Un mélange de biologie
de l'évolution et de psychologie cognitive qui explore l’aspect
social de l'évolution humaine. La principale thèse de l'auteur,
c'est la sélection à niveaux multiples. C'est à dire que
l'évolution humaine serait due à un mélange entre la sélection
individuelle, la plus connue, et la sélection de groupe. Une autre
notion qui revient en permanence, c'est l'eusocialité, qui définit
l'humanité et quelques autres animaux sociaux (fourmis,
abeilles...). Pour se développer, l'eusocialité a besoin d'un
groupe qui protège un nid en coopérant. Elle se réalise quand
« les membres d'un groupe appartiennent
à plus d'une génération et divisent le travail d'une façon qui
sacrifie au moins une partie de leurs intérêts personnels à
l'intérêt du groupe. » (p.184) L'auteur passe aussi pas mal
de temps à parler des fourmis, qui sont à mes yeux nettement moins
passionnantes que les humains. Ci-dessous, un petit relevé des
éléments les plus marquants du livre.
En revenant
au début du labyrinthe de l'évolution, Wilson rappelle les
« préadaptations » (caractéristiques qui permettront à l'espèce qui les possède de se développer)
extrêmement improbables qui ont permises à l'humanité de prendre
les bons virages dans le labyrinthe et de devenir ce qu'elle est :
- L'existence sur la terre ferme. En effet, pas de feu, de soufflet ou de forge sous l'eau.
- La grande taille du corps. Seule une infime partie des organismes terrestres font notre taille ou plus. Et pour les organismes trop petits, il n'est pas possible d'avoir un cerveau suffisamment grand ni d'allumer et maîtriser un feu.
- Les mains préhensiles. C'est la particularité des primates, et sans doigts souples (ou tentacules), il n'est pas possible de fabriquer ou d'utiliser des outils complexes.
- La position debout qui permet de libérer les mains, qui peuvent du coup servir à manipuler des objets avec adresse.
- L'adaptation à un régime alimentaire incluant de la viande, très dense en calories.
- La coopération, notamment dans la chasse, qui permet la formation de groupes organisés.
- La maîtrise du feu, pour la cuisson, la chasse et bien d'autres choses.
- Le feu permet une certaine sédentarité, et autour des ces « nids » a pu se développer l'eusocialité.
- La division du travail.
L'auteur
consacre un chapitre particulièrement intéressant au tribalisme
comme trait humain fondamental (pages 81 et suivantes). « Les
gens ont besoin d'appartenir à une tribu. Ils reçoivent d'elle un
nom qui s’ajoute au leur et une raison d'être sociale dans un
univers chaotique. L'environnement devient par là moins déroutant
et moins dangereux. » « De nos jours, à travers le
monde, échaudés par la guerre dont ils redoutent les conséquences,
les gens se sont tournés de plus en plus vers son équivalent
moral : les sports d'équipes. Leur soif d'appartenir à un
groupe gagnant peut-être comblée par la victoire de leurs guerriers
au terme des affrontements qui ont lieu sur ces champs de bataille
ritualisés. » « Le besoin élémentaire de former des
groupes et de prendre grand plaisir à appartenir à un groupe se
traduit facilement à un plus haut niveau dans le tribalisme. Les
gens ont tendances à être ethnocentriques. » « Quand,
au cours d'expériences, on a furtivement montré à des Américains
blancs et à des Américains noirs des photos de l'autre race, leur
amygdale, centre de la peur et de la colère, s'est activée si vite
et si imperceptiblement que cette réaction a échappé aux centres
conscients de leurs cerveaux. Les sujets, en effet, n'y pouvaient
rien. Quand, au contraire, on a jouté un élément pertinent – par
exemple le Noir était un médecin et le Blanc, son patient –, les
autres sites du cerveau intégrés dans les centres supérieurs de
l'apprentissage, le cortex cingulaire préférentiel dorso-latéral,
se sont activés en réduisant l’amygdale au silence. Ainsi, le
grégarisme est le fruit de l'évolution de parties différentes du cerveau par
sélection de groupe. Celles-ci entrent en jeu dans la tendance innée
à dévaloriser ceux d'autres groupes ou au contraire à refréner
ses effets autonomes immédiats. »
La suite
logique à explorer après le tribalisme, c'est la guerre. « La
meilleur façon d'obtenir le soutien du public est de faire appel aux
passions que suscite la lutte à mort, et l'amygdale en est le grand
ordonnateur. »
Wilson
explore souvent la frontière entre le génétique et le culturel.
Par exemple, on sait que la consanguinité n'offre pas de bonnes
perspectives d'avenir, et il semble que cet instinct soit implanté
génétiquement en nous, pas seulement culturellement. Dans ce cas,
c'est « la coexistence étroite dans les trente premiers mois
de la vie d'un des partenaires ou des deux » (p.259) qui
éveille chez l'individu l'instinct qui l’empêche de considérer
autrui comme un partenaire reproductif.
Dans des
expériences, des humains de deux ans et demi semblent avoir les
mêmes compétences que des chimpanzés pour résoudre des problèmes
physiques et spatiaux. Pas contre, les enfants dominent très
largement les singes dans les tests sociaux. Il semble donc que « les
humains réussissent non pas parce qu'ils possèdent une intelligence
supérieure qui trouve la solution à tous les défis, mais parce
qu'ils sont de naissance des spécialistes ès compétences sociales.
En coopérant par la communication et la lecture d'intention, les
groupes font beaucoup mieux que les efforts de n'importe quel
solitaire. » (p.290)
Une théorie
particulièrement centrale et marquante de Wilson est la façon dont
il utilise la sélection à niveaux multiples pour explorer la
moralité humaine. « La sélection individuelle résulte de la
compétition pour la survie et la reproduction entre les membres du
même groupe. Elle façonne dans chacun des instincts
fondamentalement égotistes, tant par des conflits directs que par
des différences de compétences destinées à l'exploitation de
l’environnent. La sélection de groupe façonne des instincts qui
tendent à rendre les individus altruistes les uns envers les autres
(mais pas envers les membres d'autres groupes). La sélection
individuelle est responsables en grande partie de ce que l'on appelle
péché, alors que la sélection de groupe l'est pour l'essentiel de
la vertu. » (p.310) Mais pas forcément la vertu envers les autres
groupes, je précise. Wilson continue sur le sujet : « il
existe une règle impérative dans l'évolution sociale génétique :
les individus égoïstes l'emportent sur les individus altruistes,
alors que les groupes d'altruistes l'emportent sur les groupes
d’égoïstes. La victoire ne peut jamais être totale, car
l'équilibre des pressions de sélection ne va à aucun des deux
extrêmes. » (p.354) On peut deviner les tensions qui résultent
de ces deux forces, et Wilson ne manque pas d'y venir : « Il
est inévitable que ces forces antagonistes de sélection à niveaux
multiples provoquent dans l'esprit de l'être humain une distorsion
permanente, qui s'expriment par d'innombrables scénarios à la
faveur desquels les individus se lient, s'associent, se trahissent,
partagent, se sacrifient, se volent, trompent, se rachètent,
punissent, supplient et se prononcent. La lutte endémique qui se
livre dans le cerveau de chacun et qui se reflète dans l'immense
superstructure de l'évolution culturelle constituent la matière
première des sciences humaines. Un Shakespeare dans le monde des
fourmis, qui ignorent la lutte entre l’honneur et la trahison et
que leurs instincts limitent à une minuscule palette de sentiments,
ne pourrait écrire que deux tragédies, l'une célébrant une
victoire et l'autre déplorant une défaite. En revanche, l'homme de
la rue peut inventer une variété illimitée d'histoires de ce genre
et composer une symphonie sans fin où les états d'âmes se modulent
sur des registres inépuisables. » (p.349) Ainsi l'art peut
aussi s'expliquer par cette théorie évolutionnaire.
Wilson
parsème tout son livre, et particulièrement la fin, d'une
réfutation rationnelle des religions. Je ne me suis pas attardé sur
le sujet car même si c'est fort bien amené, je n'ai vraiment pas
besoin d'être convaincu. Wilson conclut, sans le citer explicitement, sur le paradoxe de Fermi, qui décidément se retrouve
partout. Son opinion est que l'humanité ne quittera sans doute
jamais la Terre, que de toutes façons ça ne servirait pas à grand
chose et que c'est au contraire un espoir dangereux car il peut
servir d'excuse pour la destruction sans complexe de notre biosphère.
378 pages,
2012, flammarion
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