Après avoir été positivement surpris par Casino Royale, j’étais curieux de voir comment Fleming allait faire évoluer James Bond. Or, comme je m’y attendais, dans ce deuxième tome qu'est Live and Let Die (1954) c’est la pleine plongée dans le formulique consensuel. Bond a une nouvelle mission, il voyage en Amérique et en Jamaïque, il y a de l’action et une jolie fille qui lui tombe tout naturellement dans les bras et, une fois qu’il a éliminé le méchant et ses sbires, il est libre de passer du bon temps avec elle. Fin.
Cependant, grâce à l’indéniable talent d’écrivain pulp de Fleming, le résultat est un peu meilleur que ce que laisse supposer mon petit résumé. Le méchant, Mr Big, est efficace : d’une intelligence diabolique, il est à la tête d’une vaste organisation criminelle, basée à Harlem, qui repose son autorité sur le vaudou. C’est l’occasion pour Bond de découvrir la population noire et sa culture à une époque où les communautés restaient sans doute encore plus séparées qu’aujourd’hui. J’ai lu, comme on peut s’y attendre, des accusations de racisme contre ce livre, mais elles me semblent globalement déplacées. Pour résumer la question, la conclusion de Bond sur les noirs après une exploration d’Harlem : « Seems they’re interested in much the same things as everyone else — sex, having fun, and keeping up with the Jones’s. » Eh oui, après une prudente enquête, Bond découvre avec étonnement que les noirs sont des gens comme les autres ! Et Mr Big, métisse, évoque l’émancipation noire et se défend d’être le premier grand criminel noir, ce qui, d’une certaine façon, est émancipateur… J’aimerais pouvoir dire que le traitement du principal personnage féminin est aussi nuancé, mais non, c’est un clair retour en arrière après la Vesper de Casino Royale : celle-là devient rapidement une simple demoiselle en détresse, prix de la victoire pour Bond, et elle songe essentiellement à son maquillage. J’apprécie cependant qu’elle semble utiliser Bond à ses propres fins, c’est-à-dire échapper à Mr Big, et, même si c’est peut-être aller trop loin, j’aime imaginer qu’elle manipule Bond dans ce but pendant tout le roman. Bond n’est certainement pas difficile à manipuler quand on est une charmante jeune femme !
Cliché narratif utilisé deux fois ici : la capture de Bond par le méchant. C’est le meilleur moyen pour l’auteur de mettre face à face ses deux personnages principaux, les deux forces opposées qui structurent le roman. Et ça fonctionne : malgré leur caractère convenu, ces confrontations sont peut-être les meilleures parties du roman. Dommage que le personnage de Bond soit loin d’être aussi intéressant que dans Casino Royale : il n’est pas invincible physiquement, et il va jusqu’à lâcher une larme d’émotion, mais il a perdu en densité. L’exploration de son caractère et de ses failles n’est plus du tout la priorité. Place à de l’aventure classique. Donc, pour de l’aventure classique, ce n’est pas trop mal. Je pourrais me laisser aller à lire le troisième tome, Moonraker, mais je crains que Casino Royale soit clairement l’apogée de la série.
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