Un roman qui s'attaque avec sérieux au thème de l'écologie et choisit d'aller assez loin avec, jusqu'à flirter avec de l'anticipation : ce n'est pas le Ministère du Futur français, mais les mêmes échos sont là. Nos deux protagonistes sortent d'une grande école d'agro et prennent deux directions différentes. Arthur se fait néo-rural typique, reprenant naïvement une vieille ferme et tentant d'y réintroduire la vie sur un sol assassiné par des décennies de pratiques culturales destructives, alors que Kevin se lance dans l'entreprenariat à grande échelle, façon croissance verte, ou plutôt illusion de croissance verte. Notons au passage l'inversement des positions sociales : le fils de bourgeois retourne à la terre, le fils de prolo brasse des millions.
Ce qui relie ces deux protagonistes, en plus de leur amitié, ce sont les vers de terre. Car oui, des investisseurs de la Silicon Valley vont investir des millions dans une startup de lombricompostage française ! L'auteur a fait ses devoirs sur ce sujet et il récite fidèlement ce qu'on trouve dans par exemple dans Des vers de terre et des hommes de Marcel Bouché (qui est peut-être l'inspiration pour Marcel Combe, le savant des vers de terre qui embrigade nos deux étudiants). Ces passages sont assez scolaires, et c'est par ailleurs regrettable que Gaspard Koenig ne parvienne pas à convaincre quand il évoque, ne serait-ce que de loin, la science du sol. Le sol de la ferme rachetée par Arthur semble définitivement flingué par la monoculture, les intrants chimiques et le labour, mais comment exactement ? Mystère. L'auteur en fait des tonnes à ce sujet, on aurait aimé mieux plonger dans ce sol. D'autant plus que, bizarrement, Arthur parvient malgré tout à développer une activité maraichère profitable et réussie sur une partie de son terrain, pendant que l'auteur continue à nous bassiner sur le sol mort de ce même terrain.
Sinon, ça se lit avec grand plaisir. L'écriture est juste assez légère pour se gober aisément sans sembler inexistante, la trame avance avec un bon rythme en réussissant toujours à amener développements curieux et idées dignes d'intérêt — il y a même l'inévitable auto mise en scène ironique de l'auteur. Ça fait un peu Houellebecq, notamment avec l'aspect anticipation, mais les scènes de sexe, quoique parfois bizarres, restent moins glauques (et je ne m'en plains pas). Une grande qualité du roman est l'efficacité de la satire sociale qui s'y déploie : que ce soit du côté des bourgeois néo-ruraux qui s'intègrent dans un trou paumé en compagnie de naturopathes/sexologues/pseudo-sciencologues, d'agriculteurs plus ou moins bornés et de zadistes hyperconnectés, ou de l'univers grotesque de la startup nation où on se gargarise de l'idée de méritocratie alors qu'on doit tout aux millions de papa et aux relations de tata (avec en bonus entrepreneuse arnaqueuse inspirée par Elizabeth Holmes), on sent que Gaspard Koenig connait son sujet.
La lecture de la page Wikipédia de l'auteur vaut le coup, le bonhomme a l'air digne d'intérêt, et il parvient dans Humus à garder un flou idéologique stimulant. Le capitalisme vert est-il fondamentalement oxymorique et corrompu, ou Kevin aurait-il dû mettre de côté un moralisme trop rigide et prendre sur lui, accepter des contradictions temporaires au profit de réels bénéfices écologiques futurs ? Arthur agit-il de façon complètement grotesque en s'enterrant dans sa ferme, ou le retour à l'ultra-local est-il décisif ? Quant à la tentative de révolte mondiale qui conclue le roman : cette volonté de destruction totale de la société technicienne est-elle pertinente ou non ? Pas de réponse à cette question dans Humus. Aucun moralisme, et bravo à l'auteur pour avoir réussi à se tenir à cet angle.
J'apprécie ce final maximaliste, et notamment la façon dont Extinction Rébellion est posée comme couverture pour une organisation bien plus radicale, même si une telle tentative de révolution mondiale aurait pu être le sujet d'un roman à part entière et l'idée est ici clairement à l'étroit. Si Gaspard Koenig n'offre aucune solution à la tragédie écologique en cours — et même après lecture du roman il est difficile de percevoir à quel point l'auteur la prend au sérieux — il évoque excellemment le désespoir et la souffrance que cette tragédie provoque chez qui la perçoit.
Un bon roman qui parle du diktat du rendement, de la fracture entre les villes et la campagne, de l’etiolement des relations humaines entre autres.Bien rendu dans ta chronique.
RépondreSupprimerJe pense lire ”Notre vagabonde liberté ”du même auteur.
Oui, et tu avais mentionné Humus dans un commentaire ici même il y a un certain temps ;)
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