire écrivain et catholique, qui fortement à C.S. Lewis. Le traitement de ces deux personnages et de leur relation est admirable. Stoney, génie marginal à la curiosité dévorante, incarne l'ouverture d'esprit et le progrès ; à l'inverse, Hamilton est piégé dans la toile gluante de la foi. La brillance de l'auteur est de faire de Hamilton un personnage cohérent et honnête à sa façon : il fait de son mieux pour faire le bien selon sa morale personnelle et il ose se frotter à la science de Stoney. La nouvelle culmine dans une excellente scène de débat entre les deux.

Le Contient perdu (3/5)

Ici, le concept SF (des failles temporelles instables qui permettent à des gens de se déplacer entre des Terres parallèles) n'est qu'un simple prétexte pour un récit qui prend le point de vue d'un réfugié. Le narrateur fuit son pays en guerre et se retrouve bloqué dans des camps. C'est bien documenté, Greg Egan s'étant engagé personnellement dans son Australie native pour la défense des réfugiés, mais il n'y a aucune conclusion satisfaisante et l'aspect idées est sans aucun doute pertinent mais néanmoins simpliste et convenu (pauvres réfugiés face à l'injustice). Greg Egan a dit à propos de cette nouvelle qu'il l'a écrite « just to get some of the anger out of my system and move on ».

mardi 23 juillet 2024

Latium - Romain Lucazeau

Au début, j'y ai cru. L'écriture est clairement supérieure à la moyenne et on a l'impression que le roman va être riche en idées, voire en exploration de concepts philosophiques. De même, le point de départ est très aguichant : longtemps après l'extinction de l'humanité ne demeurent que des IA qui habitent (ou plutôt qui sont) de colossaux vaisseaux spatiaux, IA qui sont tragiquement toujours liées par le carcan, les trois lois asimoviennes de la robotique. Tragique et plutôt cool, d'autant plus que ces IA ont tendance à scinder leur conscience en différentes sous-personnalités qui ont chacune leurs propres motivations, au risque d'autodestruction si ces motivations s'éloignent trop les unes des autres.

Donc oui, Latium de Romain Lucazeau n'est pas un mauvais roman ; je dirais même qu'il pourrait valoir le coup pour qui a peu lu de SF et cherche des grands concepts. Ceci dit, pour moi, toutes ces belles prémices se sont rapidement écroulées. Je n'ai lu que les deux tiers du premier volume avant de laisser tomber.

Tout d'abord, les batailles spatiales, ou plutôt la bataille spatiale dont je n'ai pas vu le bout : mais que c'est long et dénué d'intérêt. J'ai tendance à penser que les longues scènes de bataille sont intrinsèquement superflues (surtout dans un roman qui se veut à idées) et qu'elles gagnent à être sublimées en quelques pages, mais, surtout : comment invoquer la moindre tension narrative, le moindre sens, quand l'identité même des antagonistes est inconnue ? Ce sont des aliens barbares, ok, c'est tout ce qu'on sait. Il n'y a pas d'idées opposées, de systèmes de pensée en tension, juste des dizaines et des dizaines de pages soporifiques.

Autre chose : d'un côté, on suit ces IA démiurgiques, de véritables dieux vivants, et de l'autre... des personnages à échelle humaine. Il y a ces hommes-chiens, crées par une IA pour contourner le carcan et pouvoir combattre les aliens (excellente idée), et cette femme artificielle crée par une IA (encore) pour incarner un esprit d'IA dans un corps de chair. Je dirais qu'au moins la moitié du texte est consacrée à ces personnages, et c'est complètement superflu : dans un contexte où des IA démiurgiques contrôlent tout, ces individus de chair sont condamnés à être terriblement passifs et ennuyeux. De fait, il ne se passe strictement rien de conséquent avec eux et je ne comprend pas l'inclusion de leur perspective. Celle-ci n'a qu'un effet : diluer considérablement la narration et me pousser à tout lire en diagonale.

Ensuite, l'aspect idées du roman. Inévitablement, c'est hautement familier : Asimov, Iain Banks, Dan Simmons... Pour qui a lu pas mal de SF, il y a une très forte (et désagréable) impression de pot-pourri prémâché, et ce d'autant plus que l'aspect philosophique de Latium s'avère rapidement n'être qu'un mince vernis. Certes, l'auteur nous balance du « ontologique », des références à Platon et une myriade de termes grecs, mais derrière cette façade, pas grand-chose. La façade devient donc fortement irritante.

Je le redis, il y a du bon dans Latium, mais en l'état, je ne peux m'empêcher de penser que le roman aurait dû être expurgé de plus de la moitié de son contenu (les interminables batailles et les perspectives inconséquentes) pour se concentrer sur le cœur narratif qui semble pouvoir fonctionner : le sort tragique de ces IA toutes-puissantes.

vendredi 19 juillet 2024

Le génie du sol vivant - Bernard Bertrand & Victor Renaud

Le génie du sol vivant - Bernard Bertrand & Victor Renaud

Je n'ai aucun doute que les auteurs ont des tas de connaissances et des décennies d'expérience. Ceci dit, comme pour la plupart de mes lectures précédentes aux éditions Terran, à savoir De greffes en greffes, la forêt fruitière et L'urine, de l'or liquide au jardin, j'ai trouvé ce Génie du sol vivant mauvais au point d'être quasi illisible.

Je crois ne pas exagérer en disant qu'il y a dans ce livre plus de points d'exclamation et de points de suspension que de simples points. Le style rappelle celui d'un soixantenaire complotiste qui poste de longues tirades incohérentes sur Facebook (« Et dans ce domaine, la science n'explique pas tout, voilà qui dérange beaucoup ! »). Ne parlons même pas de la construction, qui fait toujours aussi vrac, ni du travail de mise en page, clairement amateur, ni des très, très nombreuses coquilles. On fait face à une suite de micro paragraphes sans liens sémantiques clairs et à un propos très général et confus. Les auteurs tapent sur la science, semblant confondre la science et les applications de la science, tout en se revendiquant de personnages douteux comme Jean-Marie Pelt

Quelques exemples pour évoquer, justement, le sérieux scientifique du livre. Je cite :

L'azote est très présent dans l'atmosphère, puisqu'il représente 78,11 % de sa masse totale, contre 20,953 % pour l'oxygène, 0,934 % pour l'argon, alors que le taux de carbone n'est que de 0,038 %. Pour l'azote, cette masse représente en permanence plus de 45 000 tonnes de matières premières dont peuvent bénéficier directement l'écosystème et ses habitants...

Si je comprends bien (et ce n'est pas évident), ils affirment qu'il y a 45 000 tonnes d'azote dans l'atmosphère. C'est n'importe quoi. Et pas besoin d'avoir une thèse en physique pour remarquer que c'est bien, bien trop bas. Il faudrait multiplier ce nombre par quelque-chose comme 80 milliards pour s'approcher du bon nombre. Sacrée marge d'erreur.

Ensuite, leur expérience pour prouver l'efficacité de différents types de paillage. Ils installent 3 lots de 2 courgettes (c'est peu mais admettons), le premier avec un mulch d'adventices, le second avec un mulch de BRF, le troisième avec un mulch épais de racines et déchets verts grossiers de type ronce. Le troisième lot produit plus, ce qui confirme leur propos. Ou pas : ce test est absolument risible, puisqu'alors que le premier lot avait précédemment hébergé choux et poireaux, et le second des pommes de terre, le troisième accueille sa première culture après en plus toute une année de paillage riche. Alors oui, le sol qui n'avait pas été appauvri (et au contraire enrichi) l'année précédente produit plus. Sans blague.

Allez, un dernier point. Je cite, en vous épargnant les retours à la ligne entre chaque phrase :

La théorie commune partage le monde vivant en deux règnes : animal et végétal. Sauf que voilà, il y a des êtres vivants rebelles dont on considère qu'ils ne rentrent pas dans ces cases-là. Et patatras, des siècles de certitude qui s'écroulent... Bref, on cherche toujours la place des bactéries, actinomycètes, mycètes (les fungus, ou champignons), mais aussi des algues, dans le règne du vivant !

Juste : non. Évidemment, la science est en perpétuel mouvement et de nouvelles connaissances viennent en détrôner ou complexifier des précédentes, mais là, on n'est pas loin du pur mensonge obscurantiste. La « théorie commune » s'accorde actuellement sur une classification à sept règnes et développe une vision complexe et détaillée de l'évolution de ces différents règnes.

Je m'arrêterai là.

lundi 15 juillet 2024

Humus - Gaspard Koenig

Humus - Gaspard Koenig

Un roman qui s'attaque avec sérieux au thème de l'écologie et choisit d'aller assez loin avec, jusqu'à flirter avec de l'anticipation : ce n'est pas le Ministère du Futur français, mais les mêmes échos sont là. Nos deux protagonistes sortent d'une grande école d'agro et prennent deux directions différentes. Arthur se fait néo-rural typique, reprenant naïvement une vieille ferme et tentant d'y réintroduire la vie sur un sol assassiné par des décennies de pratiques culturales destructives, alors que Kevin se lance dans l'entreprenariat à grande échelle, façon croissance verte, ou plutôt illusion de croissance verte. Notons au passage l'inversement des positions sociales : le fils de bourgeois retourne à la terre, le fils de prolo brasse des millions.

Ce qui relie ces deux protagonistes, en plus de leur amitié, ce sont les vers de terre. Car oui, des investisseurs de la Silicon Valley vont investir des millions dans une startup de lombricompostage française ! L'auteur a fait ses devoirs sur ce sujet et il récite fidèlement ce qu'on trouve dans par exemple dans Des vers de terre et des hommes de Marcel Bouché (qui est peut-être l'inspiration pour Marcel Combe, le savant des vers de terre qui embrigade nos deux étudiants). Ces passages sont assez scolaires, et c'est par ailleurs regrettable que Gaspard Koenig ne parvienne pas à convaincre quand il évoque, ne serait-ce que de loin, la science du sol. Le sol de la ferme rachetée par Arthur semble définitivement flingué par la monoculture, les intrants chimiques et le labour, mais comment exactement ? Mystère. L'auteur en fait des tonnes à ce sujet, on aurait aimé mieux plonger dans ce sol. D'autant plus que, bizarrement, Arthur parvient malgré tout à développer une activité maraichère profitable et réussie sur une partie de son terrain, pendant que l'auteur continue à nous bassiner sur le sol mort de ce même terrain. 

Sinon, ça se lit avec grand plaisir. L'écriture est juste assez légère pour se gober aisément sans sembler inexistante, la trame avance avec un bon rythme en réussissant toujours à amener développements curieux et idées dignes d'intérêt — il y a même l'inévitable auto mise en scène ironique de l'auteur. Ça fait un peu Houellebecq, notamment avec l'aspect anticipation, mais les scènes de sexe, quoique parfois bizarres, restent moins glauques (et je ne m'en plains pas). Une grande qualité du roman est l'efficacité de la satire sociale qui s'y déploie : que ce soit du côté des bourgeois néo-ruraux qui s'intègrent dans un trou paumé en compagnie de naturopathes/sexologues/pseudo-sciencologues, d'agriculteurs plus ou moins bornés et de zadistes hyperconnectés, ou de l'univers grotesque de la startup nation où on se gargarise de l'idée de méritocratie alors qu'on doit tout aux millions de papa et aux relations de tata (avec en bonus entrepreneuse arnaqueuse inspirée par Elizabeth Holmes), on sent que Gaspard Koenig connait son sujet.

La lecture de la page Wikipédia de l'auteur vaut le coup, le bonhomme a l'air digne d'intérêt, et il parvient dans Humus à garder un flou idéologique stimulant. Le capitalisme vert est-il fondamentalement oxymorique et corrompu, ou Kevin aurait-il dû mettre de côté un moralisme trop rigide et prendre sur lui, accepter des contradictions temporaires au profit de réels bénéfices écologiques futurs ? Arthur agit-il de façon complètement grotesque en s'enterrant dans sa ferme, ou le retour à l'ultra-local est-il décisif ?  Quant à la tentative de révolte mondiale qui conclue le roman : cette volonté de destruction totale de la société technicienne est-elle pertinente ou non ? Pas de réponse à cette question dans Humus. Aucun moralisme, et bravo à l'auteur pour avoir réussi à se tenir à cet angle.

J'apprécie ce final maximaliste, et notamment la façon dont Extinction Rébellion est posée comme couverture pour une organisation bien plus radicale, même si une telle tentative de révolution mondiale aurait pu être le sujet d'un roman à part entière et l'idée est ici clairement à l'étroit. Si Gaspard Koenig n'offre aucune solution à la tragédie écologique en cours — et même après lecture du roman il est difficile de percevoir à quel point l'auteur la prend au sérieux — il évoque excellemment le désespoir et la souffrance que cette tragédie provoque chez qui la perçoit.

lundi 8 juillet 2024

Je sème des engrais verts - Pascal Aspe

Je sème des engrais verts - Pascal Aspe

Je n'attendais pas grand-chose de cette collection aux livres très fins, mais là, il y a tellement peu de contenu qu'on se demande à quoi ça sert de faire un livre. Ça fait 80 pages remplies essentiellement de photos superflues. Il n'y a que 9 engrais verts détaillés (pas la féverole par exemple) et leur description est anémique. La construction de l'ouvrage est douteuse, avec par exemple deux parties différentes portant le même titre ("Attirer les auxiliaires") pages 23 et 59.

L'auteur mentionne dès l'intro broyage et enfouissement des engrais verts, et répète ces conseils par la suite, sans les détailler. Broyer comment ? Pourquoi ? Et pourquoi enfouir ? Pourquoi ce ne serait pas assez bien de laisser l'engrais vert en surface, laissant ainsi faire la décomposition naturelle et paillant par la même occasion ? Il conseille aussi de laisser les sols argileux à nus l'hiver, pour que le gel brise les mottes. Pourquoi pas, mais quand on va ainsi à l'encontre d'une règle permaculturelle qui à priori fait sens (ne jamais laisser les sols à nu), il faut prendre le temps de détailler. Pas un mot sur le couchage des engrais verts.

Ci-dessous, quelques notes, à commencer par un rappel du rôle des engrais verts :

  • Décompacter et aérer le sol via leurs racines
  • Protéger contre l'érosion, le tassement et le soleil
  • Enrichir le sol (tant que les engrais verts sont laissés en place)
  • Empêcher les adventices de se développer

La matière organique qui se décompose suit deux voies : la minéralisation (court terme, notamment l'azote) et l'humification (long terme, notamment le carbone). Les engrais verts non seulement peuvent prélever les nutriments en profondeur pour les restituer à la surface, mais ils empêche aussi le lessivage des nutriments en les employant. Je note pour les semis d'automne la pertinence de mélange seigle et vesce ; la moutarde (bonne pour extraire le phosphore des roches) et le sarrasin pour le printemps et l'été. Les légumineuses, plus lentes, sont surtout semées en automne. Ne pas hésiter à semer les engrais verts de fin d'été/automne parmi les cultures précédentes (courges, tomates).

mercredi 3 juillet 2024

Biologie de Campbell #11 - La communication cellulaire

LES SIGNAUX EXTERNES SONT CONVERTIS EN RÉPONSE DANS LA CELLULE 

Les cellules communiquent grâce à des signaux chimiques, par exemple des hormones, ou des phéromones (entre individus différents). Pour que le message soit transmit, il faut une adéquation entre la substance transmise et le récepteur cible. Par exemple, c'est indispensable pour que les micro-organismes, comme les levures unicellulaires, s'accouplent uniquement entre membres d'une même espèce : elles se reconnaissent car le facteur (phéromone identificateur) de l'une active (et donc est compatible avec) le récepteur de l'autre.

Chez la levure, une fois le facteur de reconnaissance sexuelle liée au récepteur, se déroule une série d'étapes chimiques (voie de transduction du signal) qui provoque la réponse cellulaire de l'accouplement. La transduction du signal est très similaire chez les organismes plus complexes comme les animaux. Donc, sur le plan évolutionnaire, ces mécanismes sont apparus chez un ancêtre commun, il y a plus d'un milliard d'années.

Les bactéries utilisent une méthode similaire pour communiquer entre elles via signaux chimiques et coordonner leurs comportements, par exemple en signalant la nécessité de former des spores quand la nourriture commence à se faire rare. Ainsi, une méthode pour lutter contre les infections bactériennes pourrait être de brouiller ces signaux chimiques.

Comme vu dans les chapitres précédents, les cellules des organismes multicellulaires peuvent communiquer par contact direct :

  • Via les jonctions cellulaires, qui sont comme des portes entre les cellules
  • Par reconnaissance intercellulaire, quand deux cellules interagissent via des molécules membranaires (c'est la forme 3D de la molécule qui une cellule forme une "clé" alors que sur une autre il y aura la "serrure" appropriée)

 Il existe aussi des types de communication locale sans contact direct :

  • La communication paracrine : la cellule qui doit émettre un signal sécrète des molécules de signalisation. C'est le cas par exemple pour les facteurs de croissance, des composés qui incitent des cellules adjacentes à croitre et à se diviser. 
  • La communication synaptique : elle a lieu dans le système nerveux des animaux. Un potentiel électrique propagé le long du neurone déclenche la sécrétion de molécules de neurotransmetteurs. Ces molécules agissent comme des signaux chimiques : elles diffusent dans la fente synaptique (l'espace étroit séparant le neurone de la cellule cible) et provoquent une réponse chez la cellule cible.

La communication à distance, chez les végétaux comme chez les animaux, fait appel aux hormones. Chez les animaux, des cellules endoctrines spécialisées sécrètent des hormones dans les liquides corporels, généralement dans le sang. Les hormones ciblent des cellules situées ailleurs dans l'organisme. Les régulateurs de croissance végétaux empruntent parfois les tissus conducteurs de sève, mais, la plupart du temps, elles atteignent leur destination en passant de cellule en cellule ou diffusent sous forme de gaz dans l'atmosphère.

Par exemple, et de façon schématique, l'adrénaline active l'hydrolyse du glycogène stocké dans les cellules hépatites ou musculaires : c'est le début d'une série de réactions qui servent à produire de l'énergie dans les cellules du foie et des muscles. En somme, en réaction à un stress physique ou émotionnel, l'adrénaline sécrétée par les glandes surrénales mobilise les réserves de combustible.

La taille et la nature des hormones est variable. Par exemple, l’éthylène, régulateur de croissance végétal qui aide à faire murir les fruits, est un hydrocarbure qui contient seulement 6 atomes assez petits pour traverser les parois cellulaires, alors que l'insuline, l'hormone animale qui régule la concentration de glucose sanguin, est une protéine formée de 51 acides aminés et donc de plusieurs centaines d'atomes.

Aperçu des trois phases de la communication cellulaire :

  • Réception. Une cellule cible détecte un signal externe. Un signal chimique est détecté quand la molécule de signalisation se lie à un récepteur protéique de la cellule cible. 
Il existe différents types de récepteurs protéiques, et ils comptent pour 30% de toutes les protéines humaines. Ils sont très difficiles à étudier tout en étant la cible d'une grande partie des médicaments. Les récepteurs intracellulaires ont souvent pour rôle d'activer ou désactiver des gènes spécifiques.
  • Transduction. Quand elle se lie au récepteur protéique, la molécule de signalisation le modifie de façon à amorcer la phase de transduction. Le signal est converti en une forme capable d'engendrer une ou plusieurs réponses cellulaires, ce qui requiert souvent des modifications successives de plusieurs molécules : c'est la voie de transduction du signal. 
Le processus d'activation ou de désactivation des protéines s'appelle cascade de phosphorylations. Ils existe aussi en plus des protéines des plus petites molécules et des ions qui transmettent le message, ce sont les seconds messagers : comme ils sont plus petits et plus hydrosolubles, ils se diffusent facilement dans le milieu intracellulaire.

Par exemple, la bactérie du choléra modifie chimiquement une protéine de la phase de transduction qui régule la sécrétion d'eau et de sel dans la lumière intestinale. Cette protéine est bloquée dans une phase active et ne peut stopper sa stimulation : elle produit en continue des seconds messagers (AMP cyclique) qui activent la sécrétion de sels dans l'intestin, sels qui entrainent l'eau par osmose et provoque diarrhées.
  • Réponse. Accomplissement de la fonction recherchée.

Un grand nombre de voies de transduction aboutissent à la régulation de la synthèse de protéines, habituellement par l'activation ou la désactivation de gènes spécifiques dans le noyau. Il peut s'agir de l'activité des protéines. L'ampleur et la spécificité de la réponse sont régulées de multiples manières :

  • L'amplification du signal : une cascade enzymatique élaborée permet d'augmenter considérablement le nombre de molécules impactées par un signal. Ainsi, par exemple dans le cas de l'adrénaline, pour un seul récepteur activé par une molécule d'adrénaline, la cascade enzymatique permet au final la libération de 10⁸ molécules de glucose-1-phosphate. C'est ce qui explique pourquoi les hormones peuvent agir à des doses très faibles. (Une molécule signal active 10 cellules cible, celle-ci libère 10 molécules qui activent chacune 100 cellules cibles, etc.)
  • La spécificité de la communication cellulaire : en fonction des particularités de chaque cellule (selon les gènes qu'elles actives), elles ne répondent pas de la même façon au même signal. Par exemple, l'adrénaline pousse les cellules hépatiques à dégrader le glycogène, alors qu'elle stimule la contraction des cellules musculaires.
  • La cessation du signal : lorsque la concentration externe des molécules de signalisation diminue, moins de récepteurs sont liés à tout moment, et les récepteurs qui ne sont pas liés reviennent à leur forme inactive.

Pour qu'une cellule exprime la réponse appropriée, il faut souvent que les protéine cellulaires intègrent des signaux multiples. C'est le cas de l'apoptose : une forme de suicide cellulaire. Durant l'apoptose, des agents cellulaires coupent l'ADN et fragmentent les organites et autres composants cytoplasmiques. La cellule rétrécit et forme des lobes, et les diverses parties de la cellule sont emballées dans des vésicules, puis avalées et digérées par les cellules phagocytaires voisines. L'apoptose protège ces cellules voisines des dommages qui occurreraient si les contenus de la cellule étaient simplement libérés. L'apoptose se déclenche, entre autres causes, si l'ADN de la cellule en endommagé.