lundi 31 octobre 2016
Au-delà de la planète silencieuse - C.S. Lewis
C.S. Lewis a lu Wells, et ne manque pas de le faire savoir. Le narrateur n'a pas oublié Les premiers hommes dans la Lune et, face à des intelligences extraterrestres, décide dans un premier temps de pas trop évoquer tout les détails de la vie belliqueuse des humains. En fait, c'est tout le roman qui semble s'inspirer de celui de Wells, on y retrouve en gros la même structure. Un homme se retrouve sur une autre planète, explore un peu, est étonné par toutes les choses étranges qui s'offrent à ses regards, tente de comprendre les locaux, et tout s'achève sur un long dialogue avec le leader de la planète. Ici, Ransom, le narrateur, est emmené vers Mars contre son gré par deux scientifiques sans scrupule. Pendant la majeure partie du roman, il ne saura même pas avec certitude qu'il est sur Mars, les aliens utilisant évidemment leur terminologie propre pour désigner les planètes. Et, détail pratique, Ransom est philologue, ce qui lui permet d'apprendre rapidement la langue locale. Toujours comme le roman de Wells, Au-delà de la planète silencieuse gagne en intérêt au fil de la lecture. Au début, c'est juste un roman d’aventure pas très palpitant, mais les choses deviennent nettement plus intéressantes quand Ransom fait la rencontre d'autres êtres intelligents.
Au début du livre, dans la courte présentation de l'auteur, il est précisé que la conversion de Lewis au christianisme, en 1931, « aura une influence importante sur son œuvre. » Et en effet, Au-delà de la planète silencieuse est... de la SF chrétienne ! C'est assez étonnant. La planète ressemble vraiment à une petite utopie chrétienne. A vrai dire, il est indiqué que tout l'univers l'est, sauf la Terre, tombée sous l'emprise du Pervers. C'est à dire Satan. Mars est dominé par un être presque immatériel, ayant le pouvoir de vie et de mort sur les créatures de chair et de sang, et lui-même semble un sous-dieu, délégué du Dieu unique. Partout dans l'univers se baladent des êtres translucides et insaisissables, bref, des anges. Les créatures chez lesquelles échoue Ransom mènent une vie simple et, attention c'est amusant, n'aiment le sexe opposé qu'une fois dans leur vie, juste ce qui est suffisant pour se reproduire. Ce ne sont pas de vils pécheurs, eux. Les idées de guerre ou de cupidité leurs sont aussi totalement étrangères. Vers la fin, l'un des deux méchants humains se pose en représentant de Satan. Il refuse la mort, veut que l'humanité se dresse contre sa condition mortelle et colonise tout l'univers. Il faut croire que dans une bonne partie de la SF moderne, c'est Satan qui a gagné. On retrouve même la notion de « châtiment », la nécessité d'expier ses péchés...
Au-delà de la planète silencieuse commence très mollement et n’intéresse qu'à partir du premier contact. On pourrait croire que toute cette dimension chrétienne nuit a l’œuvre, mais c'est plutôt le contraire : elle lui donne un coté unique presque rafraichissant. L’intérêt vient de la découverte de cette déconcertante société chrétienne cosmique, aussi invraisemblable que cela soit.
266, 1938, Folio SF
mercredi 26 octobre 2016
Le manuscrit Hopkins - R.C. Sherriff
La fin du monde. Une fin du monde un peu originale : la lune se précipite doucement mais surement vers la Terre. Et en attendant le choc, la vie, en Angleterre, continue tranquillement. En fait, la majorité du roman se déroule avant la catastrophe. Le récit est introduit comme un document historique par un avant-propos rédigé des centaines d'années plus tard. Quelle tristesse, se plaint l'auteur de cette introduction, que le manuscrit Hopkins soit le seul document sur la chute de l'Europe ! Et il ne cesse de dire du mal d'Hopkins, le narrateur/historien. Hopkins, en effet, prend beaucoup de place. Il prend même plus de place que l'apocalypse lui-même, qui passe étonnamment rapidement. Hopkins me fait penser à The Big Lebowski. Comme lui, ce personnage est une blague. Petit bourgeois campagnard, sa grande passion est l’élevage de volaille. Il écume les concours, fier de ses poules et de leurs médailles. Il a un horizon d'esprit assez limité, est prétentieux, mesquin, égocentrique... Et pourtant, ce personnage est très attachant. Ses défauts font rire, mais finalement, c'est un type sympa, bienveillant et courageux, à sa façon. Vraiment, la façon dont Sherriff gère son personnage est remarquable. En le faisant apparaitre si imparfait, si bassement humain, non seulement il parodie une certaine image du gentleman anglais et enchaine les situations hilarantes, mais il nous fait l'aimer, ce Hopkins.
L'apocalypse, donc. Et bien la lune s'écrase dans l’océan atlantique nord, provoquant inondations et tempêtes, et créant un nouveau continent. C'est complétement invraisemblable, mais bon, ça passe. Hopkins et quelques autres survivent, tentant de remettre sur pied la civilisation, d'abord dans leur coin, puis à grande échelle, une fois que la communication est rétablie entre les communautés. Chose intéressante, c'est l'apocalypse qui est à l'origine des moments les plus heureux de la vie de Hopkins. Avant que la lune n'arrive, il s'agissait de travailler dur avec les gens du village pour construire l'abri, activité créant un sens clair à la vie quotidienne, unissant les gens dans un but commun. Se lever le matin avec un objectif précis, travailler dur avec autrui, faire une pause en buvant un verre et en faisant des blagues. Hopkins savoure cette nouvelle façon de vivre. Et après l'apocalypse, c'est encore mieux. Isolé avec deux jeunes gens, c'est le retour à la terre : chasser et cultiver, manger et dormir, le sentiment de groupe et la certitude que chacun est à sa place. Hopkins est heureux, et la civilisation semble bien prête à repartir sur le droit chemin. Jusqu’à ce que les hommes de pouvoir s'en mêlent. Incapables de se partager les richesses du nouveau continent, ils ont recours aux armes. La guerre. L'Europe ne survit à une collision avec la lune que pour se tirer une balle dans la tête. Et Hopkins, ne voulant que vivre dans sa maison avec les gens qu'il aime, en compagnie de ses adorables volailles, erre dans un Londres en ruine, presque dépeuplé. Le manuscrit Hopkins est un récit apocalyptique original, drôle et touchant. Un classique méconnu du genre.
1939, 413 pages, L'arbre vengeur
samedi 22 octobre 2016
Les premiers hommes dans la Lune - H.G. Wells
Ah, le bon vieux temps, l'époque dorée dans laquelle il suffisait d'avoir un pote scientifique pour aller se balader dans l'espace en pantoufles, littéralement. Pas la peine d'en parler à qui que ce soit, ni de se poser trop de questions, fonçons à l'aventure, tout simplement ! Bedford, le narrateur, est un magouilleur dans une mauvaise passe. Espérant se refaire, il s'installe dans un coin paumé de l'Angleterre pour écrire une pièce de théâtre. Mais voilà qu'il fait la rencontre de Cavor, joli cliché du scientifique génial mais mais sans aucun sens pratique. Cavor est sur le point de faire une découverte fort importante : la cavorite. Un métal possédant l’étonnante propriété de faire écran à la gravité. Voilà qui ouvre bien des possibilités. Après quelques déboires, nos deux héros décident de s'embarquer sur la Lune, pour
Sur la Lune, il n'y a, comme on peut s'y attendre, pas grand chose. Pas beaucoup de gravité non plus, ce qui donne à nos héros les mêmes capacités que John Carter. Mais voilà que le jour se lève, le soleil montre le bout de ses rayons, et fait fondre l'air gelé pendant la nuit, créant ainsi une atmosphère temporaire. Atmosphère bien entendu respirable, ce ne serait pas pratique sinon. Et soudain, des plantes percent le sol lunaire, et grandissent, grandissent à une vitesse folle. Nos deux explorateurs, pas très futés, vont se balader et perdent de vue leur vaisseau. Il va de soi que la Lune est habitée par des êtres intelligents, vivant sous terre, parce que la Lune est creuse, et possède un vaste océan souterrain. Bref, nos héros se font capturer par des aliens plutôt pacifiques, doivent s’échapper suite à un malentendu, Bedford parvenant à rentrer maladroitement sur Terre, alors que Cavor reste coincé sur place. La dernière partie du roman laisse la parole à Cavor,qui envoit des messages radio depuis la Lune, et c'est là qu'on en apprend le plus sur cette civilisation.
Wells a le don de mêler aventure rocambolesque et idées intéressantes. On s'amuse bien à suivre les péripéties d'un duo de bras cassés, certes, mais l’intérêt véritable est ailleurs. La cavorite est une substance qui laisse supposer des applications aussi folles que la flohrisation dans l'Homme élastique, mais Wells choisit de laisser le secret de sa fabrication se perdre, sous-entendant clairement que l'humanité ne ferait pas que du bien avec ce savoir. La civilisation lunaire est une utopie inquiétante et ambiguë. Chez les lunaires, pas de guerre. Le monde est uni, et chacun, dès son plus jeune age, est formé pour une tache précise. Formé aussi bien mentalement que physiquement. Chaque lunaire a un corps adapté à son métier : grosse tête pour les intellectuels, habilité des doigts pour les peintres, gros muscles pour les gardiens de l'ordre... Et tous trouvent dans leur tâche leur unique bonheur. Ainsi, quand ils n'ont pas d'ouvrage, ils prennent un narcotique pour dormir jusqu’à ce que la société ait à nouveau besoin de leurs services. Et selon Cavor, « droguer l’ouvrier dont on a pas besoin et le mettre en réserve vaut sûrement beaucoup mieux que de le chasser de son atelier pour qu'il aille mourir de faim dans les rues.» Moui. Tiens, notons au passage, pour un petit rire facile, que certaines femelles, « en certains cas, possèdent un cerveau de dimension presque masculine. » Ah, le charme de la littérature d'un autre temps. Donc, pour résumer, l’être lunaire est heureux et vit en paix parce qu'il est une machine. Mais... une machine, vraiment ? C'est là tout l’intérêt de ce genre de fiction : selon nos critères, une telle organisation parait horrible. Disparition totale non seulement de la liberté, mais aussi, plus important, de l'idée de liberté. Pas d'illusions de free will, non, pur déterminisme totalement assumé, recherché. Et plus le roman avance, plus progresse la communication entre les espèces, et plus l’intérêt augmente. Dans le dialogue final entre le chef de la Lune, son plus gros cerveau, et Carvor, ce dernier commet une grossière erreur : expliquer en détail aux aliens perplexes ce qu'est la guerre. Ils n'ont pas l'air d’être convaincus de l’intérêt de la chose.
Ma foi, Les premiers hommes dans la Lune est un bon p'tit roman dont l’intérêt va croissant. Un premier contact plein d'idées et d'humour. On n'est pas sans sourire quand Wells, dans un clin d’œil à l'Utopie de Thomas More, fait s’émerveiller ses personnages devant leurs menottes et chaines lunaires, fabriquées en or. Quand Bedford revient sur Terre avec ces précieux trophées, l'or pèse bien plus lourd, au sens propre comme au figuré.
1901
jeudi 20 octobre 2016
Point oméga - Don DeLillo
Deux hommes, seuls dans une maison paumée au milieu du désert. L'un, jeune, plus ou moins réalisateur, veut faire un film sur l'autre, vieux, qui a l'air de bien connaitre les rouages du pouvoir. Un film d'une seule séquence, plan fixe de son visage. Puis la fille du vieux arrive. Et disparait. Ce récit central est entouré par deux chapitres dans lesquels un homme est obsédé par une projection au ralenti de Psychose.
Voilà voilà.
Il ne se passe pas grand chose, les personnages papotent étrangement, sans avoir l'air de bien se comprendre, selon le style de DeLillo, et ils sont très doués pour boire de l'alcool et ne rien faire. Je suppose que ce petit roman a pour thèmes l'image, le temps et leur déformation. Que ce soit dans les immensités du désert ou face à un film étiré pour durer 24 heures, la perception du temps change, et change les personnages. Don DeLillo sait écrire, alors ça passe plutôt bien. C'est le genre de roman froid et opaque qui offre une petite plongée à la fois prenante et chiante dans le vague de l'expérience humaine. Est-ce que cette expression veut dire quelque-chose ? Aucune idée. Mais elle me semble approprié.
139 pages, 2010, Actes Sud
samedi 15 octobre 2016
Futu.re - Dmitry Glukhovsky
L'immortalité. En Europe, 120 millions de personnes vivent dans des tours colossales. Et des centaines de millions de plus ailleurs dans le monde. Comme plus personne ne meurt, plus personne ne doit naitre. L'eau, l'air et l’énergie ne sont pas disponibles à l'infini. Si un parent est prêt à se sacrifier pour donner la vie, un enfant est possible. Il y a évidemment ceux qui essaient de frauder : avoir la parenté et la vie éternelle. Mais ceux-ci sont des criminels, traqués par les commandos des Immortels, troupes de choc dont le rôle est la répression des fraudeurs. L'enfant est enlevé pour grandir dans un internat et devenir plus tard un immortel lui-même, et l'un des parents se fait injecter la vieillesse.
717, le narrateur, est un Immortel. C'est un peu un connard. Mais pas trop. Enfin, il n'a pas eu une enfance facile. Tout le long du récit on a droit à des flashbacks sur son enfance dans un internat. C'est glauque. Futu.re (dont je n'ai d'ailleurs toujours pas compris le titre) est un roman très cru. Voir très violent. C'est parce que l'univers décrit l'est. Sous les apparences, le sang coule. Chose étonnante, le récit commence exactement comme Deus Ex. 717 est un soldat d'élite obéissant à une autorité qu'il respecte. Envoyé accomplir des missions délicates, il se verra confronté à divers choix et révélations qui viendront bouleverser ses croyances. Exactement comme dans Deus Ex : tuer un leader rebelle ou écouter ce qu'il a à dire ? Puis, comme dans toute dystopie qui se respecte, il se trouve une amoureuse et voit la vie en rose. Ses aventures seront l'occasion de faire visiter au lecteur différents aspects de cette société : les lieux de plaisir, les quartiers isolés où s'entassent les vieux, une Barcelone bordélique et dangereuse remplie d'immigrés, les lieux de pouvoirs qui récupèrent l'imagerie antique...
Commençons par quelques réserves. La structure narrative décrite plus haut est assez classique. L'histoire d'amour, dans ce genre de contexte, a presque l'air d'un cliché. Et en parlant de cliché, l'image de la femme qui se coupe les cheveux pour symboliser un changement intérieur, bon, c'est un peu superflu. Et le fait qu'une bonne partie de l'intrigue repose sur une histoire de famille. A savoir : mais qui sont mes parents ? On a droit à une révélation du style "Je suis ton père, Luke." Ah, les liens familiaux, ou comment injecter aisément du mélodrame.
Mais rien n'y fait, j'ai dévoré Futu.re (mais qu'on m'explique ce foutu titre) avec passion, d'une façon dont peu de romans peuvent se vanter. C'est juste terriblement efficace. Très, très bien foutu. J'aime les dystopies. Ici, on sent énormément l'influence des Monades Urbaines et de Soleil Vert, dont les deux visions d'un avenir surpeuplé semblent se mélanger. L'influence de Deus Ex est peut-être bien réelle. Et les dernières pages rappellent de manière frappante la toute dernière scène de Matrix. On y retrouve même le "system faillure". Mais malgré tout cet héritage, on n'a jamais l'impression de lire une pâle copie. Futu.re tient solidement sur ses deux pieds. On remarque en souriant les piques de l'auteur à sa Russie natale, et l'on s'interroge sur ce que, à défaut d'autre mot, ou pourrait appeler le message du livre (notion délicate). Dmitry Glukhovsky n'a pas l'air de penser que l'immortalité puisse bénéficier à l'humanité. Vraiment ? Serait-ce la fin de toute créativité, un désert d'ennui et d'artificialité ? Ou l'immortalité, dans un autre environnement sociétal, pourrait-elle être la libération tant rêvée ? Enfin bref. Une captivante exploration d'une humanité figée dans la vie, belle, violente, et l'impression de, peut-être, qui sait, avoir lu un futur classique.
(Sinon, pour le titre, le point est censé symboliser l’immortalité, qui interromps l'écoulement normal du temps ? Mouais. Je ne sais pas.)
726 pages, 2013, L'atalante
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mercredi 12 octobre 2016
Le canal Ophite - John Varley
Quand dès la première page on trouve une phrase comme « L'état requiert la peine de mort à perpétuité », les choses s'annoncent bien. John Varley réussit merveilleusement bien à plonger le lecteur dans un univers complexe avec quasiment aucune exposition. On apprend petit à petit à comprendre l'histoire et les règles de ce monde, de façon fluide et naturelle. Pour faire simple, l'humanité n'est plus ce qu'elle était. Les Envahisseurs ont, d'un revers de main, fait dégager tout le monde de la Terre, au profit des baleines et des dauphins, seuls animaux intelligents de la planète, trop longtemps oppressés pas des milliards de bipèdes technophiles. Du coup, ce sont la Lune et les huit autres planètes du système solaire qui sont occupées par ces pathétiques mammifères grégaires. Les choses ne vont pas si mal, on cultive des trous noirs, on se clone, on change de sexe, on remodèle son corps, on profite de la jeunesse éternelle, on fait l'amour, on fusionne avec un symbiote pour orbiter autour de Jupiter (ou est-ce Saturne ?), tout ça tout ça. Voilà qui n'est pas sans rappeler la Culture de Iain Banks, qui, comme je le découvre, a du trouver pas mal d'inspiration chez John Varley.
Tout ces progrès, les humains les doivent en bonne partie au canal Ophite, un mystérieux rayon d'informations qui semble venir de très, très loin. Et voilà qu'un beau jour, un message arrive : les philanthropes anonymes veulent paiement pour leurs services. Sinon, sanction. Se retrouve mêlée à cet embarrassant problème Lilo, scientifique hors la loi, condamnée à mort, puis enlevée, clonée, etc. Je ne m’aventurerais pas à résumer l'épopée de Lilo, Lilo et Lilo (ses clones). En effet, John Varley arrive a entrainer le lecteur dans une aventure abracadabrante qui, pourtant, fait parfaitement sens. Varley va vite, il ne s’arrête pas en route pour prendre le lecteur par la main, et c'est tant mieux. Et ça parle de liberté sexuelle, de clonage, d'évolution, de premier contact, de la nature de l'intelligence, et le tout avec une fougue remarquable. J'ai adoré Le canal Ophite. C'est dense, bourré d'humour, intelligent et stimulant. Je ne suis pas un expert de l'histoire du space opera, mais il me semble que ce roman, qui d'ailleurs n'accuse absolument pas son age, a du avoir une influence majeure sur les auteurs qui vinrent ensuite.
343 pages, 1977, Folio SF
lundi 10 octobre 2016
Carmilla - Sheridan Le Fanu
Vingt-six ans avant Dracula paraissait Carmilla, l'histoire d'une vampirette qui a pas mal influencé le roman de Bram Stoker. On y retrouve l’Europe de l'est, un grand château gothique, un expert de l'occulte qui aide à vaincre la créature... Tous les ingrédients sont là, avec la particularité que cette fois, c'est une histoire de femmes. Le vampire est une jeune femme (enfin, jeune juste en apparence), la narratrice est aussi une jeune femme, un peu naïve, qui ne comprend les choses que bien après le lecteur. Et entre ces deux personnages, une relation ambiguë. La vampire Carmilla ne cache pas son désir, qui ressort parfois dans des élans d'émotions. C'est à la fois un désir amoureux, sexuel et, bien sur, vampirique. La narratrice n'est pas insensible au charme de Carmilla, et même si elle ne se l'avoue pas, on devine que le désir est au moins en partie réciproque. Et suivent les classiques : l'influence négative du vampire, le vampire démasqué, le vampire traqué. Le tout avec l'aide de quelques récits insérés. Aujourd'hui, il faut bien avouer que Carmilla semble fort classique, le genre gothique étant très codé. Mais cela n'enlève rien au charme de ce petit récit fondateur, qui a le mérite de ne pas tirer à la ligne, et dont le ton doucement érotique lui donne une individualité certaine.
156 pages, 1872, Babel
vendredi 7 octobre 2016
Annihilation - Jeff Vandermeer
J'ai un peu de mal à comprendre le succès de ce bouquin. Sur la quatrième de couverture sont cités Kubrick et Lovecraft. Kubrick, bon, c'est sans doute par rapport au coté perché de la fin de 2001, mais cette comparaison ressemble un peu à une insulte envers le réalisateur. Lovecraft, oui, son influence est clairement là, mais d'une façon qui me donne juste envie de retourner lire ses nouvelles. Annihilation doit plus à Stalker auquel il emprunte le concepts de la Zone (ici c'est la Zone X), ou, plus récemment, à l'excellent Monsters de Gareth Edwards.
Une équipe de quatre femmes est envoyée explorer la Zone X, dont on ne saura jamais grand chose. Le mystère, le flou, pourquoi pas, encore faut-il provoquer l’intérêt du lecteur. Première chose, les interactions entre les personnages. Totalement à coté de la plaque. On n'y croit pas une seconde, les quatre femmes en viennent rapidement à s'insulter, puis à s'entretuer, rien que ça, sans qu'on comprenne vraiment pourquoi. Quand on a quatre personnages, et qu'on les fait s'entretuer, il vaut mieux avoir de bonnes raisons, non ? L'exploration de la Zone. Ben il ne se passe vraiment pas grand chose. Ballade à droite, ballade à gauche, tiens un p'tit monstre, oh un puits plongeant dans d'effrayantes profondeurs ténébreuses, etc, avec un autre monstre au fond... Encore une fois, pourquoi pas, mais le fait est que ça ne fonctionne pas du tout. Par exemple, le monstre du puits écrit des phrases bizarre sur les murs. Ça a l'air important puisque l'auteur n’arrête pas d'en parler, mais on ne comprendra jamais le pourquoi de la chose. Dans le même genre, dans un phare pas loin, il y a un énorme tas de carnets laissés par de précédentes expéditions. Mais pourquoi ? Sérieusement, pourquoi laissent-ils tous leurs carnets là ? Et pourquoi la narratrice fait de même à la fin ? Tiens, la narratrice, parlons-en. Elle n’arrête pas, pendant des pages et des pages, de raconter sa vie qui peut se résumer par "je suis très solitaire et j'aime la biologie, et au fait, je suis très solitaire." Elle prend une place énorme dans le récit, à vrai dire, elle est le récit. En résumé, toutes les tentatives de Jeff Vandermeer pour créer une ambiance oppressante et horrifique tombent absolument à plat, et ce qui pourrait captiver, comme la simple exploration d'une nature bizarre, est pollué par une narratrice juste... ennuyeuse.
222 pages, 2014, au diable vauvert
mercredi 5 octobre 2016
Limbo - Bernard Wolfe
Un roman comparé en quatrième de couverture à 1984 et au Meilleur des mondes, qui serait un classique méconnu en France. Le docteur Martine vit tranquillement dans une petite ile depuis une vingtaine d'années. Fuyant la troisième guerre mondiale, il s'est installé là un peu au hasard, mais s'y sent bien. Expert de la chirurgie du cerveau, il a pris en main un rite local : l'ablation des zones d’agressivité du cerveau. De la lobotomie pacifiste. Mais en enlevant la violence, on enlève aussi tout plaisir et désir sexuel. C'est un thème qui se retrouve dans tout le roman : comment empêcher la guerre sans transformer l'humain en... autre chose ? Bref, quelques touristes viennent troubler la tranquillité de l'ile. Des touristes qui semblent camoufler des activités peu avouables. Et qui ont des prothèses métalliques à la place des jambes et des bras. Bizarre. Le docteur Martine sent que quelque chose se prépare, alors direction ce qui reste des USA pour comprendre ce qui a bien pu se passer depuis son départ.
Immob. Une sorte de religion politique, selon laquelle la solution à la guerre est de... se faire couper les membres. Enfin, seulement pour les hommes. Et les blancs. Qui a des bras a des armes ! Mais l’opinion est divisée. Si certains utilisent des membres artificiels qui les rendent surhumains, d'autres embrassent la passivité à fond, n'étant que tronc. L'exploration de ce monde par le docteur Martine est tout à fait passionnante. On comprend par le simple concept d'Immob que l'humour noir teinté d'absurde n'est jamais loin. C'est d'autant plus vrai grâce à quelques retournements de situation d'une délicieuse ironie. Ce qui est marquant dans ce monde, c'est à quel point il est basé sur des idées réelles. Rimbaud, Freud, Tolstoï, Dostoïevski, Thoreau, Huxley, et d'autres que je ne connaissais pas. On a l'impression que toutes les idées de cette société Immob, et du narrateur, sont des continuations logiques mais absurdes (ou pas ?) d'idées historiques. D'ailleurs, sans en dire trop, tout le roman est une grande blague (et une bonne) sur l'interprétation à coté de la plaque des écrits d'autrui. Faire ce que l'on veut de textes dont l'auteur n'est plus là, c'est tentant (coucou fac de lettres).
Autre élément : le sexe. Je crois n’avoir jamais lu dans un roman autant de fois le mot orgasme. Disons l'évident tout de suite : Bernard Wolfe a du avoir de mauvaises expériences avec des femmes n'étant pas sexuellement compatibles avec lui. Quand il fait monologuer le docteur Martine sur les femmes frigides, on a vraiment le sentiment d'entendre l'auteur exprimer ses frustrations personnelles. Au delà de ça, Wolfe présente la sexualité féminine comme agressive jusqu'au ridicule. Je n'ai pas étudié la place de la femme dans l’Amérique des années 50, mais cela semble assez pertinent d'imaginer un futur où l'inversion des rôles n'est guère plus épanouissante. Et cela fait parfaitement sens : les hommes n'ayant plus de membres, ou des membres détachables, on imagine la passivité masculine qui en découle. Et c'est amusant de voir ressortir le coté conservateur de Martine, qui se révolte contre cette insulte à sa virilité. Ainsi les hommes démembrés, allongés immobiles dans des paniers, ne sont que des gros bébés exigeants à la merci des femmes.
Limbo est a mon sens un roman remarquable, pour plusieurs raisons. Il y a d’abord l'habilité de sa construction, où une simple information supplémentaire peut changer toute notre perspective, avec beaucoup d'humour. Et ensuite la multitude des thèmes traités. La guerre et le pacifisme, le masochisme inhérent à l'espèce humaine, la sexualité, le transhumanisme, la religion, ses prêtres manipulateurs, ses disciples naïfs et ses messies instrumentalisés, l’acceptation de l’agressivité comme faisant irrévocablement partie de l'Homme... Ces thèmes s’imbriquent fluidement les uns dans les autres, créant un tout cohérent. Mais l'élément le plus captivant de Limbo est finalement assez indéfinissable. Cet humour, ce ton entre les tons... Limbo a réussi à me captiver, me titiller l'esprit, en me maintenant dans une sorte de curiosité floue et intriguée. C'est une blague, une bonne grosse blague, qui évacue par le rire ce qui pourrait faire pleurer. Une blague qui multiplie les réflexions pertinentes sans chercher à établir de vérité. Brillant.
Autrefois les hommes ne perdaient leurs membres que sur les champs de bataille ou au cours de bombardements. C'était alors un accident ou quelque chose qui leur était imposé, sans qu'ils aient été consultés. L'amputation volontaire est donc un grand pas en avant de la condition humaine...
438 pages, 1952, le livre de poche
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