Je commence à avoir un peu d'expérience avec Greg Egan, après Schild's Ladder (2002), Isolation (1992) et La cité des permutants (1994). Hélas, L'énigme de l'univers (Distress, 1995) va rejoindre ce dernier dans la pile mouaiiiiiis. Disons que j'ai lu ce roman avec à la fois un intérêt certain et un déplaisir croissant.
La narrateur est un journaliste scientifique. Le début exploite à fond cette perspective pour explorer l'univers du roman : il assiste à la réanimation foireuse d'un mort pour lui extraire le nom de son meurtrier, il interroge un milliardaire qui transforme son corps jusqu'à l'ADN pour le rendre incompatible avec les maladies humaines, il dialogue avec des autistes volontaires... Plein de bonnes idées, on les découvre avec plaisir. Puis le narrateur va à Stateless, une île artificielle anarcho-syndicaliste où va se tenir un congrès sur la Théorie du Tout. Là, on mélange la découverte de la culture anarchiste locale, l'étonnante île artificielle à base de corail, les vils cultes de l'ignorance venus défendre une vision irrationnelle du monde, les questions autour de la Théorie du Tout elle-même, et un mystérieux complot qui mènera au mouvement des anthrocosmologistes.
Faisons un pas de côté. Je préviens : je vais faire une interprétation psychologisante. Déjà, dans La cité des permutants, l'une des personnages principaux, introvertie et rationnelle, a une relation toxique (et inutile narrativement) avec un homme plus émotionnel et extraverti. Rebelote ici : le narrateur, introverti et rationnel, a une relation toxique avec une femme plus émotionnelle et extravertie. Il ne comprend pas ses besoins et il veut juste faire du montage vidéo en paix. J'ai vraiment, vraiment l'impression que Greg Egan met de force, et de façon superflue, ses propres problèmes relationnels dans ces récits. Ça va plus loin dans ce roman-là : le thème de l’asexualité est exploré au fil des pages, et le narrateur finit par se rendre compte que c'est peut-être plus simple de ne pas s'embêter avec le sexe et les genres, jusqu'à une conclusion qui se veut utopique où, dans le futur proche, tout le monde nait asexuel ! Juste pour être clair : je n'ai rien contre le traitement de l'asexualité, ou de toutes sortes de sexualités — Greg Egan lui-même s'y prend d'ailleurs beaucoup mieux sur ces sujets dans Schild's Ladder. Le truc, c'est qu'on a juste l'impression d'être le psy de l'auteur, et ça donne au roman un côté franchement immature. Il n'y a rien de mal à écrire sur ses fantasmes (qui ne le fait pas ?), encore faut-il les transcender un minimum. La fin fait doublement immature puisque s'y rajoute l’utopie d'une compréhension totale de l'univers, compréhension partagée par chacun de façon innée. C'est gros, trop peu préparé narrativement, trop peu expliqué, à peine exploré — et tout ce à quoi ça me fait penser, c'est que l'auteur fantasme sans aucune subtilité sur un monde hyper rationnel et "libéré" des problèmes relationnels entre les genres.
Une fois sur Stateless, les différents aspects de la narration s'enlisent un peu, la construction est parfois poussive et manque de clarté, mais la curiosité du lecteur est néanmoins titillée, on a envie d'en savoir plus sur toutes les questions politiques et scientifiques évoquées. Bref, rien d'insurmontable si le concept central est accrocheur. Or, déjà dans La cité des permutants, tout le roman s'était effondré sous mes yeux parce que ne n'avais pas pu accrocher au concept central, ni même le prendre au sérieux. Même chose ici. Les anthrocosmologistes ont raison : l'univers n'existe que parce que les humains ont trouvé la Théorie du Tout. Pour résumer, il n'y a pas un univers dans lequel nait l'intelligence qui essaie de l'expliquer, non : c'est l'intelligence, c'est la compréhension de l'univers, qui crée l'univers. C'est la compréhension/création de la Théorie du Tout par une subjectivité humaine qui crée la réalité physique, la TOT étant une sorte de big bang de l'information.
Je n'y peux rien, c'est plus fort que moi : je trouve ça complètement stupide. En un sens, j’apprécie l'exploration de ce concept frappant, mais la façon dont Greg Egan essaie de le rendre réel dans son roman échoue totalement à mes yeux et occulte toutes les autres idées potentiellement captivantes qu'il met en scène.
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