The Fifth Science (2018) d'Exurb1a est un recueil de nouvelles connectées et centrées autour du thème de l'intelligence non-humaine : c'est la cinquième science du titre, la capacité à insuffler l'intelligence à n'importe quoi. On va donc de l'IA classique aux étoiles conscientes. Les nouvelles sont bien sûr inégales, parfois un peu naïves, mais le niveau global est très élevé. C'est de la SF qui explore les limites de l'humain et de l'intelligence sur d'énormes échelles temporelles et spatiales, j'aime ça.
Le premier texte, For Every Dove a Bullet, est excellent. Une entité désincarnée ressemblant à un esprit humain nait dans l'esprit d'un véritable humain. On suit son parcours et son évolution au fil des millénaires, sa quête pour comprendre sa propre identité. L'ampleur ramassée dans une simple nouvelle est remarquable, on jongle entre les époques et les niveaux de technologie sans aucun sentiment de confusion. La quête intime d’identité est mêlée à la destinée galactique de l'humanité et à des considérations morales plutôt bien amenées. Un début qui met en confiance. Le second texte, The Menagerie, est inférieur pour une raison simple. Un homme, la mémoire en vrac, se réveille dans une station de recherche habitée par une humaine suspecte et des IAs encore plus suspectes. Scénario horrifique classique et habilement développé, mais rabaissé par une facilité narrative : l'horreur est basée sur la répétition presque quotidienne de la résurrection et de la torture du protagoniste pendant des siècles, alors s'il est par exemple la millième incarnation de ce processus, pourquoi la méchante IA prend-elle le temps de lui expliquer son plan machiavélique comme s'il était James Bond ? Est-ce qu'elle a expliqué son plan déjà mille fois auparavant à toutes ses incarnations précédentes ? Peut-être, ça pourrait faire sens dans l'intrigue, mais en l'état ce détail affaiblit la narration. A Dictionary revient vers les grands espaces et la colonisation spatiale. Un médecin blasé se retrouve impliqué dans l'accident d'un vaste vaisseau stellaire, accident en lien avec l'existence d'anomalies d'origine intelligente. Il n'y a pas vraiment de dénouement précis, mais la narration reste très efficace, et même touchante, notamment à travers la déconnexion entrainée par le décalage temporel lié aux voyages stellaires.
And the Leaves All Sing of God évoque la quête de connaissance des IAs, quête qui se heurte à plusieurs impasses qui semblent avoir été laissées là par une intelligence encore supérieure. Les aventuriers qui s'y frottent se suicident ou ne reviennent pas sains d'esprit. The Lantern mélange unité de temps et de lieu avec vastes horizons temporels et spatiaux. Les humains ont crée les lanternes, d'étranges créatures capables de guider les vaisseaux à travers ce qui, dans cet univers, fait, je crois, office d’hyperespace. Mais les lanternes étaient autrefois des humains, et parfois, elles doivent faire de nouvelles recrues. The Want Machine est une petite fable sur une machine qui a la capacité de détruire les désirs humains qui empêchent de trouver le bonheur... Évidemment, l'esprit humain n'est pas aussi simple. Water for Lunch est sans doute la nouvelle la plus faible. Elle n'est pas activement mauvaise, mais c'est une dystopie on ne peut plus convenue, avec tous les clichés du genre, et une morale du type "les réseaux sociaux c'est pas bien ça coupe du réel". The Girl and the Pit relève le niveau et explore habilement, malgré une fin bizarre, l'hypothèse de la civilisation extraterrestre cachée. Pour vivre heureux, vivez cachés ! Et réfrénez les ambitions. Be Awake, Be Good est un gros morceau, et un un morceau de qualité. On a presque l'impression de lire un texte de la Culture de Iain Banks. Deux factions avancées aux projets opposés se livrent bataille sur une planète plus arriérée, avec en fond une humanité qui s’éteint doucement pour laisser la place aux étoiles conscientes, dont les projets sont potentiellement inquiétants. La construction non chronologique fonctionne bien et c'est riche en bonnes idées. Je regrette une facilité : l’enjeu est d’influencer l'intelligence d'une nouvelle étoile consciente, et de la façon dont c'est raconté, on a l'impression qu'il suffit de lui dire "be good"... Néanmoins, de la très bonne SF. The Caretaker se la joue encore une fois fable morale sur fond de voyage temporel. Pas mal, mais le twist est un peu gros. Lullaby for the Empire conclut efficacement sur le crépuscule de l'humanité, qui laisse la place à ses créations plus intelligentes qu'elle, créations qui elles-mêmes sont sur le point de façonner ce qui leur sera supérieur.
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