jeudi 12 décembre 2019
To Walk the Night - William Sloane (The Rim of Morning)
The Rim of the Morning est la réédition des deux romans de William Sloane. Le premier est To Walk the Night, publié en 1937. Il existe une édition française, sous le titre Lutte avec la nuit. Mais mieux vaut avoir une couverture sobre, tant les couvertures illustrées ne peuvent pas vraiment faire autrement que révéler certains éléments de ce qui est un mélange d'horreur cosmique, de roman à suspense et de drame familial. Le résultat est assez brillant.
To Walk the Night commence lentement. Le narrateur revient chez son père adoptif après le suicide de Jerry, son ami de toujours et fils de sang du père en question. Le narrateur entreprend de lui raconter tout ce qui a mené à ce suicide. Tout commence par le meurtre inexplicable d'un ami de Jerry, mathématicien et astronome. Sa veuve, magnifique et étrange, semble réagir de façon détachée. Jerry s'éprend d'elle et, allant contre toutes les normes sociales, ils ne tardent pas à se marier. Mais cette femme, on s'en doute, cache quelque chose.
Pas la peine d'aller beaucoup plus loin dans les détails du récit. L'écriture de William Sloane est tranquillement littéraire et le récit coule comme la plus élégante des rivières. Le suspense provient du mystère qui entoure la mort du mathématicien et de l'identité de sa veuve au nom éloquent : Selena. Ce n'est pas un vulgaire suspense de polar : il ne s'agit pas de trouver qui est l'assassin. Non, il ne s'agit pas d'une connaissance aussi bassement spécifique, mais de la connaissance en général. Une vérité qui chamboule les bases de l'univers rationnel et borné dans lequel les personnages ont l'habitude de vivre. Comme chez Lovecraft, cette vérité, cette connaissance, est une menace pour l'équilibre mental des personnages. L'un se suicide, un autre se noie dans la peur, un autre encore refuse l'évidence pour s'accrocher à l'explication rationnelle. Comme toujours, ces réactions sont un choix esthétique : après tout, pourquoi les personnages des histoires d'horreur cosmique ne ressentiraient-ils pas un peu d'émerveillement face à la découverte de l'inconnu et l'élargissement de leurs horizons ? Car, d'une certaine façon, c'est ce que ressent le lecteur. Mais les protagonistes subissent l'esthétique de cette littérature : ils sont les victimes sacrificielles offertes à l’appétit du lecteur. Ce sont sont eux qui souffrent sous les coups de butoir la vérité : la petitesse de l'humain dans l'univers, son insignifiance, et l'existence de choses bien plus grandes et vastes pour lesquelles le temps et l'espace, les barreaux de notre prison, ne sont rien. Ainsi le lecteur exorcise son nihilisme dépressif et peut cultiver son nihilisme positif : pour lui, comme pour Lovecraft, la position esthétique de l'horreur cosmique est une position philosophique, mais son angoisse se sublime dans l'art, et il est libre de goûter à ce qui est refusé aux personnages : la jouissance dans la découverte de l'inconnu total. Au fond, l'horreur cosmique est optimiste : elle postule qu'il y a autre chose.
William Sloane, dans To Walk the Night, va plus loin que Lovecraft dans cet « optimisme ». Ses personnages s'aiment, ils ont une vie sociale dense, et tout le récit est centré autour cette vie sociale : le problème est qu'une chose indéfinissable, chez cette femme, coince socialement. Toute la tension vient de détails de conversations, d'étrangetés du comportement. Mais, au fond, ce qui est vraiment optimiste, c'est que l'humanité aurait finalement un petit quelque chose d'unique, une essence qui mériterait qu'un étranger vienne y goûter.
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