Au bonheur des dames, c'est ma première rencontre avec Zola. Un bouquin qui parle de magasins de vêtements et de folie du shopping, disons que mon instinct aurait plutôt tendance à m'en éloigner. Et bien j'aurai eu tort, parce que
Au bonheur des dames, c'est vachement bien.
Le Bonheur des Dames, c'est un grand magasin, qui au fil du roman devient absolument gigantesque. On ne s'en éloigne jamais, puisque la quasi-intégralité du récit se déroule entre ses murs et dans les rues voisines. Même quand on est ailleurs, dans le salon d'une dame par exemple, c'est pour parler du Bonheur. Ce bazar colossal, c'est le symbole du monde moderne, de l’avènement de la consommation de masse. Il faut vendre, vendre à tous prix, créer des besoins inutiles, encourager la frénésie de l'achat, flatter les sens de la cliente. Octave Mouret, le patron des lieux, est dont un mangeur de femmes, il se les approprie à travers son magasin, les manipule avec un talent indéniable. Et les femmes, bien souvent, se laissent manipuler le sourire aux lèvres, tant leur fièvre consommatrice est proche d'une religion, unique façon de remplir une vie autrement plate et vide.
Octave Mouret offre donc le point de vue des hauteurs, alors que l'on découvre celui du bas à travers Denise. Jeune provinciale venue habiter chez son oncle avec ses deux frères à la mort de son père, elle va devoir travailler, comme des milliers d'autres, au Bonheur des Dames. Son oncle, avec sa femme et sa fille, tient un petit magasin, et comme l'ensemble de petit commerce, ils seront écrasés par les grands bazars. Quand à elle, Denise devra surmonter bien des difficultés pour finalement s'en sortir, ce sera l'occasion de comprendre le fonctionnement de ces temples de la consommation depuis l'intérieur. Les vendeurs touchent un pourcentage sur leurs ventes, c'est parfois même leur seul revenu, c'est ainsi qu'ils sont poussés au labeur. Certains, dont Denise, sont également logés sur place, et comme tous les repas se font à la cantine du Bonheur, c'est entre ses murs que toute leur vie de déroule, au milieu des intrigues et ragots. L'emploi est plus que précaire, puisque les renvois sont légions aux mortes saisons ou simplement pour des fautes minimes. Zola met donc en avant la cruauté de ce système, décrit comme une vaste machine avalant clientes et employés, mais parallèlement, on sent qu'il est du coté du progrès, de la grandeur, même s'il faut pour cela que les plus faibles (les petits magasins) périssent. C'est d'ailleurs l'opinion de Denise.
La description du train quotidien au Bonheur des Dames et son influence sur la vie de Paris est donc une réussite totale, c'est passionnant de bout en bout. Au milieu de tout cela vient se greffer une inévitable histoire d'amour, entre Octave et Denise. Un homme riche, célèbre, puissant, courant les dames, et son employée, une jeune femme simple et bonne dont la principale qualité semble être la chasteté. Mouais. Je craignais le pire, mais cette situation très clichée est très bien traitée, puisque cet amour est totalement intégré à la vie du Bonheur des Dames. Les employés ne parlent que de ça, Octave devient distrait, Denise subit des moqueries puis se voit offrir plein d'avantages en tant que favorite du patron. C'est aussi l'occasion de constater combien les femmes pouvaient rarement vivre de leur travail, et devaient souvent se trouver un amant capable de les soutenir financièrement.
Finalement,
Au bonheur des dames est exactement ce que j'en attendais : un excellent témoignage du développement du commerce de masse agrémenté d'une histoire d'amour entre un patron et son employée. Cependant, ce dernier point m'a agréablement surpris, et l’ensemble a dépassé mes espérances.
Au bonheur des dames, en plus d’offrir un grand plaisir de lecture, est une passionnante leçon d’histoire. Je me manquerai pas de fréquenter à nouveau Zola.
512 pages, 1883, Le livre de poche