lundi 8 avril 2013

Bidoche - Fabrice Nicolino


Bidoche - Fabrice Nicolino
D'habitude, je ne parle pas des essais sur ces pages. Non pas que j'en lise beaucoup, mais bon, c'est surtout qu'il est particulièrement difficile de rendre compte d'idées exposées de façon souvent particulièrement dense et abstraite. Mais là, j'en tient un qui se lit comme un bon thriller, alors je saute sur l'occasion.

Le sous-titre, "l'industrie de la viande menace le monde", peut paraitre au lecteur non familier du sujet particulièrement alarmiste, une façon grossière d'attirer des acheteurs potentiels. Et ben non. Donc, combien d'animaux sont tués chaque année en France pour être transformés en steaks, lardons et autres nuggets ? Plus d'un milliard. Un milliard ! Rien qu'en France ! Sans compter les poissons ! Cela peu sembler ahurissant, mais si on divise ce chiffre par 65 millions, on obtient une moyenne de 15 animaux tués par an et par habitant (sans prendre en compte les import/exports donc), un chiffre finalement très petit. Ce milliard de porcs, poulets, vaches, lapins et autres, il faut tout d'abord les nourrir. Et ils mangent plus que les humains, bien sur. La France seule serait bien incapable de subvenir à leurs besoins. On importe donc, entre autres, du soja transgénique (coucou Monsanto) cultivé en Amérique du sud, probablement sur des terrains issus de la déforestation. Dans certains de ces pays, plus de la moitié des terres cultivables sont destinées aux animaux occidentaux. Au détriment des populations locales, qui n'ont plus qu'à aller tenter leurs chance dans les bidonvilles. En gros, les animaux engouffrent bien plus de nourriture qu'ils n'en produisent. Beaucoup plus. Ce milliard d'animaux, il faut aussi gérer leurs déjections. Et là, par contre, ils en produisent beaucoup. Quand ces déjections ne servent pas à fabriquer de la bouffe pour poulet, elles s'infiltrent dans le sol et polluent. Ainsi, de nombreuses nappes phréatiques bretonnes (région phare de l'élevage en France) ne sont déjà plus potables. Des virus profitent de ces conditions idéales pour muter et se développer, créant de nouvelles maladies. Ce milliard d'animaux, il faut les stocker. Dans des boxs ne permettant aucun mouvement, ou de vastes hangars remplis de tellement de poulets qu'ils ne peuvent pas plus bouger que dans une cage. L'occasion d'écorner les bovins, de castrer les porcs, de leur couper la queue et les oreilles (pour tenter d'éviter le cannibalisme), et de couper le bec des poussins. Le tout sans anesthésie, faut pas rêver. Ce milliard d'animaux, il faut aussi les tuer. Fabrice Nicolino raconte fort bien les condition dans lesquelles ce travail est effectué, mais rien ne vaut les images, que vous pouvez retrouver dans les quelques documentaires listés ci-dessous. Ces conditions sont également horribles pour les hommes, qui travaillent dans le sang, les tripes, la merde, passent leurs journées à tuer et à découper des cadavres. Et un milliard, ce n'est donc que pour la France.

On a aussi droit à quelques cours d'histoire, pour comprendre comment cette situation apparait le plus souvent comme normale. Et là, ce n'est pas une surprise : pognon, pognon, pognon. Les lobbys défenseurs de l’indéfendable ne manquent pas. Il y a même tout un chapitre consacré à ceux qui arrivent à faire passer le gavage des canards comme quelque chose d'indolore et naturel. Ah, et pour parler rapidement du style, il veut assez ironique. Cela nuit parfois à la clarté de l'ensemble, mais lui donne une chaleur et un ton personnel qui contribuent au plaisir de lecture. Bref, il serait vain d'essayer de faire de Bidoche un résumé potable ou de tenter d'en extraire simplement quelques chiffres. Vous l'aurez compris, c'est un bouquin passionnant, indispensable pour mieux comprendre cette industrie de l'absurde. Et choisir de ne pas la soutenir.

381 pages, 2009, Babel

Et pour terminer, voilà une sélection de documentaires pour approfondir le sujet en images :
  • Notre pain quotidien, une heure trente d'images de l'industrie de la bouffe, de la viande comme du végétal, sans aucun commentaire. Indispensable pour comprendre d'où vient ce que l'on mange.
  • Earthlings, documentaire se concentrant sur la condition des animaux dans l'industrie de la bouffe, de l'habillement, du divertissement et des loisirs. Très gore, mention spéciale aux scènes de cannibalisme entre porcs dans les élevages. Il en fait parfois un peu trop (la conclusion est bien lourde par exemple) mais on en sort pas indemne. Narré par Joaquin Phoenix.
  • Le monde selon Monsanto. Alors là, cette entreprise reine de l'OGM et des pesticides est vraiment une aberration. Sérieusement, c'est le mal incarné, prêt aux trucs les plus horribles et inhumains pour un peu plus de profit. Le cliché même de la multinationale qui veut dominer le monde. En pire.
  • H1N1: pourquoi c'est tombé sur les mexicains ? Un très bon documentaire pour comprendre comment une multinationale reine du porc est responsable de ce virus et écrase les populations locales.
  • Les alimenteurs, documentaire quasi-exclusivement composé d'interviews se penchant sur la France, et particulièrement la puissance du lobbying.

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