mercredi 30 avril 2014
Les Enfers Virtuels - Iain M. Banks
Les Enfers Virtuels fait parti du cycle de la Culture. La Culture est une vaste société galactique extrêmement développée, libérée des contraintes matérielles, dirigée par des IA, hédoniste. La Culture tente de convertir les civilisations qu'elle rencontre à son point de vue, de façon pacifique si possible, en intervenant discrètement. Chaque tome est une histoire indépendante prenant place dans l'univers de la Culture.
Ce qu'il y a de bien avec Banks, c'est que l'univers de la Culture est riche d'une infinie variété de civilisations plus ou moins développées à l'organisation sociale variée. Rien que pendant les premières pages du roman, on en voit de toutes les couleurs. Le premier chapitre des Enfers Virtuels se déroule dans une société moyennement avancée : Ledjedje s'y fait assassiner par l'homme le plus puissant du coin, Veppers. Mais avec la technologie adéquate la mort n'est pas définitive, et Ledjedje, sauvée et peut-être manipulée par la Culture, fera tout pour se venger. Second chapitre : une guerre dans un monde médiéval, que l'on devinera plus tard être virtuel. Troisième chapitre : sur une orbitale de la Culture, on nous présente Yime, membre de Quietus, division de la Culture qui s'occupe de toutes les affaires concernant les morts dont l'esprit continue d'exister dans le virtuel. Quatrième chapitre : bienvenue en enfer. L'enfer à l'ancienne, plus proche de celui de Dante que de celui de Sartre, avec des démons, des flammes et de la torture. Beaucoup de torture. En évoluant, les sociétés laissent derrière elles les croyances de leur jeunesse, mais parfois elles peuvent utiliser la technologie pour rendre ces croyances réelles. C'est ainsi que cette race non-humaine châtie ses morts. Deux vivants s'y sont infiltrés pour en dénoncer les horreurs, reste à savoir s'ils pourront en sortir ...
Ces enfers ne plaisent pas à toutes les civilisations. Une longue guerre fait donc rage, une guerre virtuelle. La Culture a cru bon de ne pas s'y impliquer directement, même si elle est comme on s'en doute dans le camps anti-enfers. Et voilà que les anti-enfers semblent perdre le combat, et sont très tentés de rompre leurs engagements et d’amener la guerre dans le réel ...
Les Enfers Virtuels est dans la continuité de Trames, c'est à dire qu'il m'a semblé plus accessible que les tomes précédents (mais peut-être que c'est simplement du à mon évolution en tant que lecteur). La narration est dynamique, pleine de complots et de trahisons. Pourquoi pas, malheureusement j'ai trouvé que le tout avait un petit air de déjà vu. C'est particulièrement frappant dans les relations vivants/IAs. Une bonne partie du récit nous fait suivre Ledjedj, accompagnée par un mental délicieusement tordu, ou Yime, elle aussi accompagnée par un mental. Les intelligences fabuleuses que sont les mentaux sont toujours aussi fascinantes, mais la combinaison d'un vivant et d'une IA commence à être un peu habituelle. De plus, les humains sont assez inutiles : les mentaux sont infiniment plus intelligents et plus puissants, pensent et communiquent à une vitesse folle. C'est une thématique récurrente du cycle de la Culture : les vivants devenus à la fois libérés de toute contrainte matérielle et totalement dépendants d'intelligences quasi-divines heureusement bienveillantes. Mais là on a souvent l'impression que les humains sont des boulets qui permettent à l'auteur des dialogues et situations souvent savoureuses et parfois dramatiques mais qui n'ont pas vraiment de raison d’être là. Peut-être les mentaux sont-ils assez délicats pour laisser croire aux êtres de chair et de sang que leur existence a encore un sens (et en tirent satisfaction), comme un humain d’aujourd’hui promène son chien ou caresse son chat ...
Bref, malgré ces quelques réserves, la trame des Enfers Virtuels est fort plaisante à suivre, et les thématiques intéressantes ne manquent pas, notamment par rapport aux civilisations qui croient sincèrement à l'utilité des enfers. Mais ce sont deux autres éléments qui rendent la lecture du livre extremement agréable. Tout d'abord, l'univers. Je suis toujours autant enthousiasmé par la Culture, cette civilisation est un régal à explorer. Le reste de la galaxie, bien que parfois plus dangereux, n'est pas en reste, je pense notamment aux Bulbitiens, massives structures habitables et intelligentes, vestiges d'une civilisation depuis longtemps disparue. Yime va avoir l'occasion d'en rencontrer un, et j'adore ce genre d'exploration de structures de pensées décalées et incompréhensibles. Ensuite, l'écriture de Banks. C'est intelligent et subtil, et surtout toujours aussi drôle. Une légère distance moqueuse et satirique, des personnages, situations et dialogues croustillants juste comme il faut ...
Les Enfers Virtuels, ce n'est pas le meilleur de la Culture, contrairement à Excession, Le sens du vent ou même Trames. C'est un roman solide, peut-être un peu trop "professionnel", mais qui offre cependant tout ce qui fait que j'aime dans l'écriture de Banks et l'univers de la Culture. Un vrai plaisir à lire, très recommandable.
861 pages, 2010, Le livre de poche
lundi 21 avril 2014
Bruit de Fond - Don DeLillo
Bruit de Fond, c'est une plongée dans la classe moyenne américaine. Une petite ville tranquille, une grande maison pleine de produits alimentaires aux emballages colorés, la télé ou la radio toujours allumées dans un coin. Quelques enfants d'ages variés issus de l'un des nombreux mariages des deux adultes, Jack et Babette. Jack, enseignant chercheur spécialiste d'Hitler, ayant toujours son exemplaire de Mein Kampf à portée de main, est le narrateur. A première vue, rien de bien extraordinaire dans ces vies. Si ce n'est le bruit de fond en question, qui n'est autre que la peur de la mort. Dès le début du roman les références sont multiples. Dans leur vie routinière pleine de sécurité, la mort à un visage bien particulier. Elle est à la télé, dans les médicaments, dans les radiations, dans les ondes diverses et variées. Elle est confuse, indéfinissable. Sauf qu'à l'occasion d'une énorme fuite de gaz toxique, on se retrouve en plein roman catastrophe et la mort devient bien plus claire, elle prend une forme très réelle, celle d'un gigantesque nuage noir de produits chimiques mortels. Auxquels Jack est exposé. Voilà qui ne risque pas d'arranger ses névroses. Sans parler de Babette, modèle de femme ouverte et attentionnée, qui pourtant semble accro à un étrange médicament.
Le thème de la peur de la mort est sans conteste au cœur du roman, mais aussi celui de l’omniprésence des médias : le bruit de fond, c'est aussi au sens propre le murmure de la télé et de la radio. Ces deux thèmes s'ancrent dans le contexte bien particulier de la typique amerian way of life, qui est aussi sujet à la critique de l'auteur, mais d'une façon bien particulière. En effet, le narrateur ne remet pas grand chose en question, il se complait dans un mode de vie qui pourtant ne le rend pas heureux, il est assez centré sur lui même et ses obsessions. Assez antipathique, même. D’ailleurs, à la fin, alors que la situation devient extrême, je me suis senti particulièrement détaché de lui, je ne le comprenais plus. Pas bien grave, puisque sur l'ensemble du roman cela permet un ton très agréablement original. Par exemple, en sortant du supermarché : « Il me semble que Babette et moi, par la quantité et la variété de nos achats, par la parfaite plénitude que suggèrent ces sacs bourrés, par leur poids, leur taille et leur nombre, par l'éclat et la couleur de leurs emballages, par leur taille géante, par les paquets familiaux, par les autocollants fluorescents, par l'impression d'achèvement qu'ils nous procurent, par le bien-être, la sécurité et le contentement qu'ils apportent à quelque coin de notre âme douillette, il nous semble que nous avons atteint un épanouissement de l’être qui est ignoré de ceux qui n'ont pas besoin de tout ça, dont les désirs sont moindres et qui bâtissent leur vie autour de promenades solitaires à tombée de la nuit. »
C'est grâce à ce genre de phrases, à ce point de vue à la fois si drôle et si tristement réaliste, que le roman m'a accroché. Don DeLillo a une écriture très saccadée : les paragraphes se succèdent parfois sans lien direct, les ellipses sont nombreuses, on a parfois des phrases brèves qui semblent en dehors du récit, des bruits de fond qui appartiennent à l'environnement médiatique et publicitaire. J'aime cette écriture, c'est vif et surprenant. Certains pourront trouver que Don DeLillo fait beaucoup de blabla. Dans un sens, c'est le cas. Il y a beaucoup de situations banales et de dialogues qui semblent un peu vain. Pourtant, c'est à chaque fois plein d'une délicieuse absurdité. Je pense notamment à ces dialogues surréalistes entre les universitaires collègues de Jack. Ils se posent des questions totalement aléatoires comme « Où étiez-vous quand James Dean est mort ? » ou « N'avez-vous jamais déféqué dans des toilettes où il n'y avait pas de siège ? », puis ils y répondent avec tout leur sérieux avant de passer à un autre sujet tout aussi insensé. Et c'est du même genre pour les conversations de famille. La communication semble la plupart du temps très limitée, et quand les personnages échangent vraiment, comme parfois entre Jack et Babette, c'est pour déterrer de nouvelles angoisses.
Bruit de Fond m'a semblé être un roman particulièrement glacial. Délicieusement glacial. Englué dans sa normalité, désespéré, Jack s’accroche pourtant comme un fou à sa vie, qui se partage entre angoisses nocturnes, maintient d'une image illusoire de lui-même à son travail, visites au supermarché et contemplation d'enfants incompréhensibles. Avec à l'occasion un nuage de produits industriels mortels, ou une simulation préventive de nuage de produits industriels mortels.
470 pages, 1985, Babel
samedi 19 avril 2014
Knulp - Hermann Hesse
Knulp est un vagabond solitaire, intelligent et distingué. Il aurait pu trouver une place confortable dans la société de son temps, être un homme respecté et respectable. Mais il se contente d'errer dans les campagnes, au fil des rencontres, qui se font de plus en plus rares tandis que les années passent. Ce court roman est divisé en trois partie. Dans la première, Knulp est hébergé par un vieil ami et fait connaissance avec une jeune femme, mais les contrariétés de la vie en ville le poussent à nouveau sur la route. La seconde partie passe à la première personne, et l'on ne sait rien du narrateur sinon qu'il a fait un bout de chemin avec Knulp, et apparemment marqué à vie par cet homme, il nous livre ses souvenirs. La troisième partie est à la fois la fin et le début. C'est la rencontre d'un Knulp agonisant avec avec un ancien compagnon d'école, image de ce que son existence aurait pu être. On comprendra ce qui a orienté la vie de Knulp dans la direction qu'elle à prise. Pas de profond choix philosophique, non, juste une nature sensuelle plus attirée par les jeunes femmes que par les études.
Il y quelque chose de magnifique dans l'écriture d'Hermann Hesse. Un minimalisme, une simplicité qui permet d'extraire l'essentiel. Pas d'analyse poussée des personnages, pas de description d'esprits et de comportements complexes, juste des vies réduites à leurs traits essentiels. La scène finale, conversation et réconciliation avec un Dieu bien loin de celui de la bible, est d'une rare beauté. La quatrième de couverture exprime parfaitement mon opinion sur ce petit livre, alors je lui laisse la parole finale : « Roman magique, apologie de la désinvolture et du désintéressement, Knulp est aussi une superbe méditation sur les blessures secrètes, la solitude et l'échec. »
115 pages, 1915, Le livre de poche
mercredi 16 avril 2014
Quelques jeux en vrac #3
Deadly Premonition (2010)
Deadly Premonition ... Un jeu atypique. Déjà, c'est moche. On revient 10 ans en arrière, aux débuts de la PS2. Ensuite, c'est buggé. Il faut s'attendre à au moins quelques plantages. Et pour conclure, le gameplay va du passable au très mauvais : les gunfights sont mous et imprécis, le pilotage des voitures est ridicule. Par contre, c'est incroyablement immersif, pour qui est prêt à pardonner ces lacunes. C'est très inspiré de Twin Peaks (je ne connais que de réputation) : des meurtres bizarres dans un village isolé, et un agent du FBI envoyé sur place. Notre héros est assez ... spécial. Il parle très souvent à un ami imaginaire, ce qui donne des scènes très savoureuses. D'ailleurs c'est toute l'écriture du jeu qui est assez géniale et qui donne une grosse leçon à bien des jeux gros budget : on s'attache aux personnages, et l'on s'intéresse vraiment à ce qu'ils racontent. Le scénario est très prenant et plein de surprises, dommage que la fin enchaine les clichés et sombre dans du pur fantastique un peu sorti de nulle part. La jouabilité est tellement nulle que je n'ai pas eu le courage de m’entêter pour vaincre le boss final : j'ai regardé la fin sur youtube. On ne peut vraiment pas dire que Deadly Premonition est un "bon" jeu. Pourtant, en tant que nostalgique de Resident Evil 4 et amateur de jeux à ambiance, j'y ai passé un très bon moment. Avis aux curieux ...
Tower of Guns (2014)
Tower of Guns est gros coup de cœur. J'aime les rogue-likes, jeux à génération de niveaux aléatoire et mort permanente, mais trop souvent ils sont en 2D, et quand ils sont en 3D, on a des trucs pas forcément intéressants sur le plan du level design (Paranautical Activity par exemple). Ici, la réalisation est très réussie : c'est juste joli. Et surtout, on a un vrai level design ! Les niveaux sont composés d'une succession de salles crées individuellement, très verticales, pleines de secrets. Les salles s'enchainent de façon aléatoire (il y en a beaucoup : après de nombreuses heures de jeu je tombais régulièrement sur des salles inconnues), et les ennemis y sont générés aléatoirement. Bref, le but est d'arriver en haut de la tour en traçant son chemin parmi la multitude de robots barrant la voie. Le gameplay est assez old school : grande vitesse de déplacement, possibilité de faire des sauts énormes ... Le jeu nous pousse à l’exploration : de nombreux bonus sont cachés un peu partout, il faudra parfois vraiment réfléchir pour les débusquer. D'ailleurs, il est possible de commencer le jeu avec différentes capacités déblocables qui modifient la façon de jouer : sauts plus hauts, invulnérabilité à la lave, plus de chance de trouver des bonus ... La musique est excellente, et en prime c'est très drôle : même le scénario est aléatoire ! Les différentes histoires se présentent sous la forme de petit dialogues discrets et marrants. Sans parler des hugbots, ces adorables robots qui ne demandent qu'à vous faire des câlins, mais qui ont la malchance de lâcher des objets utiles s'ils sont détruits ... Bref, Tower of Guns a su trouver un juste milieu entre aléatoire et level design intéressant, le tout avec un enrobage très plaisant. J'ai beaucoup aimé.
Not the Robots (2013)
Not the Robots a un concept délicieusement absurde : on y incarne un robot qui se nourrit de fournitures de bureau. Donc, chaque niveau est un étage d'immeuble de bureaux généré aléatoirement et rempli d'objets divers : il faudra tout dévorer pour passer au niveau suivant. Bien sur il y aura de l'opposition : lasers mortels, pièges au sols, et patrouilles qui tirent à vue. N'ayant aucun moyen de se défendre, notre robot devra rester discret. D'où l’intérêt du jeu : le but est de manger les objets qui nous permettent de rester caché et protégé! Et cela fonctionne très bien, c'est fort plaisant à jouer. Le problème, c'est que c'est extrêmement répétitif. On ne peut faire qu'une chose : manger des trucs. Il est aussi possible d'utiliser quelques items (téléportation, destruction de murs ...), mais ce n'est pas assez pour maintenir l’intérêt sur le long terme. Plus l'on joue et plus l'on débloque de nouveautés, mais chose étrange, on débloque des pièges plus coriaces ... Choix discutable, d'habitude dans on est récompensé pour notre progression par des capacités utiles, pas des obstacles plus compliqués ... Donc, Not the Robots est très sympatrique, mais pas plus de quelques heures.
Teleglitch : Die More Edition (2013)
Le sous-titre du jeu donne de bonnes informations sur sa nature : c'est dur. Très dur. Teleglitch un rogue like orienté action en vue de dessus. Au début cela semble très moche, mais on s'y fait, d'autant plus que la gestion de la vue est dynamique : on ne voit que ce qui est dans le champ de vision du personnage. Les effets de distorsion lors des téléportations sont aussi plutôt jolis. Bref, vous êtes dans un genre de labo secret et vous devez vous échapper. Évidemment il y a plein de monstres partout et ces derniers sont incroyablement coriaces et vicieux. Ils sont rapides, résistants, vous tournent autour, visent terriblement bien quand ils ont des armes ... On est régulièrement amené à s'enfuir à toutes jambes vers une position plus sure. La mort arrive vite, parfois littéralement plus vite que le temps qu'il faut pour se dire « arg je vais crever » ou encore « je suis dans la meeeerde ». C'est dur, mais extrêmement réactif, donc pas trop frustrant. Pour s'en sortir, il faudra compter sur un système de craft : ramassez tout ce qui traine pour créer des objets utiles, comme des explosifs, un pistolet à clous, une armure ou un détecteur de mouvement. Teleglitch est malheureusement un peu répétitif et limité, mais ça n'est pas une raison pour s'en priver : rarement un jeu m'aura autant fait avancer prudemment, redoutant ce que je vais croiser au prochain tournant, puis fait perdre tout mon sang froid et vider mon précieux chargeur dans le vide face à une horde de monstres en furie ...
Hitman Contracts (2004)
J'ai parlé de Hitman 2 par là, et ne vais pas dire grand chose de plus ici puisque Hitman Contracts est plus un Hitman 2.1 qu'un véritable Hitman 3. Même moteur graphique, quasiment pas de nouveautés ... Juste plein de nouvelles missions. Ces dernières m'ont paru un poil moins inspirées que dans Hitman 2, mais c'est peut-être à cause du décevant manque de nouveautés. Ce qui est certain, c'est que le scénario est assez anecdotique : à peine commence-t-il à se passer quelque chose que paf, générique de fin. Malgré tout , cela reste un plaisir d'incarner l'agent 47 pour se faufiler discrètement dans la foule, apprivoiser son environnement, apprendre de ses erreurs, et finalement arriver par surprise dans le dos de sa cible ...
Quelques jeux en vrac #1
Quelques jeux en vrac #2
lundi 14 avril 2014
Temps Futurs - Aldous Huxley
Temps Futurs, un étrange roman de Huxley qui a pour titre original Ape and Essence. Même sans lire la quatrième de couverture, on s'attend logiquement à de la SF. Pourtant, les premières pages nous mènent au milieu du vingtième siècle, le jour de l'assassinant de Gandhi, dans le monde du cinéma. Un jeune homme à l'ironie mordante tombe par hasard sur un scénario rejeté, et après avoir découvert que son auteur est mort, il nous le transmet ...
Voilà donc ce qui fait la majeure partie de ce récit : un scénario. Bien sur, ce n'est pas un scénario au sens strict, il tient plus d'un roman dans lequel on trouverait des indications pour la caméra et parfois une mise en page plus proche du théâtre. Et à ces éléments s'ajoute la poésie : une sorte de narrateur s'exprime assez souvent en vers, et de façon générale on trouve une multitude d'extraits de poèmes. Tout cela est un peu déstabilisant, mais ce n'est encore rien : au début du scénario, l'histoire met du temps à s'installer, on a droit à une sorte d'introduction allégorique dans laquelle des babouins intelligents se font la guerre à coup d'armes chimiques en tenant Albert Einstein en laisse ... Façon originale de nous présenter la troisième guerre mondiale.
Bon. Maintenant, on passe à l'histoire principale. Longtemps après la WWIII, une expédition venue de la lointaine Nouvelle-Zélande (épargnée pendant le conflit grâce à sa position excentrée) vient explorer une Californie post-apocalyptique. Une Californie habitée. Le Dr Poole, un biologiste un peu niais, va se faire capturer par les autochtones, et comme on peut s'y attendre, Huxley nous propose une visite guidée de cette société. Sa principale particularité est de vénérer Bélial. Si l'on en croit l'histoire récente, à savoir la guerre nucléaire, il semble en effet assez logique de penser que le diable a vaincu son opposant et tient la Terre sous son emprise. D'où une société sataniste qui massacre les nouveaux nés ayant un peu trop subis les effets des radiations et qui victimise les femmes qui les mettent au monde. Sans parler de rites sexuels assez particuliers. Temps Futurs est donc finalement une sorte de dystopie. On y retrouve un système oppresseur mais pourtant tristement logique, un héros qui tente de conquérir sa liberté, et une violente critique du comportement irrationnel des hommes du passé qui ont presque condamné leur espèce (Huxley n'a apparemment pas grande confiance dans le progrès scientifique). A moins que tout ne soit que la volonté du Seigneur des Mouches ... Cette religion satanique est un régal : Huxley nous offre une multitude de cantiques et rituels qui obéissent à une profonde logique tout en étant assez marrants. Temps Futurs n'est en effet pas aussi sérieux que Le meilleur des mondes ou Ile. Le fond est sérieux, les idées exprimées sont graves, mais l'ensemble est traité avec un ton ironique et moqueur, presque grotesque. Le héros lui même est un sujet permanent de moqueries. Finalement, c'est plutôt à Tallis, l'auteur du scénario, que l'on s'attache, notamment grâce à une fin particulièrement touchante, qui quitte l'anticipation sociale pour faire le lien avec la première partie du récit.
Temps Futurs est un peu perturbant, mais juste ce qu'il faut pour étonner et captiver sans sombrer dans l'opacité. Sans doute plus original dans la forme et par la société imaginée que dans les idées exprimées (critique classique de la bêtise humaine à grande échelle), c'est une dystopie bizarre et amusante, entre autres choses.
Détail étrange : mon exemplaire a apparemment été imprimé en juillet 2014. C'est à dire dans trois mois.
192 pages, 1948, Pocket
samedi 12 avril 2014
La flamme chantante - Clark Ashton Smith
Note anti spoilers : le récit étant très court, si vous avez l'intention de le lire dans un futur proche, pas la peine de gâcher votre plaisir en lisant ce qui suit, allez directement aux trois dernières lignes.
Dans ce petit livre à l'apparence distinguée se trouve une unique nouvelle de Clark Ashton Smith. J'avais déjà eu plusieurs fois l'occasion de découvrir son univers très particulier, et La flamme chantante reste dans la même veine, tout en étant en haut du panier niveau qualité. Comme souvent, on nous fait part d'un manuscrit retrouvé. Rédigé par Angarth, un auteur de récits fantastiques, ce journal évoque une incroyable découverte faite à l'occasion d'un voyage solitaire dans un coin perdu. Au milieu d'un paysage sauvage se dressent discrètement deux piliers en grande partie partie effondrés, piliers faits d'une matière inconnue. Et alors qu'Angarth s'avance entre les deux colonnes, le voilà transporté sur un monde inconnu, probablement situé à des distances inimaginables dans l'espace. Dans cette géographie mystérieuse se dresse au loin une cité titanesque, et Angarth ne résistera pas au désir de l'explorer, d'autant plus que s'en élève une étrange musique, un chant de sirène qui le pousse en avant. En cours de route il croisera de nombreuses créatures d’espèces variées qui ne lui prêtent guère d'attention. Et petit à petit il comprendra que toutes sont comme lui venues de mondes lointains pour effectuer un pèlerinage à la flamme chantante, au risque de s'y consumer ... Ce n'est là que la première partie de la nouvelle. Ensuite, un autre explorateur viendra dans ce monde, et son voyage sera plus violent et le portera plus loin.
L'univers de Clark Ashton Smith est triste et beau. La vision de ces milliers de créatures intelligentes et conscientes marchant ensemble vers une mort probable et absurde, guidés par la flamme chantante, se jetant de plein gré dans le brasier, ne peut laisser indifférente. Ces êtres ne portent aucun signe de technologies évoluées, les bâtiments ne sont que de monstrueux blocs de pierre et de métal. Il ne semble pas y avoir d'autres ambitions valables que d'atteindre la transcendance au sein de la flamme chantante. L'écriture semble parfois lourde, mais pour qui est habitué à Lovecraft, ce n'est pas un problème, elle est comme une peinture décrivant un monde sombre et fantastique.
La flamme chantante est un très beau récit onirique et captivant, la plume de Clark Ashton Smith est un pinceau qui nous transporte aisément. Après, 14€ pour une centaine de pages qui se lisent en une grosse heure ... disons que les bibliothèques, c'est pratique. Et si j'en juge par la présence de ce petit livre sur de nombreux blogs littéraires amateurs d'imaginaire, il a trouvé son public, et j'en suis ravi.
Plus de Clark Ashton Smith sur ce petit blog : Poseidonis, Les meilleurs récits de Weird Tales, Légendes du mythe de Cthulhu.
107 pages, 1931, Actes Sud
dimanche 6 avril 2014
Le soleil liquide et autres récits fantastiques - Alexandre Kouprine
Le titre de ce recueil est un peu trompeur : les récits fantastiques y sont en réalité en minorité. Après une préface bienvenue pour découvrir Kouprine, on s'en rend compte avec les trois premières nouvelles, assez réalistes. Si la troisième tend vers une sorte de fantastique rationnel, les deux premières sont plutôt de petites satires sociales, dans lesquelles des personnages assez sur d'eux même se font totalement humilier. Et c'est franchement réussi, les situations sont croustillantes et l'humour omniprésent. Vient ensuite le plus long récit de livre, Le soleil liquide, qui n'est toujours pas du fantastique, mais plutôt de la science-fiction. Un jeune homme se retrouve impliqué dans un projet scientifique aussi ambitieux que secret. Finalement, au sommet d'un vieux volcan, il rencontrera l'homme derrière ces mystères, et travaillera pour lui. L'accomplissement du projet semble se rapprocher, mais la ferveur scientifique ne vaut plus grand chose quand les sentiments humains se troublent ... C'est donc une nouvelle au ton assez triste, très bonne variation d'un thème classique : le génie humain et ses inévitables failles. On continue avec avec plusieurs petit récits toujours orientés science-fiction : une machine à punir à la place des hommes (très beau titre d'ailleurs : La justice mécanique), un lointain futur utopique où les hommes se remémorent le passé pour se dire que c'est quand même bien mieux maintenant (quoi que ...), une terrible dystopie communiste, et un dernier futur dans lequel les nobles, rois et princes qui s'accrochent à leur statut sont parqués et visités comme des animaux dans un zoo. Que des bonnes idées, toutes très bien développées. Ensuite, Le roi des moineaux est peut-être la seule véritable nouvelle fantastique. Un très beau texte qui devrait mettre mal à l'aise les amateurs d'animaux en cage. Les quatre derniers récits tiennent plus du merveilleux, ou de la fantasy, pour utiliser un terme plus actuel. Un seul fait plus de quelques pages, L'étoile bleue, dont le concept se dévoile très progressivement. Les autres, très courts, n'en sont pas moins bons, mention spéciale au Bonheur et son roi aussi monstrueux qu'amusant.
Une relecture supplémentaire n'aurait pas fait de mal, on trouve un nombre assez élevé d'erreurs typographiques et de phrases qui ne veulent rien dire. A part ça, Le soleil liquide et autres récits fantastiques, malgré son titre trompeur, est un recueil de très grande qualité. Il n'y a rien à jeter : les textes sont très variés et tous aussi bien écrits, drôles et intelligents.
185 pages, Les moutons électriques
Libellés :
Fantastique,
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Littérature,
Science fiction,
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