Contexte.
Je pars marcher un peu en Espagne avec Bernadette, une amie autrichienne. En Autriche, c'est un prénom parfaitement courant et actuel, comme Jacqueline par exemple. En fait, Bernadette est plus jeune que moi : elle aura 25 ans au cours du chemin. Moi, j'en aurai invariablement 26. Le Camino Francés n'est pas le choix le plus évident (trop bondé), mais le mois d'avril semble être la bonne époque pour le faire : le froid est sur le départ, et les hordes de pèlerins ne sont pas encore arrivées. Et puis, sur la fin, le Camino San Salvador, pour lequel Bernadette a rendez-vous avec des amis, devrait offrir un changement agréable.
Étant donné la nature monotone et fort peu excitante du Camino Francés, je laisse de côté la narration au jour le jour, adoptée pour mes précédents carnets de voyage, au profit d'un récit plus elliptique.
1. La traversée des Pyrénées / de St Jean à Pampelune / 9 - 12 avril
J'ai rendez-vous avec Bernadette le 12, à Pampelune. Les premiers jours sont donc solitaires, ce qui n'est pas pour me déplaire : il y a plusieurs années que je n'ai pas vraiment marché seul. Dans le train de Bayonne à Saint Jean, il y a une écrasante majorité de pèlerins. La petite ville qu'est Saint Jean est sur une hauteur, et j'attends l'ouverture de l'auberge en profitant du grand air et de la vue sur les montagnes. J'écoule l'après-midi en me baladant entre les averses. La forteresse militaire centrale a été transformée en collège : ça correspond bien à mes souvenirs de mes années passées dans cette institution. Je lis dans une prairie, entouré par le bêlement des moutons et le pétillement de l'herbe mouillé. Le gite public est rapidement rempli. Il y a une femme très bavarde et collante qui a le visage paralysé. C'est étonnant, d'autant plus qu'elle a installé, sur son lit, une montagne de peluches portant autour du cou des petites coquilles saint-Jacques.
Le col de Lepoeder (alias route Napoléon) est officiellement fermé, mais les gens du bureau des pèlerins n'ont pas l'air de prendre cette interdiction trop à cœur. Je fais quelques recherches sur la météo et les risques potentiels, et je me décide à tenter ce chemin, qui s'attaque vraiment à la montagne, plutôt que celui qui est recommandé, qui suit une route.
Note potentiellement importante : J'ai franchi le col de Lepoeder alors qu'il était officiellement, fermé, ce que je ne recommande pas. Ceci dit, quelques conseils. Déjà, ne pas s'y aventurer en plein hiver. S'assurer au bureau des pèlerins que la situation n'est pas trop extrême. Vérifier la météo. Avoir une certaine habitude de la marche, de bonnes chaussures, et de quoi se tenir chaud : mes quatre couches et mes deux capuches n'étaient pas de trop. Et ne pas hésiter à rebrousser chemin en cas de conditions trop hostiles (la route vers Luzaide était mon plan de repli, mais je ne garantis pas sa praticabilité).
Chaude ambiance et jolie vue au col de Lepoeder. |
Le 10, je pars vers 6h30. Il fait nuit et frais. A la croisée des chemins, je prends celui de gauche : celui qui passe par la montagne, officiellement fermé. Je ne croiserai absolument personne pendant des heures. Le soleil se lève alors que je grimpe les contreforts des Pyrénées. La vue sur les vertes collines et les prairies humides est splendide. Mais, rapidement, c'est l'averse, et le reste de la journée se passera au cœur des nuages. Je grimpe toujours, et il fait de plus en plus frais. Personne. Juste moi, la route, et le paysage désolé qui se perd dans la brume à quelques mètres. Soudain, un énorme chasse-neige me dépasse : un des types à l’intérieur me fait ce que j'interprète comme un signe de reproche, mais c'est peut-être un simple salut. Je dépasse la petite départementale qui est mon option de repli. J'ai sur moi un t-shirt, une polaire légère, une veste à capuche et une veste de pluie coupe-vent. Je ne dirais pas non à des gants. J'arrive à la croix, là où il faut quitter la route pour s'engager sur les chemins. Je suis à 1200 mètres et il n'y a pas de neige : j'en déduis qu'il ne doit rien y avoir de trop terrible, plus haut, à 1400 mètres. Dans la montagne embrumée, je dépasserai en tout sept personnes, dont aucun français. Le premiers sont surpris que j'arrive de Saint Jean, eux viennent d'un gite plus près. Je progresse, le froid mord, mais pas tant que ça. La neige est désormais là, et je dois parfois marcher un peu dessus pour progresser. Certaines congères sont énormes. Il y a même plusieurs stations téléphoniques de secours. Après ces pérégrinations, j'arrive au col de Lepeoder, 1400 mètres. Il y a pas mal de neige, un vent froid et un océan de brume. Un endroit parfait pour une pause. Je commence à être fatigué. Je mange un peu, et je repars. Je glisse dans un couloir neigeux et descends quelques mètres sur les fesses. Comme j'y ai plongé mes mains pour freiner, le froid me brule pendant quelques instants. Je prends le chemin direct vers Roncevaux, jugé dangereux car pentu. Je traverse une forêt froide, embrumée, fantomatique.
J'arrive à Roncevaux à 13h. Alors que j’interagis avec la femme de l’accueil, elle parle dans son oreillette et fait un grand Oh. Je devine un problème. En effet, elle m'apprend qu'il n'y a plus d'eau courante dans tout le village. Plus tard, quand le dortoir ouvre et que l'information se répand, quelques protestations outrées. Le coin est bruyant : il y a presque 200 lits.
Je passe l'après-midi tant bien que mal, c'est bondé et assez désagréable ici, et la météo est trop horrible. La fille du lit au-dessus du mien attire des hommes qui viennent squatter dans notre box pour faire leur cour. Pourtant, elle lit un livre de Paulo Coelho, ce qui est un grave défaut. A 20h, la messe. Il n'y a que trois moines, et c'est assez décevant. A un moment, après la quête et le câlin qui semble habituel en Espagne, tout le monde se déplace devant l'autel, et, ne me mêlant pas au troupeau, je révèle mon hérésie. Mais je reste, et m'incruste ensuite à la visite de la crypte, du cloitre et d'un tombeau apparemment saint.
Matin du 11 avril. Les pèlerins sont paresseux. Alors, pour éviter qu'ils ne s'attardent trop, le gens de Roncevaux diffusent une charmante musique à 6h10. Le temps de me préparer, et je suis dehors. Il fait nuit, et il pleut. Je sort ma lampe et je guide Teddy, un américain aux airs de Teddy Roosevelt, à travers les ténèbres. Les flaques, conjuguées aux racines, sont vicieuses. Le jour se lève, et la pluie se maintient toute la matinée, sans être diluvienne. Les chemins sont agréables, et je ne vois pas grand monde, ce qui me surprend : je craignais une large affluence. Mais d'après ce que me dit l'unique commerçant d'un village, après m'avoir forcé entre les mains un verre de rouge, la saison intense ne commence que dans deux semaines.
Le 12, la matinée de marche passe vite : seulement 15km pour rejoindre Pampelune. Et je suis toujours agréablement surpris par le charme des sentiers et l'absence d'embouteillages de pèlerins : la pérégrination est fort agréable. Une fois à Pampelune, un peu après 10h, je laisse mon sac à l'albergue et vais explorer la ville. Il y a les petites rues pleines de bars tapas, quelques belles façades typiques et joliment colorées, et je vais vers la citadelle. Elle a été partiellement détruite pour laisser place à l'urbanisme dévorant, mais elle reste énorme. Ses murailles offrent une protection bienvenue face à la ville insatiable. Je retourne près de l'auberge, mange sur un banc, et passe le début d'après-midi à lire et somnoler. Bernadette arrive à quatre heure. On part se balader et on papote. Elle a toujours cette façon étrange de parler, comme si les mots se bousculaient en vrac dans sa tête et éclataient confusément entre ses lèvres. Je suppose que le manque de sommeil n'aide pas. On gambade, et on se pose au soleil. Le soir, elle veut aller manger quelque part, alors que je propose de simplement manger des pistaches sur un banc au soleil. Mais soit. On finit dans un bar à tapas, et c'est atroce. Je laisse Bernadette faire le social. Les gens sont entassés, c'est bruyant, et on a le malheur de vouloir s’installer à une table que des espagnols avaient en vue. On serait quand même mieux sur un banc près de la rivière à manger des pistaches.
Famille de pèlerins typique dans son environnement naturel. |
2. Vertes vallées et bondissantes collines / de Pampelune à Burgos / 13 - 19 avril
Le matin suivant, j'assiste enfin à ce à quoi je m'attendais : des tas de pèlerins sur le chemin, devant et derrière nous. Mais cela n'empêche pas la vue d'être charmante, avec un paysage vallonné et verdoyant. Le matin est le plus froid jusqu'à maintenant, mais la journée est la plus chaude. On mange et paresse sur les rives d'une rivière, au pied d'un vieux pont de pierre. Le 14 arrive rapidement. Anecdote du jour : alors que le matin n'est pas encore très avancé, on s'assoit au bord du chemin, Bernadette pour vérifier quelque chose dans son guide, moi pour prendre mon petit-déjeuner. Un pèlerin nous fait l'inévitable « Buen Camino ». On murmure vaguement une réponse. Le type s'arrête, se tourne vers nous, et répète plus fortement : « Buen Camino ». On lui répond avec un peu plus de vigueur. Quand on le dépasse, peu après, je ne manque pas de lui faire un sonore « Buen Camino » accompagné de mon plus grand sourire. Sinon, je paysage est resplendissant. Monticules et vallées d'un vert éclatant, des villages de pierre antique et des vieux forts, des petits coins de montagne boisée. L'ambiance est champêtre et donne un peu l'impression de plonger dans le passé. On prend une variante peu fréquentée, ce qui accentue ce sentiment, mais la seule auberge qui s'y trouve est occupée par un groupe. Alors on fait 10km de plus, soit au moins 40km pour la journée. On est fatigués comme il faut, dépensés sans être épuisés.
Le chemin se déroule sans heurts, et la société de Bernadette, ainsi que l'aisance de l'aventure, font que je prends peu de notes. Mentionnons néanmoins un jour de pluie permanente, compensé le soir par le poêle flamboyant de l'albergue : un coréen y crame son manteau. Le 19, on arrive à Burgos après une grosse journée de 36km passée en bonne partie dans une brume épaisse. L'entrée dans la ville est étrange : comme c'est le vendredi saint, tout est fermé, et il n'y a personne. Jusqu'à rejoindre l'ultra-centre, on a l'impression d'une ville morte. Et, surprise, l'albergue, large pourtant de 150 lits, est complète. On en tente une autre, plus petite mais pas moins pleine. Je réalise soudainement que le vendredi saint en est la cause. On se retrouve donc dans un hostel à l'organisation douteuse : le temps d'attente est phénoménal.
Plus tard, on remarque une procession de gens portant des cagoules pointues, accompagnés d'une fanfare qui balance une rythmique quasi militaire et d'un type cagoulé qui porte sur son épaule une énorme croix. Petit à petit, on se rend compte que des processions comme celle-ci, il y en a partout : elles se rejoignent à la cathédrale. C'est assez ahurissant : il doit y avoir des centaines, si ce n'est des milliers de participants. Ils sont dans tous les coins, avec chars et tambours. Point culminant quand Bernadette et moi, passionnés par la situation, nous retrouvons dans une ruelle où passe une procession colossale. On est quatre ou cinq badaud collés aux murs, et les fanatiques nous frôlent par centaines, les tambours font résonner nos organes, la dépouille du christ nous passe sous les yeux. Au cœur de cette mascarade morbide, on ressent un aperçu de ce que beaucoup prennent sans doute pour le sentiment religieux : la réjouissance superficielle des sens et de l'esprit par un spectacle bien mené. Il y a dans ces joueurs de tambour qui marchent au pas en répandant une rythmique martiale des relents de fascisme, et quant aux troupes masquées qui marchent en d'interminables lignes, elles n'évoquent que l'aveuglement le plus abject. Dans de telles conditions, retourner à notre auberge est une aventure : le pont, envahi, est infranchissable. Tambours et trompettes résonnent toute la soirée.
3. Le grand vide de la Meseta / De Burgos à León / 20 - 26 avril
Le 20 avril, journée de 40km. Le paysage particulier du plateau Meseta est réputé ennuyeux, non sans raison. Des champs à perte de vue, très peu d'arbres, très peu de relief. Très peu de choses, en somme. Au début, on perçoit aisément les petits oiseaux, seuls êtres vivants des environs. Ils se perchent sur des arbustes nus, ils chantent et observent. Puis le vent noie leur musique, à moins que nous sortions des zones où ils peuvent encore vivre. Sur les toits, sur les clochers, des nids de cigognes.
Le 21, le type qui travaille au gite municipal, seulement depuis quelques semaines, est un personnage intéressant. Clairement un itinérant, qui prend le travail qu'il trouve. Il dort et vit comme nous dans l'albergue. Il parle plusieurs langues, est fort bavard et un peu gênant. Une jeune suédoise arrive. Elle correspond bien au cliché : grande, mince, parfaitement blonde et fort peu loquace. Elle est avec Bernadette et moi dans la salle du poêle, occupée à passer de la pommade sur ses longues jambes. Le vagabond tente, sans grand succès, de faire la conversation, et il lui annonce d'un air dégagé qu'il sait fort bien faire des massages si elle veut. C'est un peu triste. Je me demande : c'est peut-être qu'il ne se rend pas compte que cette proposition est tout à fait déplacée. Ou peut-être qu'il est juste désespéré. Il ne doit avoir d'attaches nulle part, je l'imagine en errance perpétuelle. Et la suédoise, bien que fort introvertie, est très bavarde pendant son sommeil.
Le 22, beaucoup de route goudronnée, puis un classique chemin droit comme une ligne au milieu d'un paysage toujours aussi joyeusement dégagé. L'environnement parfait pour déblatérer longuement sur la vie idéale vers laquelle nous devrions tenter de nous diriger. Le vide laisse le champ libre à l'esprit.
Le 24 au matin, le monde est pluvieux quand on sort du gite. Rapidement, les choses empirent. Un vent glacial se révèle, dangereusement proche de zéro, et la pluie se transforme en une neige étonnamment dense. Le paysage est d'une platitude désespérante : rien pour nous protéger des éléments. On marche toute la matinée dans les conditions finalement bien pires que celles de mon premier jour sur le chemin fermé du col de Lepoeder. Rapidement mes chaussures abandonnent le combat de l’étanchéité, et, vers la fin de l'épreuve, alors que le froid et l'humidité s'infiltrent jusqu'aux os, le corps et l'esprit se laissent aller à d'interminables rires nerveux. Le rendez-vous avec les amis de Bernadette est fixé à après-demain à León, mais on n'est qu'à 18km de la ville. On va avoir du temps libre. Aujourd'hui, en partie pour fêter l'anniversaire de Bernadette, en partie pour se récompenser d'avoir traversé les épreuves climatiques du matin, on s'offre pour la première fois une bouteille de vin.
Le 25, malgré le vent, on atteint León aisément. On se trouve une auberge en plein centre, tenue par un type tout à fait charismatique, qui ressemble à guitariste de rock progressif sur le déclin ayant trop bu et fumé. L'endroit, un vieux bâtiment aux planchers en bois, est chaleureux. León est une ville assez grande mais, comme souvent, le centre historique est limité. Comme d'habitude, tout est fermé l'après-midi : il faut attendre le soir pour que Bernadette puisse se procurer de nouveaux livres. Je l’inonde de suggestions, et elle repart notamment avec Frankenstein. Le soir, on mange un repas fait maison, sain et copieux, en compagnie d'américains un peu clichés : obèses, ils se font une spécialité : du mac n' cheese. Avec des chips. Et de la bière. L'américain prévoir de faire des voyages en Irlande et au Danemark pour explorer les origines de sa famille.
Le lendemain, on laisse passer la froide matinée dans le confort de l'auberge. Ensuite, exploration de plusieurs églises, dont une contient un petit musée avec des tableaux de la genèse particulièrement laids. Pour pénétrer dans la cathédrale sans payer, on indique notre intention d'aller à la messe. Mais c'est un piège : la messe se tient dans une petite chapelle attenante. On ne s'y aventure pas, et on reste dans le cloitre où, finalement, on se fait enfermer. Une employée blasée vient nous délivrer. L'après-midi, Bernadette, optimiste, a l'étonnante idée de vouloir s'aventurer au musée d'art contemporain. Mais, surprise, il est fermé pendant les heures de la sieste. A la place, sur les marches du musée Gaudi, en réponse à mes innombrables questions indiscrètes, elle verse beaucoup de larmes en me racontant des drames passés.
4. Les montagnes du Camino San Salvador / de León à Oviedo / 27 - 30 avril
Le 27, devant la cathédrale, on retrouve à 9h les amis de Bernadette. Un italien et deux tchèques, deux femmes. Tous sont bien plus âgés que nous. Ils marchent beaucoup plus lentement et aiment faire des pauses dans des bars. La météo est resplendissante, et après un jour de repos, on a mal nulle part. Surprenant. On avance vers les montagnes, qui grandissent petit à petit devant nous, en marchant sur de hautes collines à la terre rouge. Juste avant l'étape, on croise une centrale nucléaire, entourée de bien d'autres industries. Le soir, pour le repas pris en commun, l'italien invite trois autres personnes à se joindre à nous. C'est assez difficilement supportable.
Le jour suivant, on ne fait que 25km, mais on entre enfin dans la montagne. Bernadette et moi laissons les autres loin derrière nous, et arrivons à l'endroit convenu 2 heures avant eux, après une étape très belle, malgré pas mal de goudron au début : de la roche nue, de la croute terrestre déchirée par les millions d'années, un serpent furtif, les restes calcinés d'un éclair. Avec l’échauffement des semaines précédentes, tout cela nous semble très facile. Irina, une Russe un peu collante, attire ma sympathie quand je la vois faire de la balançoire. Elle me montre des photos du chemin de la journée prises quelques jours plus tôt : tout était blanc de neige. Le soir, discussion avec les autres, pour leur faire comprendre en douceur que l'on n'a pas forcément l'intention de, comme eux, ne faire que 15km le lendemain. Ça se passe à merveille, même si je soupçonne une des tchèques de se faire des idées sur la nature de la relation entre Bernadette et moi.
Du coup, le 29, on se surprend à faire 40km, essentiellement en montagne. C'est, je l'avoue, un peu brutal. Mais c'est aussi grisant d'utiliser de temps en temps son corps à son plein potentiel. On commence la matinée par une longue grimpette vers le point le plus haut du San Salvador. La montagne est magnifique, j'aime ces larges étendues de roches lissées par les millénaires, elles évoquent la violence des forces tectoniques, la puissance invincible du temps qui efface tout, et éveillent en moi un intense plaisir esthétique, énergisant, qui fait que je sautille comme un chamois, débordant d’enthousiasme. Puis c'est la longue et joyeuse descente qui, au fil des heures, impose au corps le fardeau de l'épuisement. C'est aussi la journée la plus chaude jusqu'à présent. Chemins de montagne, routes goudronnées fréquentées ou vides, sentiers de sous-bois à la progression difficile, en compagnie de serpents, chevaux, papillons et moutons. Irina marche à peu près à la même vitesse que nous, et quand on la croise, elle parle beaucoup, essentiellement de questions purement pratiques. Finalement, les derniers 10km se font sur du goudronné, dans le bruit des voitures. C'est moins bucolique, mais, surtout, c'est plat. Le soir, tous les supermarchés de la petite ville sont fermés parce que « fiesta ». Et la femme de l'auberge est choquée quand on lui dit d'où on est partis ce matin. Elle n'en revient pas et, je l'avoue, c'est gratifiant. Mais, horreur, je me rends compte que j'ai oublié ma Montagne Magique à l’auberge précédente.
Le 30, le dernier jour, 30km jusqu'à Oviedo. Beaucoup de goudron, mais quelques jolies hauteurs sur la fin. Mon corps exprime son vif désaccord : après la journée de la veille, il aspire au repos. Je le comprends, et je lui dis qu'il pourra se reposer les jours suivants. On arrive à temps pour choper le bus en milieu d'après-midi, pour une arrivée en France dans la nuit. J'héberge Bernadette qui, sous peu, repart pour Bruxelles. Un timing parfait pour lui faire faire une petite visite guidée du déploiement policier du premier mai.
Fin.
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