Ah, le bon vieux temps, l'époque dorée dans laquelle il suffisait d'avoir un pote scientifique pour aller se balader dans l'espace en pantoufles, littéralement. Pas la peine d'en parler à qui que ce soit, ni de se poser trop de questions, fonçons à l'aventure, tout simplement ! Bedford, le narrateur, est un magouilleur dans une mauvaise passe. Espérant se refaire, il s'installe dans un coin paumé de l'Angleterre pour écrire une pièce de théâtre. Mais voilà qu'il fait la rencontre de Cavor, joli cliché du scientifique génial mais mais sans aucun sens pratique. Cavor est sur le point de faire une découverte fort importante : la cavorite. Un métal possédant l’étonnante propriété de faire écran à la gravité. Voilà qui ouvre bien des possibilités. Après quelques déboires, nos deux héros décident de s'embarquer sur la Lune, pour
Sur la Lune, il n'y a, comme on peut s'y attendre, pas grand chose. Pas beaucoup de gravité non plus, ce qui donne à nos héros les mêmes capacités que John Carter. Mais voilà que le jour se lève, le soleil montre le bout de ses rayons, et fait fondre l'air gelé pendant la nuit, créant ainsi une atmosphère temporaire. Atmosphère bien entendu respirable, ce ne serait pas pratique sinon. Et soudain, des plantes percent le sol lunaire, et grandissent, grandissent à une vitesse folle. Nos deux explorateurs, pas très futés, vont se balader et perdent de vue leur vaisseau. Il va de soi que la Lune est habitée par des êtres intelligents, vivant sous terre, parce que la Lune est creuse, et possède un vaste océan souterrain. Bref, nos héros se font capturer par des aliens plutôt pacifiques, doivent s’échapper suite à un malentendu, Bedford parvenant à rentrer maladroitement sur Terre, alors que Cavor reste coincé sur place. La dernière partie du roman laisse la parole à Cavor,qui envoit des messages radio depuis la Lune, et c'est là qu'on en apprend le plus sur cette civilisation.
Wells a le don de mêler aventure rocambolesque et idées intéressantes. On s'amuse bien à suivre les péripéties d'un duo de bras cassés, certes, mais l’intérêt véritable est ailleurs. La cavorite est une substance qui laisse supposer des applications aussi folles que la flohrisation dans l'Homme élastique, mais Wells choisit de laisser le secret de sa fabrication se perdre, sous-entendant clairement que l'humanité ne ferait pas que du bien avec ce savoir. La civilisation lunaire est une utopie inquiétante et ambiguë. Chez les lunaires, pas de guerre. Le monde est uni, et chacun, dès son plus jeune age, est formé pour une tache précise. Formé aussi bien mentalement que physiquement. Chaque lunaire a un corps adapté à son métier : grosse tête pour les intellectuels, habilité des doigts pour les peintres, gros muscles pour les gardiens de l'ordre... Et tous trouvent dans leur tâche leur unique bonheur. Ainsi, quand ils n'ont pas d'ouvrage, ils prennent un narcotique pour dormir jusqu’à ce que la société ait à nouveau besoin de leurs services. Et selon Cavor, « droguer l’ouvrier dont on a pas besoin et le mettre en réserve vaut sûrement beaucoup mieux que de le chasser de son atelier pour qu'il aille mourir de faim dans les rues.» Moui. Tiens, notons au passage, pour un petit rire facile, que certaines femelles, « en certains cas, possèdent un cerveau de dimension presque masculine. » Ah, le charme de la littérature d'un autre temps. Donc, pour résumer, l’être lunaire est heureux et vit en paix parce qu'il est une machine. Mais... une machine, vraiment ? C'est là tout l’intérêt de ce genre de fiction : selon nos critères, une telle organisation parait horrible. Disparition totale non seulement de la liberté, mais aussi, plus important, de l'idée de liberté. Pas d'illusions de free will, non, pur déterminisme totalement assumé, recherché. Et plus le roman avance, plus progresse la communication entre les espèces, et plus l’intérêt augmente. Dans le dialogue final entre le chef de la Lune, son plus gros cerveau, et Carvor, ce dernier commet une grossière erreur : expliquer en détail aux aliens perplexes ce qu'est la guerre. Ils n'ont pas l'air d’être convaincus de l’intérêt de la chose.
Ma foi, Les premiers hommes dans la Lune est un bon p'tit roman dont l’intérêt va croissant. Un premier contact plein d'idées et d'humour. On n'est pas sans sourire quand Wells, dans un clin d’œil à l'Utopie de Thomas More, fait s’émerveiller ses personnages devant leurs menottes et chaines lunaires, fabriquées en or. Quand Bedford revient sur Terre avec ces précieux trophées, l'or pèse bien plus lourd, au sens propre comme au figuré.
1901
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