vendredi 3 mai 2019

Buddhism for Busy People - David Michie

Buddhism for Busy People - David Michie


Avec Buddhism for Busy People de David Michie, on est en plein dans l’appropriation occidentale des traditions asiatiques. Je n'avais pas vraiment été enthousiasmé par le Dhammapada  (plus mystique que les textes du Tao comme le Tao Te King ou le Le Vrai Classique du vide parfait), et je ne m'attendais pas à ce qu'il en soit autrement ici, mais j'étais curieux de découvrir ce que j'aime appeler, à demi facétieusement, le corporate buddhism. Au fond, ce livre est le récit d'une conversion religieuse qui ne s'assume qu'à moitié. L'auteur, qui a une vie d'homme occupé, aisé et amateur de compensations matérielles, découvre à travers le bouddhisme les bases des philosophies antiques : le détachement, la méfiance envers l'égo, l'idée que les faits importent peut-être moins que l'opinion que l'on porte sur eux, et autres classiques. C'est du vu et revu, mais pourquoi pas. L'ennui, c'est que comme le bouddhisme est une religion, ces idées à priori saines sont accompagnées d'une nuée de superstitions présentées comme allant de soi. Là, on est dans le domaine de la malhonnêteté intellectuelle et du prosélytisme. D'autant plus que ces concepts servent souvent à renforcer une vision du monde préétablie. (Mes critiques ne s'appliquent pas à certaines pratiques du bouddhisme, comme la méditation, qui ne cesse pas de me fasciner, et dont je ne nie pas les effets, bien que l'approche anecdotique de l'auteur ne soit en rien convaincante.)

David Michie ne manque pas de promettre le bonheur et même la béatitude et la transcendance, rien de moins. Déjà, on ne sort guère du culte du bonheur occidental, au risque d'encourager une course en avant aussi perpétuelle que vaine. Et, en effet, les doutes se confirment : Michie cite sans sourciller les sages paroles d'un moine bouddhiste impliqué dans un business de 100 millions de dollars, à New York, dans le domaine... du diamant (p.29). Même si l'on peut argumenter qu'un bouddhiste peut bien participer à la prospérité générale, peut-il le faire en développant une affaire aussi contraire aux concepts de ses prétendues convictions ?

Il y a aussi cette idée de, disons, pensée positive. Par exemple : 
Our objective is to rearrange not the externals but the internals, to identify our habitual, negative patterns of thinking and replace them with more positive alternatives, to change not the world but the way we experience it. (p.7)
Voilà qui me rappelle une discussion avec une amie, il y a bien des années, au sujet du stoïcisme. Elle critiquait cette philosophie en l'accusant d'être une éthique de l'acceptation, de la renonciation. Or, s'il est vrai que le stoïcisme encourage l'acceptation, c'est seulement envers les choses qui ne dépendent pas de nous. C'est en parvenant à faire la distinction entre ces choses et celles qui dépendent de nous que l'on peut, au final, être capable de concentrer ses actions non pas sur l'intangible, mais sur le malléable (bien sûr, le champ de ces deux domaines n'est pas toujours aisé à déterminer). Pour revenir au bouddhisme, et sans nier l'importance des internals, il me semble que l'acceptation y va trop loin. Ainsi, Michie prend comme exemple deux hommes qui ont un travail ingrat et chronophage (p.133) : l'un en est fort mécontent, et l'autre accepte tout avec le sourire au nom de l'illumination bouddhiste, ce qui serait la meilleure option. Triste opinion : le mécontentement permet le changement, l'évolution, alors que cette apologie de l'acceptation ne mène qu'à la tolérance des choses les plus viles. De même, il n'y aurait apparemment rien de tel que la réalité objective (p.30) et il serait pertinent d'éliminer toute insatisfaction (p.31). (A ce sujet, voir le livre Happycratie.) Au fond, les questions auxquelles l'auteur cherche à répondre sont les suivantes :
Will I lose my competitive edge ? Will I start to underperform ? (p.194)
On entre clairement dans la malhonnêteté intellectuelle quand David Michie commence à évoquer son amie bouddhiste qui, atteinte du cancer, attribue sa traversée aisée de la chimiothérapie à ses pratiques méditatives. Dans une scène surréaliste, cette femme riche, qui n'a pas besoin de travailler, explique, bien installée dans une suite d’hôtel d'ultra luxe, un verre de champagne à la main, qu'imaginer un Bouddha régénérateur au cours de ses méditations est la clé de sa guérison (p.58). Encore une fois, sans nier les potentiels effets concrets de la méditation, une anecdote ne prouve rien, d'autant plus quand on mène une vie dénuée de tout stress qui, d'ailleurs, est en contradiction avec l’ascétisme bouddhique.

Et on enchaine avec le karma et la réincarnation, présentés comme des faits. Ces deux concepts, liés ensemble, font tristement penser au péché originel occidental : nous naitrions avec une dette karmique, héritée de nos vies passées, qui serait l'explication des évènements négatifs de l'existence. De plus, le karma apparait comme une négation du hasard : la classique hypertrophie du principe de causalité que l'on semble retrouver dans toutes les religions : « Nothing happens by chance, and everything is driven by karma » (p.93). L'humain, paniqué par l'absurde, se construit des histoires consolatrices. Et, exactement comme les divers missionnaires chrétiens avec qui, quand ils m'abordent dans la rue, je prends grand plaisir à m'entretenir vivement (et stérilement), Michie va jusqu'à prétendre en des termes on ne peut plus vagues que la science confirme ses croyances (p.184). 

Comme pour le miracle de la guérison de son amie, l'auteur enchaine avec d'autres miracles réalisés à l'occasion de la mort de grands bouddhistes. Bien entendu, sans la moindre source. Il mentionne longuement un cas de réincarnation comme si c'était un fait avéré, alors qu'un moine est activement à la recherche de la réincarnation d'un autre. Bien sûr qu'il va finir par trouver un gamin avec des prédispositions pour l'ascèse et l'étude, surtout quand celui-ci, comme c'est précisé, est le fils de parents qui fantasment sur l'idée que leur enfant soit un sage réincarné.

Petit exemple de fin. L'auteur affirme qu'il est impossible d'imaginer qui que ce soit de plus heureux que le Dalai Lama (p.118). Mais sur quelle base affirmer quelque chose d'aussi gros ? Simplement la foi. Le monde devient donc ce que désire l'esprit. Je ne sais pas si c'est un accomplissement bouddhiste, mais cela ne me semble guère désirable.

227 pages, 2004, snow lion

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