mardi 2 janvier 2024
Nana - Zola
Un onzième volume des Rongon-Macquard et, une fois de plus, c'est fantastique. Avec cette terrible odyssée de Nana, cocotte imbécile et irrésistible, prostituée des caniveaux comme des plus magnifiques salons, Zola continue d'impressionner. Au début, c'est un peu rude, tant les personnages sont fort nombreux, Zola ne s'embarrassant pas de les présenter dans les formes. Puis, on apprend à les connaître, au fil de chapitres souvent séparés entre eux par des ellipses de plusieurs mois.
Il y a cette longue scène dans les coulisses d'un théâtre, où comtes et princes explorent avec un jouissif dégoût l'arrière-plan qui héberge les filles qu'ils désirent ; il y a ces séquences de folies dans les draperies et les dorures, où Nana gobe les hommes et leur argent comme un caméléon gobe les mouches ; il y a ces plongées dans les bas-fonds, où réapparaît la crasse violence physique ; il y a cette consomption des hommes viveurs qui viennent voler trop près de la flamme Nana, comme aimantés ; et on se demande comment Zola fait pour dépeindre tous ces milieux et tous ces humains avec autant de crédibilité.
« Alors, Nana devint une femme chic, rentière de la bêtise et de l'ordure des mâles, marquise des hauts trottoirs. Ce fut un lançage brusque et définitif, une montée dans la célébrité de la galanterie, dans le plein jour des folies de l'argent et de l'audace gâcheuse de la beauté. »
On pourrait presque dire que dans Nana, la plupart des personnages se comportent d'une façon complètement abrutie. Ils se consument, s'auto-détruisent, dans une débauche toujours grandissante et un appétit impossible à assouvir. Qu'ils aient tort, sans doute, mais on les comprend : pour quoi d'autre pourraient-ils vivre ? Que possède Nana, à part le don de plaire ? Oh, elle pourrait se trouver un homme riche à marier et vivre plus que bien, mais ce n'est pas dans sa nature. Quant au comte Muffat, qu-a-t-il, à part un mariage glacial, de vaines fiertés de haut noble et les illusoires consolations de la religion ? Comment nier qu'avec Nana, il vit enfin, d'une intensité qu'il ne pourrait trouver ailleurs ? A quoi bon son argent, ses rentes, ses propriétés, quand tout ça ne lui offre pas ce que Nana lui offre ? Et Vandœuvre, l'héritier d'une longue lignée, qui n'a même pas eu besoin de Nana pour se perdre dans les abus et les femmes ? Tout le monde n'est pas Tolstoï, et certains n'arrivent jamais à fuir l'attrait des flammes. Les raisonnables, ceux qui restent sobres, ceux qui accumulent doucement en picorant les miettes des flamboyants, sont inévitablement des personnages secondaires — enfin, pour ce roman-là.
C'est indéniable, Zola est ici un poil racoleur : comme dans La Curée (par ailleurs non moins excellent), il y a dans ces débauches de richards un caractère excessif, maximaliste, qui relève d'un érotisme de l’argent et du désastre. C'est une explosion, un incendie, une fusillade de beaux salons. Alors oui, on s'y amuse plus que dans L'Assommoir, et le talent de Zola fait qu’on a l'impression de ressortir non seulement diverti, mais aussi grandi, grandi par l'art qui se déploie dans ces pages comme par le tableau social et psychologique dressé, tableau fort et subtil, puissamment édifiant sans être bassement moralisateur.
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