C'est une lecture un peu particulière. Chad Zuber est youtubeur, dans la vague techniques primitives. Son principal format vidéo, c'est : des plans fixes très travaillés, pas ou peu de paroles, et un suivi détaillé de diverses techniques et connaissances primitives : construction de huttes, poteries et autres objets du quotidien, plantes et nourritures sauvages, parfois juste aventure et exploration... (Il a tenté d'autres formats qui lui conviennent moins.) Au delà de ses connaissances, qu'il partage dans ses vidéos, son style me touche énormément. De tous les vidéastes "primitifs", il se détache par un profond sens de l'esthétique, une remarquable honnêteté et une capacité impressionnante à mener à bien des projets primitifs toujours beaux. Par exemple, dans ses vidéos, tous les objets en terre cuite (y compris les briques de ses huttes) sont faits de ses mains avec de l'argile sorti du sol en le grattant avec des os, toutes les ficelles (y compris le hamac) sont tressées de ses mains à partir de plantes sauvages...
Il a sûrement eu une influence considérable sur moi. C'est grâce à lui que je me suis mis à la vidéo, il y a peut-être, je ne sais pas, 5 ans ? J'allais passer des journées dans les bois et les friches à grignoter des plantes sauvages. Il a sûrement contribué à mon désir de grand air, au fait que j'arrête de me laver les cheveux, et bien d'autres choses encore. Ses vidéos étaient pour moi un grand réconfort — et une inspiration. Faute d'en avoir beaucoup dans la réalité, on trouve des rôles modèles dans l'art, dans la fiction, etc., et dans les vidéos primitivistes, il faut croire.
Il a pendant plusieurs années pu vivre de ses vidéos, mais le succès est capricieux. Il n'a pas su capitaliser sur son pic de popularité, et aujourd'hui il galère financièrement — ce qui, tragiquement, réduit le nombre de vidéo qu'il est en mesure de filmer. Je lui ai écrit un mail pour lui signifier mon appréciation, mais aussi pour lui donner modestement des conseils, et il en a mis au moins un en pratique : mettre dans la description de ses vidéos un lien vers ce petit livre, dans lequel il raconte son premier voyage, en 1999, alors qu'il avait 26 ans.
Pour tout ce qu'il m'a apporté, j'aurais aimé lui donner plus que les quelques euros que coute cet ebook, mais, mauvais influenceur qu'il est, il ne donne à son public guère d'autre moyen de lui envoyer de l'argent.
Donc, une fois n'est pas coutume, je lis ce récit comme un fan.
Je suis en plein dans ce qu'on appelle une relation parasociale.
Chad écrit plutôt bien. (D'ailleurs, je recommande sa newsletter, qui est bien la seule que je fréquente.) Ce récit fait plus sens quand on sait que Chad est, au final, devenu une sorte d'aventurier professionnel. En 1999, il travaille dans une usine, il a deux enfants, son mariage s'effondre, et il s'enfuit pour réaliser son premier véritable voyage : 10 jours à Cancun.
Mais Chad n'a ni expérience, ni argent. Il erre comme un vagabond, il dort sur des bancs et sur la plage, il fait tout de même quelques expéditions touristiques... Il se lie d'amitié avec un autre vagabond, Antonio. D'abord méfiant, Chad s'ouvre petit à petit. Ensemble, ils passent deux jours à vadrouiller, à dormir dehors, à s'entraider — et ils seront toujours amis 20 ans plus tard. Sensible, introverti, Chad peine à se sentir à sa place dans cette ville de fête et de complexes hôteliers. Ravagé par la fatigue, par le manque de sommeil, il se réjouit néanmoins de l'expérience : enfin, de l'aventure !
Sur la fin de son séjour, Chad rencontre une femme. Mais Chad n'est pas n'importe quel homme : oui, il veut bien monter dans sa chambre, mais à une condition : pas de sexe ! Les deux se plaisent, s'attirent, mais au fond savent qu'ils ne sont pas compatibles. Il y a cette scène hilarante, où la belle latina se déplace langoureusement en string dans l'appartement, pendant que Chad, éclaté par le manque le sommeil, cherche la fraicheur en s'allongeant sur le sol plutôt que sur le lit — et se récite des proverbes bibliques pour résister à la tentation.
J'ai aprécié ce petit récit. Chad est extrêmement candide, et son épopée — parfois très banale, certes, mais parfois méritant le nom d'aventure — est plaisante à suivre en bonne partie pour cette raison. Ses émotions, ses craintes, ses désirs, apparaissent avec une transparence rafraichissante. Évidemment, ça fonctionne pour moi parce que j'aime bien Chad. J'aimerais qu'il soit mon pote. J'aimerais me poser avec lui dans un canyon du Mojave, les pieds dans un ruisseau d'eau claire, à extraire les fibres de feuilles de yucca fraichement récoltées. Mais peut-être n'aurais-je pas la patience nécessaire.
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