Edible Forest Gardens de Dave Jacke et Eric Toensmeier est un pavé incroyablement dense sur la conception de jardins-forêts, c'est-à-dire d'environnements conçus pour pour donner un maximum de récoltes en échange d'un minimum de travail en recréant partiellement l'écologie auto-régulatrice d'une forêt. En somme, une forêt où il y aurait la place de se déplacer et où la quasi totalité des plantes seraient utiles aux humains. Bien sûr, cette auto-régulation est un idéal : dans les faits, il y aura toujours un certain travail d'entretien à fournir, même s'il reste assez minimal comparé à celui des monocultures (minimal aussi dans le sens où il n'y pas d'utilisation de fertilisants artificiels). Ce bouquin m'a vraiment frappé par sa profondeur : à partir de la deuxième moitié, j'ai commencé à lâcher prise tant les détails sur l’écologie forestière deviennent complexes. Je n'était pas prêt à absorber une telle quantité d'informations, d'autant plus que je suis loin de maitriser ce vocabulaire très spécialisé en anglais. Et ce n'est que le premier tome ! En comparaison, l'Introduction à la permaculture de Bill Mollison est vraiment accessible.
Un jardin-forêt fait le pari de diversité contre celui de la monoculture.
- La diversité produit plus de niches qui elles-mêmes, en retour, favorisent la diversité.
- La diversité réduit la compétition entre les espèces car chacune se spécialise dans sa propre niche.
- La diversité favorise la résilience du système : si une espèce à des difficultés, sa niche peut être reprise par une autre.
- La diversité réduit l'impact des prédateurs herbivores : il devient plus compliqué pour les prédateurs de trouver leurs proies dans un dédale complexe. La complexité donne aussi plus de lieux de vie aux prédateurs.
- La diversité crée de la beauté pour les sens humains.
Sont discutés les potentielles tensions entre plantes natives et exotiques (ou opportunistes), les besoins nutritionnels des plantes, l'existence complexe des racines, les liens avec le mycélium et autres organismes, l'idée que les forêts coévoluent depuis longtemps avec les humains, la gestion de l'espacement entre les espèces, les plantes les plus adaptées aux jardins-forêts, la coopération entre groupes de plantes (les "guildes"), mais aussi diverses choses que je n'ai absolument pas compris... C'est presque le même effet que quand je lis de la physique ! Plus abordables sont les divers schémas, qui offrent quelques oasis bienvenus, et les trois études de cas qui permettent de se frotter au concret.
En somme, après beaucoup de temps passé à déchiffrer ce pavé, je n'en retiens pas tant des informations très spécifiques (je manque sans doute d'expérience dans le sujet) que l'idée générale. C'est peut-être une évidence, mais historiquement, le lien avec les forêts a certainement été très intense : par exemple, les glands du chêne ont peut-être nourri l'humanité bien plus longtemps que le blé ou les pommes de terre, qui sont assez récents. Bien sûr, comme pour la permaculture, songer aux jardins-forêts c'est potentiellement chambouler une vision dominante de l'ordre social. Hélas, dans un monde de plus en plus urbain, où l'espace vital de chacun se réduit, où la population croît perpétuellement et où l'environnement subit des tensions inédites et va sous peu en subir de plus violentes encore, l'idéal que représente le jardin-forêt semble presque hors de portée, d'autant plus que c'est un projet qui se porte sur le long terme et nécessite une terre.
Le livre est aisément trouvable en PDF, par ici notamment.