lundi 30 mars 2020

Dette : 5000 ans d'histoire - David Graber


Dans Dept : the first 5000 years (2011), en français Dette : 5000 ans d'histoire, David Graeber se lance dans un projet monumental : faire une histoire globale de la notion de dette. Il lui faut donc explorer toutes les civilisations, faire de l’éthique, de l'anthropologie, de l'économie, toute une histoire de l'argent et retomber sur ses pattes à l’époque contemporaine. Au final, le résultat est passionnant mais un peu éparpillé. J'ai adoré la première moitié, qui se concentre sur les balbutiements de la civilisation et s'aventure en détail dans des explorations anthropologiques. Dommage que par la suite l'échelle du projet rende le tout un peu indigeste : ça devient très long, un peu répétitif et confus, j'ai eu du mal à suivre et j'ai sauté des pages.

L'introduction est excellente et met dans le bain avec de la narration de qualité : l'auteur raconte sa propre expérience face à l'idée ubiquitaire que les dettes doivent être repayées. Mais si c'est le cas, si les dettes doivent être repayées, alors pourquoi ne pas prêter de vastes sommes à des pays du tiers monde, sommes empochées par des dictateurs pendant que les pays devront passer l'éternité à les rembourser ? C'est-à-dire que le prêt n'est plus tant un levier pour le progrès qu'une arnaque à très long terme.

Ensuite, retour aux origines. Pour commencer, l'auteur s'attaque au mythe du troc, cette idée selon laquelle les sociétés sont passées du troc à la monnaie parce que c'était plus pratique. Mais le fait est que ce troc mythique n'existe pas : nul part on a échangé dix poulets contre une paire de chaussure. Pour être plus précis, le troc n'est employé et n'a été employé nulle part de façon durable dans un cadre relativement sédentaire. Au contraire, le troc est employé entre ennemis : quand une relation de confiance n'est pas possible. Ainsi, la monnaie virtuelle est la forme originelle de monnaie, c'est-à-dire une forme de confiance, d'obligation sociale, dans une petite société où les gens se connaissent de réputation au moins et dépendent les uns des autres. Donc l'argent n'aurait pas été "inventé", car il n'est pas une "chose", mais simplement une façon de comparer les choses entre elles. Il là une attitude qui existe encore et que l'auteur appelle "communisme quotidien" : le simple fait qu'entre proches, ou dans des situations particulières (urgence, travail...) les humains s'entraident de façon gratuite pour des raisons d'efficacité.

La première monnaie bien connue, si je ne me trompe pas, est celle de Mésopotamie : le shekel, qui se divise en soixante mines. La valeur de cette monnaie était basée sur les boisseaux d'orge : ainsi les soixante mines sont les deux repas quotidiens des travailleurs pendant un mois. Cet argent sert donc simplement à organiser des ressources. Au quotidien, si les marchants utilisaient parfois de l'argent (le métal), les échanges se faisaient surtout à crédit, crédits qui étaient réglés notamment à l'occasion des moissons.

Il y un long examen de l'idée de dette comme inhérente, on non, à la nature humaine. C'est la base de bien des religions : la vie est une dette à la divinité, créditeur final. Et dette est ici synonyme de culpabilité. Aussi, l'idée de la dette comme potentiel principe de base des relations humaines.

Un autre type de monnaie, encore en cours dans certains coins de la planète : les monnaies purement sociales, c'est-à-dire qui ne servent pas tant à acheter des choses qu'à réguler les interactions entre humains. Elles servent de pénalité en cas d'infractions par exemple. Elles sont souvent aussi des accessoires de beauté : bijoux, cosmétiques, habits...

David Graeber passe beaucoup de temps sur la guerre et l'esclavage. Après tout, les êtres humains ont souvent été eux-mêmes de la monnaie : l'esclave, en particulier ses femmes. Une particularité de l'esclavage antique (notamment romain) par rapport à l'esclavage moderne : le fait d'être réduit en esclavage était vu comme un manque de chance qui pouvait arriver à n'importe qui (simplement en se faisant capturer par des esclavagistes par exemple, ou en perdant une bataille) et donc n'était pas lié à la valeur intrinsèque de la personne. Ainsi, comme on le voit dans l'histoire de la philosophie (je pense ici à Diogène et Épictète), il pouvait être admis qu'un esclave soit plus futé ou plus cultivé que son maitre.

La dernière révolution contemporaine aurait été la décision de Nixon, en 1971, de totalement séparer le dollar des métaux précieux, d'éliminer l'or comme standard international. C'est ensuite la porte (encore plus) ouverte à l'abstraction totale de la monnaie et, comme la plupart des gens, j'y perds pied. Ce qui n'est pas innocent : l'ésotérisme est une arme, la haute finance une religion du mystère qui, comme le christianisme orthodoxe, accomplit ses rites dans des dédales tapissés d'or.

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