The Resilient Farm and Homestead de Ben Falk (2013, Une ferme résiliente et productive pour vivre à la campagne en français) a un côté manuel, mais c'est avant tout une sorte de mémoire autour de l’expérience de l'auteur à la ferme Whole System Design. Ben Falk gagne sa vie en conseillant autrui sur la conception de terrains à visée d'habitation durable et d'autosuffisance alimentaire, et il pratique ce qu'il prêche (dans un contexte bien plus froid que le climat français moyen). Il y a beaucoup de choses là-dedans, c'est dense, et si j'ai sauté quelques pages, l'ensemble est tout à fait solide et recommandable. Je ne fais ci-dessous que relever quelques points dans toute cette densité. Je me concentre surtout sur le végétal, mais il est aussi question de construction et de conception des lieux de vie, notamment le rôle capital du poêle à bois pour le chauffage, la cuisine, ou même l'eau chaude...
Ben Falk évoque les différentes méthodes alternatives pour gérer la terre, et notamment l'agroforesterie mélangée à de l'élevage léger et diverses autres cultures (le tout sous les arbres), méthode qui semble avoir eu une place capitale dans l'histoire de l'humanité (voir l'article Les jardins-forêts perdus d'Europe). Ces systèmes, qui privilégiaient notamment les glands, les noisettes et les châtaignes, offrent une remarquable productivité et une grande variété (nourriture végétale et animale, bois...) mais ne sont pas compatible avec l'hyper-efficacité de la monoculture qui génère des surplus, et encore moins avec la monoculture industrialisée. Un arbre, sur le long terme (et c'est bien le point problématique), est particulièrement efficace pour convertir lumière et eau en calories. Passée les premières années, l'arbre (surtout s'il n'est pas dans une monoculture qui le prédispose aux maladies et limite les denrées alternatives) devient quasiment autonome. Résilience des systèmes biologiques contre panne inéluctable des systèmes mécaniques. Et quelle ressource (chaleur, construction) plus intemporelle que le bois ?
On retrouve bien sûr les mêmes points que dans Introduction à la permaculture et Edible Forest Gardens : si la complexité dans les systèmes mécaniques ne mène que plus sûrement à la panne, la complexité (ici gérée) dans les systèmes biologiques est un gage de solidité. L'efficacité d'un système mécanique (pompe de l'eau d'un aquifère) se fait au prix de la résilience (lieu de vie choisi en fonction de la présence d'eau en surface, voire naturellement distribuée par la gravité). Ceci dit, l'auteur ne fait pas dans l'idéalisme et ne dit pas non aux systèmes mécaniques pendant qu'ils sont là : il utilise des véhicules quotidiennement, parfois un excavateur, souvent des tronçonneuses...
Une bonne idée pour la création d'un verger ou forêt-jardin : si les arbres plantés (ici des noyers) doivent être prudemment espacés pour laisser entre eux l'espace désiré quand ils seront matures, il est néanmoins possible de les planter plus rapprochés ; les arbres commencent à donner alors qu'ils sont encore jeunes, et il est possible d'en couper plus tard certains, pour faire de la place aux autres, tout en profitant de plusieurs années de récolte et de leur bois. Et une anecdote sur l'adaptabilité : l'auteur voulait faire un verger à un endroit, mais les trous pour les arbres se sont rapidement remplis d'eau. Il a compris que l'endroit était naturellement très humide (je suppose qu'il est question de ce qu'on appelle niveau hydrostatique) alors il a finalement fait des rizières à la place. D'ailleurs, quand on cultive des céréales à petite échelle, se pose la question du décorticage : l'auteur a été assez chanceux pour mettre la main sur une petite machine à décortiquer le riz, mais c'est un point à ne pas négliger. Il mentionne aussi la différence entre son riz "frais", qui cuit en 15 minutes, et le riz "sec" en magasin.
Il est évidemment beaucoup question d'eau, et je retiens particulièrement la création de divers plats et bosses sur les pentes pour retenir l'eau, la forcer à s’infiltrer au lieu de la laisser dévaler. Il s'agit de tout faire pour retenir l'eau sur le terrain, et la conserver pendant les périodes sèches (d'où les étangs). Les étangs, grâce à l'inertie thermique de l'eau, ont aussi l'avantage de conserver la chaleur. De plus, un même terrain a plus de surface s'il est ondulé que s'il est plat, et plus de surface signifie plus d’opportunité d'absorber l'eau et plus d'humus. L'eau est aussi utilisée, via la gravité, pour disperser naturellement les nutriments, par exemple ceux de la pile de compost. Les plantes pérennes à racines longues favorisent le ralentissement et l'infiltration de l'eau (et sont plus résistantes aux sécheresses). En revanche, les pérennes sont bien plus difficiles que les annuelles à sélectionner génétiquement pour leurs résistances diverses, à cause de leur rythme de reproduction bien plus lent.
Astuce pour se faire une idée de l'humidité d'un terrain : laisser un
sceau dehors pendant un an et observer la variation de son niveau
d'eau. Le sceau devient une petite simulation du niveau hydrostatique.
|
Creux et monticule en terrain plat |
|
Si les animaux peuvent parfois se refiler des maladies, ici, les poules protègent les moutons des mouches parasites.
Je reproduis quelques-uns des derniers mots de l'auteur :
This book could have been aptly called “The Empowering Lifestyle.” Truly, that’s the biggest reason I stay in it—not to fix the world (it might be broken beyond repair, who really knows?), not even to build fertile soil and plant a new forest. Those are big motivations to be sure, but perhaps the most consistent day-to-day fulfillment comes from having a central role to play in my own survival and thrival, from keeping myself warm, to feeding myself, to enlivening each day with a swim in the pond, a ski through the rice paddies, a night on the rock under the silent stars. Enlivening the land around me and the person within me has been the most dependable outcome of this lifestyle. And that’s been a surprise. The shape my life has taken here does not stem from some grand design but from a series of small actions—trying a pond here, a rice paddy there, a seaberry plant here, a swale there, some mushroom mulch over here. With each passing season the outcome of these tiny experiments becomes visible. I start to see what works, adjust, and try more new things. Each of these things unfolds. Being open to that unfolding is key. It’s so easy to expect specific outcomes, but that hides possibilities. About four years ago a student asked me, “If you could offer one piece of advice about how to make a landscape work, what would it be?” My answer was as simple then as it is now, “Try stuff.”