mercredi 18 juin 2025

Biologie de Campbell #27 - Les bactéries et les archées

Biologie de Campbell #27 - Les bactéries et les archées

DES ADAPTATIONS STRUCTURALES, FONCTIONNELLES ET GÉNÉTIQUES CONTRIBUENT AU SUCCÈS DES PROCARYOTES  

Les procaryotes ont probablement été les premiers habitants de la Terre il y a plus de 3,5 milliards d'années. Ils sont presque tous unicellulaires, mais les cellules de certaines espèces restent jointes après la division cellulaire.

La paroi cellulaire joue un rôle fondamental, notamment en empêchant l'éclatement dans un milieu hypotonique (c'est-à-dire un milieu ayant une concentration en solutés inférieure à celle du cytoplasme ; dans un environnement hypotonique, l'osmose incite l'eau à entrer dans la cellule).

Chez les eucaryotes qui en sont pourvus, comme les végétaux ou les eumycètes, la paroi est généralement constituée de cellulose ou de chitine. En revanche, la plupart des parois bactériennes contiennent une substance appelée peptidoglycane, tissu moléculaire qui entoure entièrement la bactérie et sert de point d'ancrage à d'autres molécules ; les parois cellulaires des archées ont juste divers polysaccharides et protéines.

Certaines cellules procaryotes peuvent former un biofilm lorsque plusieurs d'entre elles joignent la couche gluante appelée capsule qui les recouvre, ce qui leur permet d'adhérer à leur substrat, de prévenir la déshydratation ou de les protéger du système immunitaire de leur hôte.

En cas de difficulté, certaines bactéries produisent des structures cellulaires résistantes appelées endospores. La cellule copie son chromosome et l'entoure d'une robuste structure multicouche. L'endospore se déshydrate et son métabolisme s'arrête. La plupart des endospores peuvent résister plusieurs minutes à de l'eau bouillante par exemple ; dans des milieux moins hostiles, elles peuvent se conserver pendant des millions d'années. Elles se réhydratent quand elles perçoivent de meilleures conditions.

Certains procaryotes adhèrent entre eux ou à un substrat grâce à de courts et fin appendices, les fimbriae.

La moitié des procaryotes sont capables de déplacement, à l'aide de flagelles ou d'autres méthodes. Il semblerait que les flagelles des procaryotes, des bactéries et des archées soient apparues indépendamment ; ce sont des structures analogues, c'est un cas de convergence évolutionnaire.

Le flagelle bactérien est une structure complexe, composée de 42 types de protéines. Comme pour toutes les structures complexes, son évolution est possible car, globalement, chaque étape entre l'absence de flagelle et le flagelle actuelle ont été des pas donnant un avantage aux organismes qui les franchissaient.

LA REPRODUCTION, LES MUTATIONS FRÉQUENTES  ET LES RECOMBINAISONS GÉNÉTIQUES FAVORISENT LA DIVERSITÉ GÉNÉTIQUE CHEZ LES PROCARYOTES

Les procaryotes possèdent une grande diversité et donc une grande variation génétique.

Chez les espèces à reproduction sexuée, la création d'un nouvel allèle à l'issue d'une mutation est un évènement rare ; chez ces espèces, la variation génétique découle principalement de nouvelles combinaisons d'allèles durant la méiose et la fécondation. Chez les eucaryotes, non sexués, la grande variation s'explique par des mutations et reproductions fréquentes.

Par exemple, E. coli dans l'intestin humain : la probabilité de mutation spontanée lors d'une division (= reproduction) est de 1 sur 10 millions. Mais il y a 2 x 10¹⁰ cellules d'E. coli qui naissent chaque jour dans un intestin humain ; en conséquence, en un jour, chaque gène d'E. coli aura 2000 bactéries sur lesquelles il sera mutant, et comme la bactérie a 4300 gènes, en tout plus de 8 millions de mutations par jour par intestin humain.

On comprend donc que l'évolution des procaryotes peut être extrêmement rapide. 

Si les procaryotes ne pratiquent ni la méiose ni la fécondation, ils ont d'autres méthodes de recombinaison génétique (combinaison de l'ADN à partir de deux sources).

  • Lors de la transformation, le génotype d'une cellule procaryote est modifié par l'incorporation d'ADN étranger. C'est un échange de segments d'ADN homologues. Oui, une bactérie peut ramasser des bouts d'ADN qui trainent dans son environnement et les incorporer à son ADN à un endroit adapté.
  • Lors de la transduction, les bactériophages (virus qui infectent les bactéries) transportent des gènes procaryotes d'une cellule à une autre. C'est souvent le fruit d'incidents dans le cycle de la réplication phagique. 
  • La conjugaison est un processus de transfert d'ADN entre cellules procaryotes habituellement de la même espèce. Une cellule donne l'ADN et l'autre la reçoit. La bactérie donneuse étend un pilus sexuel vers la seconde, puis le pilus se rétracte, tirant les deux cellules l'une vers l'autre. Ensuite, un pont se forme, permettant le transfert de l'ADN. Par exemple, les plasmides, ces morceaux d'ADN séparés de l'ADN principal, peuvent contenir les gènes codant pour le pilus sexuel et se transférer ainsi. C'est aussi un mécanisme par lequel les bactéries peuvent échanger des gènes de résistance aux antibiotiques ou à d'autres menaces.

DE TRÈS NOMBREUSES ADAPTATIONS NUTRITIONNELLES ET MÉTABOLIQUES SONT APPARUES CHEZ LES PROCARYOTES

On peut classer les eucaryotes en fonction de leur mode de nutrition, c'est-à-dire de leur mode d'obtention de l'énergie et du carbone nécessaire à la constitution des molécules organiques qui composent les cellules. Les procaryotes possèdent plus d'adaptations métaboliques que les eucaryotes.

Les procaryotes ont besoin de deux choses : énergie et carbone. 

Les autotrophes ont pour source de carbone le dioxyde de carbone ou autre composé inorganique. Parmi eux :

  • Les photo-autotrophes, tirant leur énergie de la photosynthèse (cyanobactéries...) 
  • Les chimio-autotrophes, qui tirent leur énergie de substances chimiques inorganiques présentes dans leur milieu

Les hétérotrophes ont pour source de carbone au moins un composant organique, comme le glucose par exemple, pour synthétiser d'autres composés organiques. Parmi eux :

  • Les photo-hétérotrophes, photosynthétiques
  • Les chimio-hétérotrophes, qui tirent leur énergie (en plus de leur carbone) de substances organiques présentes dans leur milieu

 Le rôle de l'oxygène (O₂) constitue une autre variable métabolique chez les procaryotes.

  • Les aérobies stricts utilisent l'O₂ pour leur respiration cellulaire, ils en sont dépendants
  • Les anaérobies stricts, à l'inverse, ne survivent pas en présence d'O₂. Certains survivent exclusivement grâce à la fermentation, d'autres utilisent un mécanisme appelé respiration cellulaire anaérobie.
  • Les anaérobies facultatifs utilisent l'O₂ s'ils en trouvent, mais ils peuvent aussi recourir à la fermentation en milieu anaérobie 

Chez tous les organismes, l'azote est essentiel à la production des acides aminés et des acides nucléiques. Les procaryotes ont de nombreuses façons d'acquérir de l'azote, par exemple la fixation de l'azote. 

Certains procaryotes pratiquent la coopération métabolique. Par exemple, une même cellule ne pouvant à la fois accomplir photosynthèse et fixation d'azote, certaines cyanobactéries forment des colonies filamenteuses dans lesquelles la majeure partie des cyanobactéries sont photosynthétiques et d'autres fixent l'azote. Les jonctions intercellulaires permettent l'échange de ces nutriments. Ces colonies sont ce qu'on appelle les biofilms. Certaines bactéries peuvent aussi coopérer de façon similaire avec des archées.

LES PROCARYOTES ONT DIVERGÉ POUR FORMER UN GROUPE DE LIGNÉES DIVERSES

La diversité génétique des procaryotes est immense. On est loin d'en connaitre toutes les espèces.

De plus, grâce au transfert horizontal de gènes, d'importante parties du génome de nombreux procaryotes constituent en fait des mosaïques de gènes importés d'autres espèces — jusqu'à 75 %. Ce fait complique grandement l'établissement de l'arbre de la vie. On distingue néanmoins deux lignées distinctes, bactéries et archées.

La grande majorité des espèces de procaryotes connues sont des bactéries.

Les archées sont plus proches des eucaryotes que les bactéries ; l'ancêtre commun des archées et eucaryotes est plus récent que l'ancêtre commun des archées et des bactéries. Les archées n'ont pas d'espèces pathogènes pour les animaux.

Ils contiennent les organismes extrémophiles. Les halophiles extrêmes vivent dans les milieux très salés. Les thermophiles extrêmes prospèrent à des températures qui désactivent la plupart des enzymes.

De nombreuses espèces d'archées vivent dans des environnements moins extrêmes, notamment les méthanogènes, qui utilisent le CO₂ pour oxyder le H₂ et qui rejettent du méthane. Ce sont des anaérobies stricts.

LES PROCARYOTES REMPLISSENT DES FONCTIONS ESSENTIELLES DANS LA BIOSPHÈRE  

Les procaryotes chimio-hétérotrophes agissent à titre de décomposeurs (comme les eumycètes) et sont indispensables à la vie sur Terre. Ils permettent de dégrader et recycler les éléments.

Les procaryotes transforment aussi les molécules, les rendant assimilables par d'autres organismes, comme le glucose, qui remonte en haut des chaines alimentaires. Les cyanobactéries, elles, produisent de l'oxygène. D'autres procaryotes fixent l'azote atmosphérique.

Les procaryotes peuvent aussi immobiliser les nutriments du sol en les utilisant dans leur constitution.

Les procaryotes jouent un rôle crucial dans de nombreuses interactions écologiques, notamment via la symbiose entre un hôte (l'organisme le plus gros) et son symbionte (le plus petit).

  • Dans le mutualisme, un procaryote et son hôte entretiennent une relation mutuellement bénéfique.
  • Dans le commensalisme, la relation est au bénéfice d'une espèce sans pour autant nuire à l'autre. Par exemple, plus 150 espèces de bactéries vivent à la surface de la peau humaine à raison de 10 millions de cellules par centimètre carré.
  • Dans le parasitisme, une espèce bénéficie en nuisant à l'autre.

LES PROCARYOTES ONT SUR LES HUMAINS DES EFFETS TANT BÉNÉFIQUES QUE DÉFAVORABLES

L'intestin humain contient de 500 à 1000 espèces de bactéries dont les cellules sont plus nombreuses que la totalité des cellules du corps humain. Nombre de ces espèces sont mutualistes et participent à la digestion.

Par ailleurs, les bactéries sont à l'origine d'environ la moitié des maladies qui affectent les humains. 

Certaines maladies bactériennes sont transmises par d'autres espèces, comme les puces ou les tiques. Aux USA, la maladie de Lyme contamine de 15000 à 20000 personnes chaque année. 

Les procaryotes pathogènes causent en général des maladies en produisant des toxines. Les exotoxines sont des protéines sécrétées par certaines bactéries (et d'autres organismes). Les capacités évolutives rapides des bactéries font la course avec les méthodes modernes de défense humaine, comme les antibiotiques.

dimanche 15 juin 2025

The Psychology of Money - Morgan Housel


Plongée rapide dans le développement personnel mainstream et américain #3

Pour ma petite escapade dans ce genre de littérature, j'ai essayé de choisir ce qui semblait digne d'intérêt. J'ai fait une autre bonne pioche avec The Psychology of Money : ça n'est pas mal du tout. Un peu comme pour Atomic Habits, je n'ai pas l'impression d'avoir appris tant que ça, mais les idées sont globalement pertinentes et bien amenées. L'auteur indique au début avoir volontairement écrit un livre court, et même s'il aurait pu gagner à être encore abrégé, c'est suffisamment dense pour maintenir l'intérêt du premier au dernier chapitre. Le genre de livre qu'on gagne sûrement à lire jeune, afin de gagner du temps sur l'apprentissage de ce qu'on ne voit pas à l'école, et rarement en famille.

Les thèmes centraux sont clairement explorés : le rapport à l'argent est fondamentalement irrationnel et émotionnel, une minorité d'entreprises portent la majorité de la croissance, l'avenir est imprévisible, time in the market beats timming the market, tout ça fait que les fonds indiciels sont efficaces pour capturer la croissance sans risquer le stock-picking rarement rentable, on s'imagine toujours comme un être "fini" mais nos désirs changent avec le temps, savoir mettre des limites à ses désirs et vivre en dessous de ses moyens est capital, la comparaison avec autrui est un terrible piège, il n'est pas nécessaire d'avoir une "raison" pour mettre de côté, le plus grand intérêt de l'argent est d'acheter la liberté et la tranquillité d'esprit... Je savais déjà tout ça, mais c'est bien dit, bien écrit, et les exemples "narratifs" sont appropriés et suffisamment brefs pour ne pas ressembler à du remplissage.

A noter que l'auteur ne semble pas remettre en cause le dogme de la croissance perpétuelle et, s'il conclut son livre sur un passionnant chapitre qui rappelle et explique le boom post WWII aux USA, ses dernières lignes indiquent que les mécontents actuels du système ne comprennent pas qu'en fait tout va pour le mieux et que les problèmes d'inégalité sont grandement exagérés.

Ci-dessous quelques notes.  

Nos perspectives sur les questions d'argent sont en bonne partie forgées par notre expérience, qui n'est représentative que d'une toute petite partie de la réalité :

No intelligence, or education, of sophistication. Just dumb luck of when and where you where born. 

After spending years around investors and business leaders I've come to realize that someone else's failure is often attributed to bad decisions, while your own failures are usually chalked up to the dark side of risk.

A propos de la capacité au changement, à la remise en question de soi, une anecdote impliquant David Kahneman. L'auteur lui demande comment il fait pour reprendre des chapitre de son livre Thinking, Fast and Slow plusieurs fois, en repartant de zéro à chaque fois, et donc en "perdant" son travail précédent. Kahneman répond : I have no sunk costs.

Les day traders participent à la création des bulles financières car leur principal critère de sélection d'un stock est sa prédictibilité, et non sa croissance à long terme, ce qui peut mener à une croissance totalement déconnectée de la valeur réelle (si une telle chose existe). Un day trader se fout d'acheter un stock surévalué, car il n'a aucune intention de le garder au-delà du très court terme. Les day traders et les investisseurs à long terme jouent sur le même terrain mais avec des buts complètement différents.

jeudi 12 juin 2025

Vienne brutaliste (carnet de voyage)

Toutes ces photos ont été prises dans le centre de Vienne.

Ces tours de défense aérienne ont été construites sous contrôle nazi, par la force de travail de locaux non consentants.

Cliquer sur les photos pour les agrandir.










lundi 9 juin 2025

Atomic Habits - James Clear

Atomic Habits - James Clear

Plongée rapide dans le développement personnel mainstream et américain #2

Un énorme bestseller, dans la veine de The Power of Habits. Certes, je l'ai lu distraitement en PDF sur mon smartphone et j'ai sauté de nombreuses lignes, mais je dois avouer que je suis positivement surpris. Je dirais que je n'y ai pas appris grand-chose, mais qu'on y trouve tout un tas d'idées et de concepts hautement pertinents et utiles, bien organisés et portés par une écriture qui, pour un livre de ce genre du moins, n'est pas trop verbeuse. Si j'avais un gamin de 17 ans, je n'hésiterais pas à lui mettre ce bouquin entre les mains ; ça m'aurait peut-être fait du bien de lire ça à 17 ans.

J'ai l'impression — peut-être illusoire — d'avoir apprécié ce livre en partie parce que je sais déjà à peu près ce qui fonctionne ou pas pour moi. J'avais souvent l'impression de retrouver des idées et méthodes déjà découvertes au fil de l'expérience et des lectures — certaines choisies et adoptées avec succès, d'autres tentées mais finalement inadaptées à mes inclinaisons. D'où mon sentiment que ce livre a le potentiel d'être un raccourci assez pertinent vers ces idées.

Quelques brèves notes ci-dessous, mais si j'ai l'occasion de mettre la main sur une version papier, c'est un livre que je pourrais relire ; ça ne prend que peu de temps. 

  • Oublier les objectifs et se concentrer sur les systèmes → Classique mais capital. Chaque petite action est un pas vers l'objectif. Aimer le processus plus que le produit final. Éviter la perte de sens une fois l'objectif atteint.

You do not rise to the levels of your goals. You fall to the level of your systems.

  • Motivation basée sur l'identité plutôt que sur le résultat → C'est ce que j'appelle l'efficacité et la sanité de la motivation intrinsèque par rapport à la motivation extrinsèque.

The most effective way to change your habits is to focus not on what you want to achieve but on who you want to become.

  • Se créer un cadre, et en particulier un cadre social et culturel, dans lequel on doit lutter aussi peu que possible pour maintenir les habitudes souhaitées. Pas besoin de self control quand on n'a pas de tentation. 
  • Le désir crée plus de plaisir (dopamine) que l'accomplissement du désir. Le désir est le moteur du comportement. 
  • Les humains ont tendance à copier le comportement 1) des proches 2) de la majorité 3) des puissants. 
  • La quête de la perfection est un piège : on obtient souvent de meilleurs résultats par répétition, obstination et apprentissage empirique.
  • Les émotions conditionnent nos réactions, et on rationalise après coup.

Most people believe that the reasonable response is the one that benefits them : the one that satisfies their desires.

vendredi 6 juin 2025

Les arbres fruitiers au jardin en juin, visite guidée

 

Le lien direct pour la vidéo sur Youtube.

Hop, une petite vidéo pour faire le tour des arbres fruitiers du jardin en juin. Il y en a qui donnent déjà, et d'autres qui annoncent une bonne récolte. 2025 est parti pour être une année fruitière exceptionnelle.

mercredi 4 juin 2025

The Obstacle is the Way - Ryan Holiday

The obstacle is the way - Ryan Holiday

Plongée rapide dans le développement personnel mainstream et américain #1

Il y a peu, je me suis retrouvé pour la première fois depuis longtemps dans une librairie d'aéroport partiellement anglophone. Je m'y attendais, j'y allais même pour ça — dans la librairie, pas dans l'aéroport  mais j'ai néanmoins été frappé par la présence si clairement dominante du genre self-development au sens large. C'est dans ce type de cadre aéroporté que j'ai pu me procurer par le passé notamment Thinking Fast and Slow (excellent, dépasse largement la catégorie self-help mais touche le même public) et The Power of Habit (pas mal du tout). Ces deux ouvrages, devenus classiques, étaient toujours présents dans cette librairie, mis en avant. J'ai eu envie de m'attaquer un peu plus sérieusement à ce genre de littérature, mais, étant suprêmement sceptique devant la majorité des ouvrages présentés, je n'ai cette fois rien acheté. 

The Obstacle is the Way date de 2014 et Ryan Holiday est sûrement partiellement responsable de la résurgence populaire moderne du stoïcisme. J'avais conscience de ses bouquins à l'époque, mais je doutais fortement de leur intérêt face aux textes millénaires des auteurs classiques. Après lecture (ou plutôt écoutage distrait), je confirme sans surprise que c'est plus que dispensable.

Ryan Holiday a été directeur du marketing d'une grande marque avant de devenir l'assistant de Robert Greene, l'un des gourous du développement personnel. Holiday est un pro. Il sait se vendre, il a une importante capacité de travail et de lecture, il publie régulièrement, il connait les ficelles — ça se sent. La formule est claire : on commence un chapitre avec une petite histoire sur un personnage, peut-être antique mais plus probablement américain, puis on développe l'idée qu'illustre cette histoire, avant de passer à la suivante. Idéalement, on essaie d'avoir une progression logique entre ces idées. Et on ajoute une bonne dose d'exhortations sur le fait que oui, toi aussi lecteur, tu peux atteindre le succès, la réussite, il faut juste le vouloir, etc.

L'obstacle est le chemin : le thème est clair, limpide, explicite. Amor fati, faire face à l'adversité rend meilleur, etc. Les Anciens en parlent évidemment mieux, avec des mots souvent intemporels. Alors on s'ennuie un peu face au tirage à la ligne de Ryan Holiday. On soupire quand on constate que son premier exemple est... John Rockefeller. On soupire à nouveau quand il se penche sur... Steve Jobs. C'est terriblement Silicon Valley friendly, tourné vers les entrepreneurs, vers le succès économique, etc. Difficile aussi de faire l'impasse sur l'éternel biais du vainqueur qu'évoque cette suite de personnages fameux. Utiliser la réussite sociale pour justifier la valeur des vertus défendues me semble hautement suspect. Il aurait aussi fallu évoquer des perdants, des misérables, ou simplement des gens du commun, qui parviendraient à vivre cette philosophie dans l'ombre, sans que le destin leur offre l'argument sophistique du succès. Ou tout simplement se passer de ces anecdotes — mais il ne resterait plus guère de livreA l'inverse de ses modèles antiques, Ryan Holiday ne pratique pas l'introspection, il ne parle pas de son expérience, de ses tourments, de ses propres progrès philosophiques.

Ryan Holiday est clairement plus marketeux que philosophe. Pour qui cherche résilience et inspiration je conseillerais mille fois plus les Anciens. Ceci dit, parmi les prolifiques gourous du self-help, on pourrait aisément tomber plus mal. J'ai lu bien pire. J'ai commencé à écouter son ouvrage suivant, Ego is the enemy, pour voir s'il s'y occupe plus de morale, mais je ne suis pas certain d'en faire un compte-rendu, tant cette littérature n'est guère sérieuse.

Concernant tous les personnages célèbres évoqués, je retiens particulièrement le post-sciptum : Ryan Holiday y liste toutes ces figures historiques qui utilisaient les textes classiques du stoïcisme comme guides et modèles pendant leur existence. C'est efficace pour que le lecteur se sente inclus dans cette liste, comme héritier non seulement des anciens stoïciens devenus mythes, mais héritier des étudiants du stoïcisme, ces gens plus proches et concrets qui, eux aussi, comme Sénèque, couraient après la vertu. Ayant été moi-même profondément marqué et influencé par ma lecture des stoïciens il y a plus de 10 ans, c'est le seul passage qui m'a touché.

Allez, je cite une ligne :

We talk a lot about courage, but at its most basic level, it's about taking action.

dimanche 1 juin 2025

Résurrections - Robert Silverberg

Résurrections - Robert Silverberg

Un roman du début de carrière de Silverberg, avant qu'il ne tente de la SF un peu plus mature. Il y a un goût d'inabouti, pourtant j’aime ces romans, qui ont le mérite d’explorer intelligemment de véritables sujets SF sans trainer en longueur. (Je mets en illustration une jolie couverture originale, car l'édition Pocket que j'ai a une inutile paire de fesses en couverture, et vu que mon dernier article concerne un SAS, il faut que je fasse attention à l'image de marque de mon blog.)

Résurrections (Recalled to Life, 1958) imagine l’invention d’un procédé médical permettant, justement, la résurrection. Une résurrection certes limitée à des morts de moins de 24 heures dans les cas où le corps n’est pas trop endommagé, mais une résurrection tout de même. Harker, politicien progressiste mis au placard, accepte de devenir le porte-parole et communiquant du labo responsable de la découverte. Il va falloir faire face à l’obscurantisme pour imposer la raison, la science, et finalement l’amélioration du sort humain.

Voilà, c’est tout le roman : le combat de Harker contre les conservateurs, les réactionnaires, les cul-bénis et les opportunistes. L’aspect scientifique de la découverte n’est que peu exploré, et on n’aborde aucunement de potentielles découvertes sur la nature de la mort ; le ton est clairement à la politique-fiction, ce que j’ai apprécié. Au risque de dire une banalité : j’ai trouvé tout cela hautement d’actualité. Il y avait parfois une puissante naïveté dans la SF d’une certaine époque, la certitude que la « raison » s’imposerait tout naturellement dans l'avenir. Ici, le ton est optimiste, la bien-aimée raison triomphe à la fin, mais cette victoire ne va pas de soi. Toujours règne la peur envers le nouveau, et bien évidemment ce n’est pas avec les arguments relevant de la réalité scientifique qu’on gagne le combat. Pour conquérir l’opinion, il faut l’émotion, le choc, les idées simples à saisir. Et pour ce faire, il faut agir comme ses adversaires, mentir à son tour, jouer avec la vérité, faire du spectacle ; il faut convaincre, quoi qu’il en coute. 

Malgré des faiblesses narratives certaines (Harker ne cherchant même pas à parler avec un ressuscité pour vérifier que tout va bien avant d’accepter le boulot de porte-parole, une décision particulièrement stupide des scientifiques du labo, le coup de poker final basé sur la chance et donc peu satisfaisant, etc.) et un inévitable sentiment de roman vite écrit, Silverberg ne déçoit pas avec Résurrections. Cette SF n’est pas dépassée.