Je crois que ça fait au moins deux décennies à présent que Philippe Billé, en plus notamment d'un travail de traducteur et de bibliothécaire à l'université, tient une sorte de journal sous forme de blog. Il a aussi publié et auto-publié un grand nombre de bizarreries, dont voici l'une des moins bizarres : un recueil de cinq ans d'écriture de journal, originellement paru sous forme bloguistique. Je trouvais dans son écriture un certain charme, et j'ai déniché ce volume chez un ami, dans une étonnante valise qui elle-même servait de recueil à ces opuscules bigarrés.
Je laisse à l'auteur le soin de se présenter :
On fait donc face à journal rempli de petits riens, qui se divise entre longs articles de bibliophile ibérologue parfois assez pointus (j'en ai sauté la plupart), des musages sur la vie quotidienne, des tirades chargées politiquement, une fascination pour les vitraux d'église, des parenthèses forestières et animalières, quelques paragraphes à tendance philosophique... Je dois avouer que j'ai particulièrement apprécié l'aspect politique. Comment décrire Philippe Billé sur ce plan ? J'aimerais ne pas avoir à le faire — quelques mots sont nécessairement réducteurs — mais, dans l'intérêt de ce présent compte-rendu, ce ne serait pas sérieux que d'esquiver ce point. Je suppose que certains pourraient le qualifier de « vieux facho » ou, plus aimablement, « d'anarchiste de droite ». Il tape sur l'étatisme, sur les fonctionnaires, sur l'immigrationnisme, sur les gauchistes, sur les médias, sur le prétendu humanisme de ces derniers groupes, etc. Pour moi, c'est plaisant à lire. Il se dégage de tout ça un cynisme parfois rafraichissant, parfois légèrement choquant ; les propos, souvent pertinents, souffrent à l'occasion de raccourcis discutables, mais sont servis par une écriture cultivée et mordante.
Évidemment, dans ce genre de littérature, un point capital est l'affinité que l'on peut ressentir envers l'auteur. Pour cela, je citerais Philippe Billé, lui-même citant un autre écrivain :
Une part de ma sympathie pour l'auteur, en deçà même de l'écriture, vient de mon impression de partager avec lui un certain profil de handicapé social. Je me reconnais, si je puis dire, par exemple dans la confidence que « ayant enquillé les diplômes, j'abdiquais et devins ce marginal appelé à faire merveille dans la précarité et la clandestinité ».
Ci-dessous, pour cerner le personnage et ce qui fait pour moi le charme de son écriture, quelques exemples de ces passages chargés idéologiquement dont le ton les rend très agréables à mon sens de l'esthétique idéologico-littéraire :
Que les chômeurs soient dans l'ensemble des feignants, cela ne fait aucun doute à mes yeux, et j'en suis le vivant exemple. Hormis quelques cas indéniables d'injustice ou de malchance, comment pourrait-il en être autrement : quand il n'y a pas de travail pour tous, les places reviennent aux plus zélés à se jeter dessus. Est-ce un mal, ça se dispute, et la vocation laborieuse n'est pas forcément admirable. Pour ma part j'ai passé l'essentiel des années 80 et un peu au-delà, mes plus belles années, à profiter souvent du chômage. J'en garde le meilleur souvenir et je dois avouer que j'envie parfois les copains plus ou moins artistes, qui ont su continuer à se faire entretenir, par leur femme ou par la république. Mais chacun son destin, comme on dit.
Je ne partageais pas toutes les idées de Jean-Paul II, je ne suis pas un fanatique de la vie, la peine de mort par exemple serait à mes yeux le seul juste remerciement à la vermine terroriste. La fécondité ne m'émerveille pas, la contraception me parait un bien, je pense que l'on dépêcherait utilement vers le tiers monde des bombardiers géants remplis de capotes, et avec le mode d'emploi si possible. Je trouve l'avortement tout aussi légitime et salutaire qu'il est horrible, quoique le remboursement de l'acte ne me semble pas indispensable, et dans les meilleurs moments j'inclinerais presque à une certaine indulgence pour l'infanticide.
J'ai lu dans une revue municipale de banlieue un questionnaire « démocratique » assez gluant, dont les formulations impliquaient chez les interrogés des présupposés discutables. Du genre « Quel équipement sportif supplémentaire vous parait-il le plus urgent de réaliser ? », ce qui veut déjà dire que l'on considère que la localité a un besoin urgent d'équipements sportifs supplémentaires. Ou encore « Dans quel domaine l'animation doit-elle être améliorée en priorité, cochez la case : Animation sportive, Animation culturelle, Animation commerciale, Animation pour les jeunes, Fêtes, etc.», comme s'il était évident que la ville se trouverait mieux, d'être plus « animée ». Pour moi l'agitation et le grouillement n'ont aucun attrait, je recherche au contraire des villes inanimées.
Un mot sur le faire d'être « de droite » à l'université. Ce n'était même pas mon cas (je suppose que s'il fallait me ranger quelque-part ce serait inévitablement « à gauche »), mais j'ai passé beaucoup d'années dans la fac où Philippe Billé a longtemps travaillé (ce qui réveille des frustrations) et j'ai été profondément et négativement frappé par ce que j'appellerais le gauchisme universitaire. J'ai eu l'occasion d'y découvrir une forme prototypique d'un totalitarisme de gauche où les impératifs moraux sont officiellement tolérance ou encore inclusivité, impératifs moraux qui ne sont que des outils d'élitisme arbitraire pour un entre-soi ou règnent comme ailleurs copinage poisseux, intense hypocrisie et diktat de la pureté idéologique. Enfin bref. (Je ne voudrais pas généraliser, chaque département ayant sa culture propre, qui souvent ne ressemble pas à celle que je décris ici.) Je ne regrette pas la fac et je pourrais parler longtemps de la stérilité que j'y ai trouvé ; je la remercie cependant de m'avoir donné beaucoup de temps libre. Je ne blague pas : c'est une véritable et importante qualité, difficilement trouvable. Tout ça pour dire que j'ai un faible pour la perspective individualiste, caustique et atypique d'un Philippe Billé, quitte à quelques sains désaccords propices à la discussion, plutôt que celle, pesante et étouffante, de l'institution.
Et il faudra que lui demande, à Philippe Billé : que fait-il, exactement, dans ses bois, à part récolter du bois mort et jouir du complexe faune-flore ? J'ai cru comprendre qu'il entretenait ces bois : comment donc ? Comment, et pourquoi, entretenir un petit bois, en tant que particulier ? Quelles actions surpassent l'inaction ?