samedi 8 février 2014

Sénèque


Portrait_de_Sénèque_d'après_l'antique_-_Lucas_Vorsterman

Typiquement le genre de lecture dont je ne me sens pas le courage de parler sur ce blog. Par contre, c'est tout aussi aussi typiquement le genre de lecture qui se prête aux citations, et je ne résiste pas à ce plaisir, même s'il faut pour cela sortir des phrases de leur contexte.

De la tranquillité de l'âme

Habituons-nous à éloigner de nous le luxe; mesurons les objets à leur utilité, non à leur belle apparence. Que notre nourriture apaise notre faim, et notre boisson, notre soif; que notre penchant sexuel se satisfasse autant qu'il est nécessaire.

De la brièveté de la vie

Si tu vois quelqu'un avec de cheveux blancs et des rides, ne vas pas penser qu'il a vécu longtemps: il n'a pas vécu longtemps, il a existé longtemps. Irais-tu dire qu'il a beaucoup navigué, l'homme qu'une affreuse tempête a poussé ça et là dès sa sotie du port, et a fait tourner en rond sans changer de place, sous le souffle alterné des vents déchainés en tous sens ? Non, il n'a pas navigué beaucoup; il a beaucoup été balloté. 

De la vie heureuse

Sénèque répond aux objections contre les philosophes. « Je ne suis pas un sage et (trouve ici de quoi alimenter ta malveillance) je ne le serai point. Exige donc de moi non que je sois égal aux meilleurs, mais que je sois supérieur aux méchants; c'est assez pour moi de retrancher chaque jour un peu de mes défauts et de réprimander mes errements. [...]» Je ne dis pas cela pour moi, car je suis dans un abime de vices, mais pour celui qui a obtenu un résultat. On me dit : « tu parles d'une façon, tu vis d'une autre ». Voilà, êtres malveillants et hostiles aux meilleurs sans exception, l'objection faite à Platon, faite à Épicure, faite à Zénon ; car tous ces hommes disaient non pas comment ils vivaient, mais comment ils auraient du vivre. C'est de la vertu que je parle, non de moi; quand je m'emporte contre les vices, c'est d'abord contre les miens; lorsque je pourrai, je vivrai comme il faut. Votre méchanceté empoisonnée ne me détournera pas de ce qui est le mieux; le virus que vous prodiguez aux autres et qui vous tue vous même ne m’empêchera pas de continuer à louer non la vie que je mène, mais celle que je sais devoir mener; il ne m’empêchera pas d'adorer la vertu et de la suivre en rampant après elle à grande distance.

De la providence

« Je te juge malheureux de n'avoir jamais été malheureux : tu as passé ta vie sans adversaire, personne ne sauras ce que tu aurais pu faire, pas même toi. » Ce n'est en effet qu'à l'épreuve qu'on se connait soi même. Ce qu'aurait pu chacun d'entre nous, il ne peut l'apprendre que par l'expérience. [...] D'où pourrais-je connaitre la grandeur de ton courage contre la pauvreté si tu es débordant de richesses ? D'où pourrais-je connaitre ta constance en face du déshonneur, de la calomnie et de la haine du peuple, si tu vieillis au milieu des applaudissements, et si le penchant qu'on a pour toi à pour conséquence une bienveillance et une faveur qu'on ne peut entamer ? D'où savoir avec quelle égalité d'âme tu supporteras la perte d'un enfant si tu vois près de toi tous ceux que tu as élevés ? Je t'ai entendu consoler les autres; mais je t'aurai vu, ce qui s'appelle vu, si tu t'étais consolé toi-même, si tu t'étais défendu toi-même d'éprouver de la douleur. N'allez pas, je vous en supplie, avoir peur de ces sortes d'aiguillons que les dieux immortels appliquent à vos âmes. Le malheur est l'occasion de la vertu.

Imagine donc que Dieu nous dise : « Qu'avez vous à me reprocher, vous qui aimez la justice ? Il en est d'autres que j'ai comblés de faux biens, dont j'ai dupé les âmes frivoles  par des songes incessants et trompeurs; je les ai pourvus d'or, d'argent et d'ivoire; à intérieur d'eux mêmes il n'y a pas de bien. Ces gens que vous prenez pour des gens heureux, si vous pouviez connaitre non pas leur aspect visible mais leur vie cachée, vous apparaitraient comme des malheureux, des misérables, des infâmes, parés, comme leurs murs, d'ornements extérieurs. Ce n'est pas là un bonheur solide; c'est un revêtement, et bien mince. [...] Extérieurement vous ne brillez pas; vos biens sont au-dedans de vous même : ainsi l'univers méprise ce qui lui est extérieur; se contempler lui-même suffit à son bonheur. J'ai placé tous les biens en vous-même, votre bonheur, c'est de n'avoir pas besoin du bonheur. Mais, dira-t-on, il arrive bien des événements tristes, terribles, insupportables. Parce que je ne pouvais pas vous y soustraire, j'ai armé vos âmes contre eux tous. Supportez les avec courage; c'est par quoi vous êtes supérieurs à Dieu; lui, il est en dehors de la souffrance, vous, vous êtes au dessus. »

Lettre 72 à Lucilius

Le sage ne dépend pas d'autrui, il n'attend pas la faveur de la fortune ou la faveur d'un homme; sa félicité vient de lui-même; elle pourrait sortir de l'âme, si elle y était entrée, mais elle y prend naissance.

Traduction de Émile Bréhier.

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