mardi 17 mars 2020

L'agonie de la Terre - Théo Varlet & Octave Joncquel (L'épopée martienne 2)

L'agonie de la Terre - Théo Varlet & Octave Joncquel (L'épopée martienne 2)

La suite directe de l'excellent Les titans du ciel ne déçoit pas : L'agonie de la Terre (1922), à ne pas confondre avec La mort de la Terre (1910) de Rosny Ainé, ou L'agonie du globe (1935) de Jacques Spitz (à cette époque le thème est récurrent) est tout aussi flamboyant et palpitant que le le premier tome. Notre valeureux héros se fait voler son corps par le chef des vils martiens dont les âmes sont venues s’abattre sur ce qu'il reste de l'humanité : c'est l'occasion d'un petit voyage cosmique. Puis, avec l'aide des entités de Vénus, le narrateur et sa copine, désincarnés, reviennent sur Terre, se réapproprient leurs corps, et les voilà empereur et impératrice des martiens. Humains incognitos, ils ne peuvent agir dans l'intérêt de leur espèce sans révéler leur identité... Alors, souffrant de leur impuissance, ils contemplent les machinations martiennes et doivent même y prendre part.

Passons sur la confusion entre âme et esprit (les auteurs ne se soucient pas de ce détail). Mais cette désincarnation est l'occasion de réflexions typiques sur une potentielle spiritualité salvatrice :
Quel sublime élargissement du Mystère, depuis que nous n’évaluons plus à l’échelle de nos sens humains l’infini sidéral ; depuis que l’égoïste animalité du corps a cessé d’imposer à nos esprits ses terreurs puériles et ses préjugés !
Si une partie de l'intrigue est consacrée aux autres humains survivants, qui vivent quelques aventures à l'autre bout du monde, le gros morceau concerne bien le narrateur empereur des martiens. Les martiens sont une humanité totalement subjuguée par la barbarie de la technique et servent à une critique de la modernité et, plus particulièrement, du technologisme, des abus de la technique :
Hélas ! disait le vieil Égrégore, – parodiant inconsciemment une des lois fondamentales de la paléontologie terrestre – la perfection d’un peuple précède de bien peu sa déchéance irrémédiable. Le progrès matériel surtout implique en lui-même une nécessité accélératrice qui l’oblige à dépasser son but normal et légitime, qui affole et dérègle l’esprit de ses détenteurs et les précipite à leur perte…L’ambition des « machinistes » martiens s’exaspéra. La planète devint un champ trop étroit pour leur activité, décuplée, centuplée par l’entraînant vertige de l’industrie. Ils rêvèrent d’aventures formidables, de conquêtes titanesques. Ils entreprirent de bouleverser les lois éternelles qui règlent les destinées des âmes planétaires. La lenteur des transmigrations usuelles leur apparut dérisoire ; et entraînant à leur suite l’adhésion de l’unanime impatience, ils résolurent d’escalader le ciel, de sauter un des anneaux de la chaîne planétaire, et d’aborder dans leurs corps martiens sur la planète suivante : la Terre.
Ainsi les martiens vénèrent la machine, et cette foi, car il ne s'agit plus de science, mais de foi, devient leur talon d’Achille :
Soyez tranquilles ! Le Machinisme, expansion de l’intelligence, suscite au fur et à mesure les instruments de ses hauts desseins. Il les tire de l’inépuisable Matière, les multiplie à coups de formules, au gré de ses désirs.
Au-delà de ces réflexions typiques de l'époque, et dont l'actualité est loin de s'être évanouie avec le temps, les auteurs se surpassent encore une fois en imagination. Le narrateur, souverain de la capitale martienne sur Terre, se fait confident du vieux pape de l'ancienne foi raisonnable et ennemi juré du nouveau pape, le Directeur Technique, incarnant la soumission aveugle à la machine. Les âmes martiennes errent sur la planète, désespérées de ne pas trouver assez d'humains, alors elles se jettent sur les singes. D'abord les grands singes, puis les plus petits. Évidemment, les âmes ne peuvent pas déployer toute leur intelligence dans ces cerveaux limités, alors elles deviennent des choses mi-martiennes mi-bêtes. Et plus tard, face à la pénurie du corps, les âmes se jettent sur les rats, les insectes... Les martiens, superstitieux, veulent envahir Vénus pour continuer leur voyage spirituel, et dans ce but ils utilisent leur industrie pour déployer une armada de vaisseaux qui utilisent une sorte d'anti-gravité. Ce n'est pas tout : entre deux orgies, entre deux cérémonies, consumés par la vengeance, ils veulent détruire la Terre derrière eux, alors ils creusent un gigantesque puits pour y introduire une bombe colossale. Quant au narrateur, qui traverse toutes ses épreuves, à la fin de tout, il lui faudra encore affronter Satan, qui lui jette au visage la vanité de toutes choses. Entité réelle ou hallucination d'un esprit éprouvé ? Au lecteur d'en juger.

L'agonie de la Terre forme avec Les titans du ciel un unique roman. Et quel roman ! Alors que la plupart des bouquins de SF contemporains me tombent des mains au bout de quelques pages, je suis ici plus que séduit par une inventivité débordante alliée à un lyrisme débridé et une réjouissante démesure, le tout n'étant que sublimé par sa charmante désuétude. Mais qu'on ne s'y trompe pas : derrière cette désuétude se cachent des thèmes puissants et un vigoureux sens de la narration.

L'avis de TmbM.

3 commentaires:

  1. J'ai lu récemment La grande panne du même auteur et je lis la suite "Aurore Lescure".
    Charmant,sur fond de romance.

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    1. Celui-là ne m'est pas encore tombé entre les mains !

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  2. Je connaissais pas moi non plus .C'est un peu rocambolesque et à replacer dans le contexte de l'époque.
    Je suis tombée sur ton blog par un autre blog.Le hasard fait que je tombe sur T Varlet

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