Plus encore que dans Schild's Ladder, Greg Egan se lance avec Diaspora dans une exploration de l'inconnu complètement maximaliste. On retrouve ce trait propre à l'auteur, le rejet de la chair : rapidement dans le récit, les derniers humains incarnés sont rayés du réel par la froide violence de la physique. Restent ceux qui habitent dans des machines, dont il n'est guère question, et les humains purement virtualisés, qui seront nos protagonistes. Ceux-ci vivent dans des polis, c'est-à-dire des ordinateurs. Chaque polis à sa propre culture, et nombre de ces posthumains sont tentés par le solipsisme et s'égarent à jamais dans le virtuel.
Any citizen with a mind broadly modeled on a flesher’s was vulnerable to drift: the decay over time of even the most cherished goals and values. Flexibility was an essential part of the flesher legacy, but after a dozen computational equivalents of the pre-Introdus lifespan, even the most robust personality was liable to unwind into an entropic mess.
Le roman commence par un acte de création, la création d'une vie humaine purement virtuelle au sein d'une polis. On y retrouve une virtualisation de la génétique charnelle. Je suis encore une fois assez sceptique envers cette tendance qu'a l'auteur à dénigrer la chair : je suis persuadé que la majorité des humains voudraient conserver l'incarnation charnelle, mais une incarnation charnelle aussi améliorée que possible, option qui n'est pas considérée ici. Au final, ce passage du charnel à la machine puis à la désincarnation me rappelle vivement 2001 de Clarke, dont cette vision de l'avenir humain à très long terme m'avait profondément marqué il y a très longtemps.
La diaspora en question est l'exploration de l'univers, puis d'autres univers. Elle est motivée par un mystère cosmique qui remet en question le modèle physique communément accepté et menace la vie. Les quelques humains assez curieux pour s'y lancer se clonent des milliers de fois et s'élancent dans toutes les directions, mettant ou non leur temps subjectif en pause. Comme dans d'autres romans d'Egan, ils utilisent des outlooks pour choisir une partie de leurs émotions et désirs. L'esprit humain devient un programme capable de se modifier lui-même.
En chemin, nos explorateurs découvrent notamment que la vie virtuelle a eu l'occasion d'évoluer naturellement dans le chaos d'organismes computationnels. Ainsi le "réel" a-t-il vraiment quoi que ce soit d'intrinsèquement supérieur au "virtuel", si ce dernier est naturel ? Le voyage continuera à la poursuite d'autres entités, dans des dimensions supérieures et des univers infinis. On retrouve de nombreuses références à Flatland et je ne serait pas étonné que Liu Cixin ait trouvé là de l'inspiration pour sa trilogie du Problème à trois corps. Cependant, même si la vie est légion, même si l'espace est sans fin, la flamme de la conscience est inévitablement limitée.
Si je n'avais guère apprécié La cité des permutants, généralement considéré comme l'un des meilleurs romans de Greg Egan, et si j'ai peut-être préféré le focus de Schild's Ladder, j'ai été convaincu par Diaspora. Je ne vais prétendre avoir compris ne serait-ce que la moitié des questions de physique abordées, mais il y a là des thèmes qui me fascinent intimement. On explore le temps et l'espace, la conscience et la pulsion de vie, à des échelles considérables et via des perspectives rares. L'étincelle humaine se débat dans l'océan de la nuit, et quelles que soient les merveilles qu'elle y trouve, l'océan reste un océan et la nuit reste la nuit.
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