Karel Čapek est l'auteur des excellents La Guerre des Salamandres, La Fabrique d'Absolu et Récits Apocryphes. Il joint ici ses forces avec son frère pour deux pièces de haute volée.
R.U.R., 1920, est bien connue pour être à l’origine du mot robot. Cette pièce est vraiment frappante par son caractère fondateur. On y retrouve les prémices de tout ce qui s'est développé chez Asimov ou dans Blade Runner. Une industrie se met à construire des robots qui, notons-le, sont biologiques, et non mécaniques ni électroniques. Immédiatement le débat moral fait rage : Ont-ils une âme ? Doivent-ils avoir des droits ? Mais peu importe, le progrès ne s’embarrasse pas de questions. Le progrès avance. Il faut rémunérer les actionnaires. Ou courir après un monde meilleur, où l'homme sera libéré du travail. Bien entendu, ça foire. Les robots tuent tout le monde. Mais peuvent-ils prendre la place des humains, ou ne restent-ils que des machines ? Difficile à dire. Ça dépend de l'intention du fabriquant. Mais ils ne semblent pas être moins suicidaires que les humains. R.U.R. est peut-être un peu molle narrativement par moments, mais l'impression qu'on a de déjà connaitre cette histoire par cœur est un hommage à son importance.
We were machines, sir. But terror and pain have turned us into souls. There is something struggling with us. There are moments where something enters into us. Thoughts come upon us which are not of us. We feel what we did not use to feel. We hear voices.
The Insect Play, 1921, ne joue pas tout à fait dans le même registre : c'est beaucoup plus clairement une satire. La première scène concerne les papillons et la légèreté plus ou moins forcée avec laquelle la vie intelligente contemple sa propre existence. Les papillons volettent, vivent, meurent, se reproduisent, et oublient. C'est absolument hilarant. Le papillon poète est particulièrement croustillant. La seconde scène concerne plusieurs types d'insectes, qui chacun mènent leur petite vie, mais non sans se voler ou s'assassiner. C'est la classe moyenne, le quotidien, le travail. Encore une fois, la satire vise juste, c'est à la fois très drôle et pertinent. A la fin de la scène viennent planer les ombres du libéralisme et du communisme, dont les auteurs se moquent également. Troisième scène, voici les fourmis. Cette fois, on nage en plein totalitarisme guerrier et nationaliste, à la Meccania. C'est frappant de constater les ressemblances avec 1984. L'utilisation du langage pour façonner les esprits, par exemple. Une fourmi donne le rythme du travail : one, two, three, four. Mais en remplaçant one par blank (vide), on fait disparaitre un morceau de temps et le travail peut s’accélérer. La réalité n'est pas un obstacle à la doctrine. Aussi, ce passage :
Fourmi 1 : We are a nation of peace — peace means work.Orwell s'est très certainement servi là-dedans pour le motto du Parti. La pensée est modelable à volonté, liquide, plastique. Et la fin de la pièce est elle aussi excellente, touchante. Elle repose sur la figure du vagabond, qui accompagne à chaque instant les insectes pour donner un point de vue humain et un peu cynique. En somme, génial et fondateur.
Fourmi 2 : And work, strength.
Fourmi 1 : And strength, war.
177 pages, oxford university press