vendredi 21 février 2014
Pensées - Marc Aurèle
Le journal de cet empereur philosophe m'a vraiment touché. Ces pensées mises sur papier ne sont pas des préceptes destinés à autrui, ce sont des tentatives de maitrise et de compréhension de soi même et du monde. Marc Aurèle s'adresse à lui même, et s'il s'exprime dans des termes généraux, on sent son expérience personnelle derrière ses propos, sa volonté de rester fidèle à ses croyances, d'accomplir ce qu'il voit comme son devoir d'homme, de citoyen et d’empereur. J'ai relevé quelques passages particulièrement marquants.
Livre II (17)
La durée de la vie humaine ? Un point. Sa substance ? Fuyante. La sensation ? Obscure. Le composé corporel dans son ensemble ? Prompt à pourrir. L'âme ? Un tourbillon. Le sort ? Difficile à deviner. La réputation ? Incertaine. Pour résumer, au total, les choses du corps s'écoulent comme un fleuve; les choses de l'âme ne sont que songe et fumée, la vie est une guerre et un séjour étranger; la renommée qu'on laisse, un oubli. Qu'est ce qui peut la faire supporter ? Une seule chose, la philosophie. Elle consiste à garder son démon intérieur à l'abri des outrages, innocent, supérieur aux plaisirs et aux peines, ne laissant rien au hasard, agissant sans feinte ni mensonge, n'ayant nul besoin qu'un autre fasse ou ne fasse pas telle action, acceptant les événements et le sort, dans la pensée qu'il vient de là-bas, d'où il vient lui-même, et surtout attendant une mort propice à la pensée puisqu’elle n'est rien que la dissolution des éléments dont tout être vivant se compose, mais s'il n'y a rien de redoutable pour les éléments à se transformer continuellement, pourquoi craindrait-on le changement et la dissolution totale ? Car c'est conforme à la nature; or nul mal n'est conforme à la nature.
Livre VI (44)
Si les dieux ont délibéré sur moi et sur ce qui doit m'arriver, ils ont bien délibéré; car il n'est pas facile d'imaginer un dieu sans réflexion. Mais pour quel motif voudraient-ils me faire du mal ? Quel avantage en aurait-ils pour eux ou pour l'ensemble sur lequel ils veillent ? Mais, s'ils n'ont pas délibéré sur moi en particulier, ils ont délibéré sur l'ensemble, et qui arrive en conséquence, je dois l'accueillir et l'aimer. Et s'ils n'ont délibéré sur rien du tout (ce qu'il est impie de croire), alors ne sacrifions pas, ne prions pas, ne prononçons pas de serments, ne faisons aucun des actes qui toujours s'adressent aux dieux comme s'ils étaient là vivant avec nous. Si donc ils ne délibèrent sur rien de ce qui nous concerne, je puis bien délibérer sur moi-même; j'ai à rechercher ce qui m'est utile. Or, il est utile à chaque être de se conformer à sa constitution et à sa nature propre; or ma nature est celle d'un être raisonnable et sociable; ma cité et ma patrie, comme Antonin, c'est Rome; et, en tant qu'homme, c'est le monde. Ce qui est utile à ces cités, voilà les seuls biens pour moi.
Livre VII (50)
Ce concombre est amer : laisse le. Il y a des ronces sur le chemin : passe à coté. Cela suffit. N'ajoute pas : « Pourquoi choses pareilles dans le monde ? » Un homme compétent en physique rirait de toi, comme le feraient un cordonnier ou un charpentier si tu les blâmais en voyant dans leur atelier des raclures et des copeaux. Pourtant ceux là ont des endroits où les jeter; et la nature universelle n'a rien qui soit en dehors d'elle; mais ce qu'il y a d'admirable dans son art, c'est qu'elle change en elle même tout ce qui, en elle, semble se corrompre, vieillir ou ne servir à rien; et de tout celà elle fait encore des choses nouvelles, de sorte qu'elle n'a pas besoin de pendre ailleurs sa matière, ni d'avoir un endroit où jeter les détritus. Elle se contente de la place et de matière qu'elle a, et de l'art qui lui est propre.
Livre IX (28)
Les cycles cosmiques sont identiques, vers le haut et vers le bas, d'une période à une autre. Et ou bien l'intelligence universelle veut chaque détail; et s'il en est ainsi, aime ce qu'elle a voulu; ou bien elle a voulu une fois pour toutes, et le reste vient en conséquence; ou bien il y a des atomes ou des indivisibles. Au total, si Dieu existe, tout est bien; si les choses vont au hasard, ne te laisse pas aller, toi aussi, au hasard.
Voici que la terre va nous recouvrir tous; puis elle-même changera; et les choses changeront indéfiniment. Si l'on songe aux vagues successives de changements et de transformations et à leur vitesse, l'on méprisera tout ce qui est mortel.
Collection Tel, Gallimard, Les Stoïciens tome 2
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