On peut sans doute qualifier Random acts of senseless violence (1993, Journal de nuit en Français) de Jack Womack de fiction sur l’effondrement. Quel effondrement ? Eh bien, justement, tout plein d'effondrements, il y en a pour tous les goûts.
Déjà, le classique effondrement sociétal. Dans le journal de la jeune Lola, 12 ans, on suit New York plongeant petit à petit dans de chaos. On ne connaitra pas les raisons, mais ça sent fort la crise économique extrême alliée à une crise civilisationnelle plus large. L'horreur et la violence sont à tous les coins de rue, les présidents tombent comme des mouches, les gamins incendient les clochards pour s'amuser, l'armée occupe les rues, la ville crame et suffoque, la canicule règne... Lola est aussi prise dans l’engrenage de l’effondrement de sa famille. Son père est scénariste pour Hollywood, mais, dans un tel contexte, il n'y a plus beaucoup de films en production. C'est le point de départ : la perte du job du père, puis le déménagement dans un quartier pauvre, la petite sœur qui déraille, la mère défoncée aux anti-dépresseurs... Évidemment, c'est aussi la vie personnelle de Lola qui s’effondre. Dès qu'elle déménage, la voilà paria dans son ancienne école, sans compter qu'elle a le malheur de bien aimer les filles. Alors elle se fera de nouvelles connaissances, des filles de la rue, et la violence ne cessera de grignoter son existence. Enfin, l’effondrement de son écriture : au fil des pages, le style de Lola part en vrille, sa grammaire fout le camp, et apparait un argot dévorant. Je ne sais pas ce que ça donne dans la traduction française.
Difficile de rendre compte de l'intensité de la violence qui habite ces pages. La violence sexuelle, notamment, omniprésente, et la sexualité est inévitablement précoce. Au début, Lola ne comprends pas que tant de gens pètent les plombs apparemment pour rien, mais quand sa situation ne cesse de se dégrader, elle comprend, car elle-même va avoir soir de sang, soif de violence vengeresse envers l'univers tout entier, soif de se débattre et de mordre comme un chien dans un chenil. Heureusement, pour compenser ces horreurs, le regard de Lola est souvent frais, et cette gamine est coriace, on s'attache à ce qu'il lui reste de beau ; le bêtement glauque est esquivé. Jack Womack est subtil, il sait que le racisme n'a pas de couleur.
Random acts of senseless violence est bon roman qui n'a pas de leçon de morale à donner, je ne sais pas trop ce qu'il a à donner d'ailleurs, peut-être simplement une vision radicale de la tension surpeuplée des villes étouffantes et des conséquence de la foi vacillante d'une société en elle-même. A placer dans la bibliothèque à côté d'Orange Mécanique, avec lequel il partage le goût du sang et l'inventivité langagière.
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