Un assez long poème écrit il y a peut-être un mois. Pour voir les précédents : Poèmes, Poèmes II, Brouillard, Poèmes III, Logorrhée et autres poèmes et En ville.
Il n'y a rien qui tienne
J'ai beau me donner de la peine
L'avenir du jardin
C'est la tragédie des communs
L'holocène a cédé aux sirènes
Des fossiles faussement amènes
Qui nous malmènent en traîtres mécènes
Sans que personne ne tienne les rênes
Le pétrole coagule dans nos veines
La bouffe pourrit dans les bennes
J'ai la carotide sous un canif
Et on me dit « sois pas si négatif »
Dans les Alpes au clair d'étoiles
Sourde une bruyante abbatiale
Où je fais mauvais usage de l’amphore
En buvant le fruit des contreforts
Au petit matin je grimpe dans la caillasse
Et me fantasme hors de la crasse
Mais toujours il faut revenir en bas
Je ne suis ni Diogène ni Zarathustra
L'univers est hostile à la raison
Il me l'affirme sans émotion
Tout ce qui un jour gigote
Est né avec son propre antidote
Je passe des heures à trier les déchets
Cultivés là où il y avait des forêts
Par kilos je les jette au compost
C'est la rançon du low-cost
J'ai le bacille Dagerlöff sur les pupilles
Dans les rues je vois sous la coquille
Des vivants à crédit qui déambulent
Entre les ruines écorchées par la canicule
J'habite dans ce désert endiablé
Parfois le matin je vais y prendre un café
Venu de l'autre bout du monde
En flottant sur des mers moribondes
Sous les nobles pierres de la fac occupée
J'erre dans cette galère avec un échiquier
Mais je n'ai guère le temps de m'éterniser
Ce sont des soirs où je dois aller travailler
Il me faut m’agiter face à des clients mutilés
Si privés d’être qu’ils viennent là le simuler
Et je me fous de cette futilité bétonnée
Pour laquelle je suis vaguement payé
L'occupation je n'y passe pas mes nuits
Mais je funambule sur les toits gris
Aujourd’hui dans l'institution malade
Il n'y a personne, ils sont tous à la ZAD
L’université vous grignote et vous mâche
Vous digère lentement et vous recrache
Le bétail étudiant est sa nourriture
Qu’on abat pour sauver les investitures
Sous les nuages c'est un blocage
Je suis égaré au milieu des ravages
De la gestion des stocks, des containers
Du juste à temps aux lourdes œillères
Je songe à Sénèque et sa richesse
À Marc-Aurèle et sa largesse
À l'indomptable liberté d’Épictète
Et à Épicure, qui vaut tous les prophètes
Comme lui j'ai cru mourir dans ma baignoire
Terrassé par le même assommoir
C'est aux urgences que comme par ironie
J'ai failli y passer par bradycardie
La souffrance est une utile leçon
Quand elle te plaque la tête sur le goudron
Et te rappelle que comme pour ta mère
C'est peut-être le poignard du cancer
Celui-là est invisible et se la joue Damoclès
Je me passerais bien de flirter ainsi avec Hadès
Mais quoi ! ce ne serait pas ma première mort
Et je sais ce qui attend au bout du corridor
Certains la croient divine cette flamme eschatologique
Qui s’abat sur les peuples neurasthéniques
Ils rêvent encore à une essence équivoque
Qui serait aux commandes de l'époque
Merde ! faut pas que je parte sur les religions
Ces abjections attisent tant mon aversion —
J’ai semé huit grains dans la glaise et un seul à germé
On ne m'a jamais appris l'aise des gestes de fertilité
Ce n’est pas par soif que je bois à la fontaine de Castalie
Mais pour me lier par l’acte à mes ancêtres infinis
Qui sur leur chemin inconnu, en toge ou en pagne
Se sont désaltérés avec l’eau née de la montagne
Quand je récolte des châtaignes dans les bois
Malgré les épines qui piquent mes doigts
Ce n’est pas par simple gourmandise immédiate
Mais pour célébrer la mémoire de ce geste spartiate
Embarqué dans la fureur de l’immédiateté
Il n’y a aucune honte à se tourner vers le passé
Tant que nos yeux restent ouverts avec droiture
Sur cette irritante progéniture qu’est le futur
Quand je parle de cette bête sauvage
Les profanes détournent le visage
Non pas qu’ils me croient menteur
C’est juste un réflexe funeste face à la peur
À la gare le chien renifle sur moi des effluves de C
Je touche pas à cette merde, je suis pas un demeuré
Mais les pochons volettent comme des baudruches
Avec la contenance du remède à nos embûches
L’ami de mon ami me sidère par son charlatanisme
Ce « magnétiseur » me fait un show d’un tel archaïsme
Que j’en deviendrais presque misanthrope — et c’est fou
Mais ces déchus portent leur paille autour du cou
Je suis dans un squat que je ne saurais qualifier
Il parait que c’est cabaret dans ces chambres ombragées
Plus de place au peep-show mais le diable est au cellier
Et dans la pléiade un fakir marche sur des tessons aiguisés
Sous les branches m’hypnotise un braséro rouge et noir
L’herbe avalée frappe ses coups de butoir
Les toilettes pour homme c’est au fond du jardin
Et on s’échine comme les démons dostoïevskiens
Mes souvenirs entrecroisés à la réalité
Sont bien modestes en quantité comparés
Au temps passé à bouquiner et à glander
Bloqué devant du papier et du bruit pixelisé
La plume de Lovecraft est un chatoiement
Luxuriant qui ravitaille les insignifiants
Mais c’est de l’optimisme, je le crains
Que de mettre autant de vie dans le rien
Enfant j’ai grandi dans un train
Je traversais la France en orphelin
Et quand il n’y avait personne à la gare
Je grimpais la côte sans m'émouvoir
C’était un peu triste il faut l’avouer
Quand on m’offrait des jeux de société
Condamnés à prendre la poussière
Avec les oursons en haut des étagères
Les autres comme moi ont fait les fuyards
Il y en a un qui s’est jeté des remparts
Et le second a choisi les substances
Pour mener à sa place la danse de l’impotence
Merde, je sais pas trop ce qu'il s’est passé
Pour que je me sente d’une extrême sanité
Tout ce qui est hors de moi déconne
Délire bien sûr, mais perso je rayonne
J’écoute la ravachole et Peste Noire
Les clic et clac de Winterkälte et Laibach
En lisant Pearce, Čapek, Rand et Kaczynski
Mon ventre digère vite et j’ai faim d’idéologie
Dans la vaste campagne disgraciée
Vadrouillent des milliers de possédés
Le cortège progresse, l’hélico gronde
Et les jeunes en noir lancent leur fronde
Surréalisme des lacrymos inondant les blés
Il y aura du métal dans la farine cette année
Mes amis et moi contemplons du chemin
Je suis là — mais je rêvasse à mon jardin
Certainement le colza a été très ému
Par cet improbable festival biscornu
Rien à faire, toute l’eau sera pompée
« Il faut bien nourrir l’humanité ! »
Franchement, à quoi d’autre penser
Qu’à cette course en avant hallucinée
Qui dévore corps, songes, projets
Et rend tout le reste hors-sujet ?
Mes parents encore en regardant dehors
Pouvaient croire en un répit du sort
La transcendance c'est pouvoir payer un loyer
Et notre horizon c’est la dissolution assurée
Autour de moi le béton croule sous les foules
Les paquebots tombent et les avions coulent
Les esprits pannent et les corps déraillent
Alors qu’en face la muraille n’a aucune faille
Le chaos mène, il n’y a rien qui tienne
Reine ADN, si ma peine est vaine
Que seuls en scène restent les lichens
Et que reprenne la vie sisyphéenne
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