Compte-rendu de lecture du livre Revitaliser les sols de Francis Bucaille publié aussi sur le site de ma pépinière.
C’est un manuel dense et didactique qui parvient à être souvent captivant. L’auteur s’adresse principalement aux grandes cultures, ainsi tout ce qui concerne le diagnostic précis des sols et les détails de la fertilisation m’a moins intéressé que le reste. J’ai particulièrement aprécié les chapitres sur la vie du sol, les micro-organismes, les champignons, les engrais verts et le décalage climactique.
A noter que l’auteur s’efforce de conjuguer préoccupations environnementales (essentiellement par la santé des sols) et productivisme. Il critique activement l’idée que l’agriculture à petite échelle serait intrinsèquement meilleure que celle à grande échelle.
Fertilité du sol et santé des plantes
Les faiblesses et vulnérabilités des plantes sont souvent directement causées par une malnutrition. Les insectes parasites sont activement attirés par les plantes qui émettent des signaux émis par les plantes faibles, déficientes. De plus, les plantes riches en éléments solubles (azotes solubles, sels minéraux…) sont également désirables pour les parasites. En revanche, quand les plantes synthétisent elles-mêmes protéines et sucres complexes (protéosynthèse, glucosynthèse), elles sont moins désirables pour les parasites. Donc une plante qui se débrouille elle-même à partir d’un sain et riche (notamment en oligo-éléments) sera plus résistante qu’une plante déficiente mais aussi qu’une plante biberonnée.
Les engrais de type NPK (azote phosphore potassium) sont loin d’être des engrais « complets ». En effet, les exportations de minéraux par les plantes sont bien plus importantes : les plantes cultivées exportent des sols 25 à 30 éléments différents.
Micro-organismes et humification
La façon dont les matières organismes se transforment ou non en humus stable est encore mal comprise. Ce rendement supposé constant de la transformation en humus stable des matières organiques pour chaque type de matériaux est exprimé de la façon suivante : K1, coefficient isohumique. L’auteur indique qu’il est de 0,15 pour la paille par exemple, mais qu’il dépend fortement des conditions d’humification.
On appelle le coefficient de minéralisation K2, qui est aussi évalué comme une constante, mais qui en réalité n’est pas du tout constant.
Les pratiques agronomiques modernes ont fortement tendance à favoriser la minéralisation (transformation de la matière organique en matière minérale utilisable par les plantes) au détriment de l’humification. C’est pourquoi les taux de matières organiques (MO) dans les sols baissent dangereusement. En effet, les principaux constructeurs d’humus sont les champignons, et ils sont maltraités par ces pratiques agronomiques (fongicides, labours, engrais verts rendus verts au sol), alors que les bactéries, minéralisatrices, sont favorisées.
Les études agronomiques ont tendances à indiquer que les techniques favorisant la minéralisation sont efficaces : en effet, à court terme, la minéralisation est efficace. Mais elle est destructive si elle domine à long terme car elle épuise la MO des sols. De même, tous les « -cides » donnent dans l’immédiat de bons résultats car ils rendent disponibles pour la plante tous les nutriments stockés dans les organismes tués.
On connait les champignons mycorhiziens, mais un petit rappel à leur propos : les mycorhizes développent des hyphes des dizaines de fois plus fins que les racines des plantes, leur capacité d’exploration est donc largement supérieure.
Les champignons saprophytes (qui se nourrissent des matières organiques en décomposition) sont les principaux acteurs de la décomposition de la cellulose et de la lignine. A l’inverse des bactéries, qui sont beaucoup plus petites et adaptées aux conditions extrêmes, les champignons sont plus sensibles aux perturbations. Or, la durée de vie des matériaux d’origine fongique est largement supérieure à celle des matériaux d’origine bactérienne : de quelques mois à plusieurs décennies. De plus, les bactéries consomment bien plus d’azote pour transformer la même quantité de carbone. En somme, les champignons valorisent bien plus efficacement la matière organique dans les sols.
En forêt, on est par exemple dans un système dominé à 40% par les bactéries et 60% par les champignons. En système cultivé, le ratio idéal serait de 50/50.
Favoriser la décomposition fongique
Les champignons saprophytes et dévoreurs de lignine fonctionnent au mieux quand il y a peu de sucres et d’azote et beaucoup d’oxygène. Donc, il leur faut des matières organiques matures laissées en surface. Pas de problème de faim d’azote quand la matière organique est en surface.
Les substances antifongiques naturelles (terpènes, résines, tanins, polyphénols) limitent leur efficacité, mais c’est parfaitement normal, il faut simplement manier les bois riches en ces substances en connaissance de cause. Évidemment, il existe aussi de nombreux antifongiques de synthèse.
L’auteur évoque la compétition entre flore d’assimilation (qui se développent par exemple dans la rhizosphère) et flore de décomposition. Cette dernière est plus compétitive et a tendance à pénaliser l’assimilation. Par exemple, en grande culture, une culture implanté précocement après la récolte de céréales à pailles, donc avec des pailles au sol, subira préjudice. Les substances allélopathiques sont aussi en cause.
Dans la nature, les matières vertes ne retournent quasiment jamais au sol sans avoir été digérées par des ruminants auparavant. Leur rumen est un incubateur bactérien qui digère tout ce qui plait aux bactéries. Leurs déjections contiennent les éléments moins décomposables par les bactéries, éléments qui seront donc pris en charge par les champignons du sol. La lignine empêche les bactéries d’accéder à la cellulose qui lui est liée. La lignine protège de la dégradation bactérienne trois fois son poids en cellulose. C’est pour cette raison que plus un tissu végétal est mature (donc chargé en lignine) moins il est digestible par les ruminants. De plus, le cycle de vie naturel de nombreux champignons inclut un passage par le système digestif des ruminants, passage qui active les spores.
Dans le cas des engrais verts, un risque est de les détruire à un stade pré-floraison, alors qu’ils auront réalisé un maximum de minéralisation de l’humus pour assouvir leur besoins mais pas encore eu le temps d’élaborer les précurseurs de l’humus : la cellulose et surtout la lignine. Dans ce cas, les engrais verts risquent de devenir des consommateurs d’humus stable.
On comprend donc l’intérêt d’une ressource comme le BRF, mais celle-ci est forcément limitée. Importer d’ailleurs des quantités massive d’une ressource limitée, et donc effectuer de vastes transferts de fertilité, n’est guère soutenable.
Donc : les saprophytes sont la clé de la construction d’humus dans les sols. Lors de la décomposition, les bactéries stockent (environ) 15% du carbone consommé, alors que les champignons stockent 50% du carbone dans leurs parois et dans des composés organiques stables.
Le décalage climactique
Dans la nature, les zones tempérées n’ont pas tendance à avoir un couvert végétal vert toute l’année. En zone tropicale, c’est le cas : les argiles locaux, avec une température qui favorise la minéralisation toute l’année et de fortes précipitations, ne peuvent retenir les MO, donc le seul stockage de ce qui est soluble est le vivant.
Sous nos climats à saisons séparées, chaque saison fonctionne différemment :
- Printemps et été sont des moments de minéralisation intense. Déstockage des réserves minérales, humiques et hydriques. Pour autant, le sol n’est pas nu et est protégé du soleil.
- L’automne est une période d’humification. Les matériaux matures, riches en cellulose et lignine, sont rendus au sol. C’est là que l’équilibre du bilan humique doit s’opérer, à l’aide des champignons. Selon les méthodes de culture, si l’avantage est donné aux champignons, le bilan humique peut être positif. En revanche, si l’avantage est donné aux bactéries, le bilan sera négatif.
- L’hiver est une période de mise en réserve. Il y a une litière abondante au sol. Les mycéliums deviennent eux-mêmes partie du stockage, protégeant les matières solubles du lessivage. La mortalité des bactéries en hiver génère une production d’azote qui se stocke sur les argiles. C’est aussi la période de stockage de l’eau.
L’auteur évoque donc l’importance de reproduire ces cycles naturels dans les cultures et défend le maïs : « Le maïs, comme le ferait un sorgho ou un tournesol, utilise la totalité des nitrates qui sont libérés par minéralisation puisque leur croissance et leurs besoins sont synchronisés avec la disponibilité des minéraux. » La pollution aux nitrates serait ainsi évitée. De plus, le maïs laisse beaucoup de pailles. Évoquant une étude, l’auteur affirme que la biodiversité serait aussi large dans une monoculture de maïs (avec restitution des cannes au sol) que dans les milieux naturels sauvages de la région. L’auteur dit aussi qu’irriguer en allant pomper l’eau en profondeur reviendrait finalement à imiter l’action des arbres qui pomperaient cette eau dans un contexte de climax forestier naturel.
En conclusion, Francis Bucaille insiste sur le fait que, selon lui, « Le sujet n’est pas la taille, mais le mode d’exploitation, la compatibilité avec le climax d’origine. » Il est très critique envers une écologie potentiellement naïve, dont les fermes idéaliseraient la petitesse tout en nécessitant des apports massifs de fumier, paille, BRF, etc., venus d’ailleurs. Il dit aussi : « Tous les hectares cultivés de la planète doivent pouvoir être revitalisés en étant leur propre source de fertilité. » Évidemment, j’apprécie la démarche, mais je m’interroge cependant : peut-on parler d’auto-fertilité quand ces modes de culture nécessitent un important machinisme ? Ces complexes machines et leurs carburants ne relèvent-elles pas aussi d’un massif transfert de fertilité, et qui plus d’un transfert de ressources polluantes et non renouvelables ?
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