lundi 10 août 2020

Blueprint: The Evolutionary Origins of a Good Society - Nicholas A. Christakis

 

Blueprint: The Evolutionary Origins of a Good Society - Nicholas A. Christakis

Blueprint: The Evolutionary Origins of a Good Society (2019) de Nicholas A. Christakis est un bouquin que j'aurais sans doute apprécié bien plus à l'époque où je ne lisais pas encore d'essais. C'est loin d'être inintéressant, mais c'est bien trop verbeux, plutôt éparpillé et souvent superficiel : j'ai eu en permanence l'impression de relire des choses déjà lues et relues ailleurs. Ma partie préférée est peut-être celle, au début, où l'auteur explore les échecs et succès de diverses micro-sociétés, notamment les communes inspirées du behaviourisme mis en scène dans le roman douteux Walden Two de B.F. Skinner, ou les rescapés de naufrages comme celui de l'Endurance. Ceci dit, on y trouve pas mal de bonnes choses sur l'évolution des liens sociaux.

Une particularité très irritante de ces essais scientifiques relativement grand public écrits par des membres des classes dominantes est leur optimisme consensuel. Ici, l'auteur se sent obligé de préciser longuement que, certes, ils va examiner en détail des comportements humains parfois négatifs, mais que néanmoins la civilisation est en route vers un progrès certain et infini. C'est exaspérant. C'était encore pire dans The Precipice de Toby Ord, commencé et abandonné juste avant. Le type prétend écrire un livre sérieux sur les risques existentiels qui planent sur l'humanité, mais en même temps il affirme haut et fort que la civilisation se dirige sans aucun doute vers une techno-utopie spatiale ! Il met côte à côte les risques causés par l'IA, un problème uniquement potentiel très pratique pour les milliardaires de la tech qui peuvent ainsi prétendre s'intéresser au sort de l'humanité, et la catastrophe environnementale ! Comment le prendre au sérieux ? Cet optimisme presque invraisemblable a récemment culminé avec Human kind de Rutger Bregman. Ce n'est pas que je tienne particulièrement au pessimisme, mais cette tendance me semble être une réaction de déni de la part de dominants qui veulent s'accrocher au statu quo tout en maintenant leur haute estime d'eux-mêmes.

Passons. L'idée au centre du livre, c'est la social suite, l'ensemble social : une série d'éléments innés que l'on retrouve dans toutes les sociétés à travers le monde et les époques. En somme, les traits qui permettent de faire société et qui sont, selon l'auteur, indispensables pour faire une bonne société :

  1. La capacité d'avoir et d'accepter l'identité individuelle.
  2. L'amour pour les partenaires et la progéniture.
  3. L'amitié.
  4. Les liens/réseaux sociaux.
  5. La coopération.
  6. La préférence pour son propre groupe, l'intra-groupe.
  7. Une hiérarchie modérée.
  8. L'apprentissage social et l'enseignement.

Donc, ces éléments sont en bonne partie innés, inscrits dans notre héritage génétique. Par exemple, concernant la préférence pour l'intra-groupe : des enfants de 3 ans se voient assignés aléatoirement des t-shirts de couleur et les voilà qui favorisent les enfants portant la même couleur qu'eux. Selon l'auteur, toutes les sociétés qui se sont écartées de ces bases ont échoué. Bien sûr, le contexte et l'environnement façonnent aussi les sociétés : par exemple, la hiérarchie se durcit quand il est possible d'accumuler des ressources (terres, bétail, monnaie...) et l'égalitarisme est plus aisé quand c'est impossible (chasse et cueillette). Ainsi l'ordre social est en dialogue permanent avec les traits de personnalité humain. Si les humains semblent avoir une prédisposition à la monogamie et dans une moindre mesure à la polygynie (liée à la dysmorphie sexuelle), ces systèmes dépendent en partie du contexte : en Himalaya, où la terre est précieuse, la polyandrie fonctionne car le mariage de frères à une seule femme évite la division de terres déjà modestes et il faut le travail de plus de deux personnes pour élever des enfants. C'est aussi une forme de contrôle des naissances. (Cette pratique est d'ailleurs lié à une croyance en la paternité partagée.)

J'aime l'idée qu'il y a chez les humains deux pulsions reproductives contradictoires : posséder un partenaire exclusif et avoir des partenaires multiples. C'est parfaitement logique : d'un point de vue individuel, il est avantageux d'avoir un partenaire stable et exclusif pour sécuriser une progéniture sur le long-terme et en même temps d'avoir d'autres partenaires (les raisons sont évidentes pour les hommes, qui peuvent avoir des enfants sans investissement obligatoire, mais c'est valable pour les femmes aussi qui, d'un point de vue évolutionnaire, peuvent gagner à varier l'héritage génétique de leur progéniture ou à tisser des réseaux sociaux intimes étendus). Les sociétés humaines gagnent à se spécialiser, le plus souvent vers la monogamie, certainement pour des raison de stabilité, mais l'autre tendance rôde toujours, inévitablement. Quoi qu'il en soit, dans toutes les cultures, on semble trouver une tendance innée à l'exclusivité relationnelle. Pour aller dans le sens du caractère génétique des pratiques reproductives : des scientifiques ont rendu monogames des campagnols initialement polygames en leur modifiant un seul gène. Sur le caractère inné des différences individuelles : les jumeaux tendent à avoir exactement les mêmes types de réseaux sociaux, ce qui n'est pas le cas de faux jumeaux.

Blueprint: The Evolutionary Origins of a Good Society - Nicholas A. Christakis
En haut, les réseaux sociaux de jumeaux, en bas, de faux jumeaux.

Bien des rituels amoureux peuvent avoir évolué pour favoriser la sélection d'un partenaire adapté : par exemple, le baiser pourrait donner des informations sur la santé et la compatibilité génétique. Même chose pour l'odeur. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, les partenaires sont généralement sélectionnés pour leur proximité génétique. Par exemple, les gens préfèrent l'odeur des gens qui partagent leurs opinions politiques : une expérience a fait noter à l’aveugle des odeurs corporelles et les sujets préféraient l'odeur des membres du sexe opposé, mais aussi des gens avec une idéologie similaire (indiquant ainsi que les traits qui poussent vers telle ou telle idéologie seraient en partie innés). On retrouve la même idée dans l'amitié : les liens d'amitié sont liés à une proximité génétique. C'est explicable par les avantages que cela offre : par exemple, réduire les frictions pendant les moments décisifs car les amis pensent de la même façon, ou réduire les frictions pendant la préparation du repas car les amis ont les mêmes goûts... Cette proximité génétique offre donc, dans les couples comme chez les amis, un cadre plus fluide et stable qu'en cas de grande différence génétique. (Bien sûr, cela n'annule pas l'intérêt des différences génétiques, car différences signifient qualités complémentaires, mais le goût pour la similitude semble plus fort que celui pour la différence.) Selon des expériences, les amis tendent à être bien plus proches génétiquement que des gens sélectionnés au hasard.

Cette proximité génétique dans les groupes explique par exemple l'évolution de traits sociaux comme le langage, qui n'offrent un avantage évolutionnaire que s'ils sont partagés par le groupe. Ainsi les gènes d'autrui influent sur les capacités évolutionnaires d'un individu. On peut aussi trouver là des liens avec l'idée de sélection de groupe (opposée à la sélection individuelle) : de la même façon que d'un point de vue évolutionnaire il peut être avantageux pour un individu sans enfants de se sacrifier pour sauver par exemple un cousin, il peut être avantageux de se sacrifier pour ses amis car ils sont plus proches génétiquement que la population générale.

Pour finir, une belle image : similitudes entre les réseaux sociaux à travers le monde. En bleu les femmes, en rouge les hommes. Les liens orange sont les liens familiaux, les gris sont les autres.

Blueprint: The Evolutionary Origins of a Good Society - Nicholas A. Christakis

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