mardi 28 février 2017
Léon l'Africain - Amin Maalouf
Un roman historique qui prend la forme d'une autobiographie. Quarante chapitres pour quarante années de la vie de Léon l'Africain, entre autres noms. Un homme qui a eu une vie plutôt dense. Né à Grenade vers 1488, puis habitant à Fès, au Caire, marchant et explorateur de l’Afrique, puis capturé pour se retrouver au service des papes à Rome, le tout entre deux intrigues amoureuses, il y avait en effet de quoi faire un roman. Mais faire tenir une année en un chapitre, c'est un exercice périlleux. Ainsi il m'est arrivé d’être un peu étonné de voir les personnages apparaitre et disparaitre à un rythme parfois alarmant. On a aussi l'impression d'assister à une visite guidée. Léon est toujours là où il se passe quelque chose, il arrive a tout endroit juste à temps pour un événement historique, mais bon, je suppose que c'est un peu le but de ce genre de bouquin. Autre regret, c'est qu'en devant courir après la vaste destinée de son personnage, Maalouf néglige un peu sa psychologie. J'ai passé avec lui 500 pages et 40 années de sa vie, mais je n'ai pas vraiment l'impression de connaitre son esprit. Par exemple, à son arrivée forcée à Rome il fait preuve d'une résignation toute religieuse et d'une saine curiosité. Mais pourquoi n'est-il pas au moins un peu torturé à l'idée de devoir servir des blancs chrétiens, dont les pairs ont durant toute sa vie été en guerre contre les siens, et ont même conquis sa ville natale ?
Mais si l'on accepte ce roman pour ce qu'il est, que l'on prend Léon l'Africain comme une visite guidée à travers une époque et une culture, alors là, vraiment, bien joué. C'est un beau voyage exotique et instructif, servi par une écriture claire et élégante. J'ai vraiment eu l'impression d'explorer un monde dont je ne connaissais pas grand chose, en compagnie d'un conteur de talent. Comme une longue histoire qu'on raconterait au coin du feu, sur d'anciens royaumes splendides et terribles, dans lesquels le sang coule à flot jusqu'à l’écœurement. Et nous guidant à travers cette vérité historique difficile à discerner du mythe, un aventurier, un véritable aventurier à l'ancienne qui, avec son cheval, sa copine du moment et quelques pièces d'or, se ballade joyeusement, goutant le souffle de la découverte.
500 pages, 1986, le livre de poche
lundi 27 février 2017
Visions d'un réel plus vaste (Rosny Ainé, Maurice Renard)
Juste un papier écrit pour la fac qui, je crois, n'est pas trop
mauvais, du coup je le stocke ici avant qu'il ne disparaisse quand mon
pc rendra l’âme sans prévenir. Hop.
En
France, à la fin du XIXe siècle, la littérature que l'on peut nommer
anticipation scientifique est dominée principalement par Jules
Verne. Pour concevoir ses romans, Verne imagine des progrès
scientifiques plausibles. Que ce soit le Nautilus de Vingt mille
lieux sous les mers ou le canon géant de De la Terre à la
Lune, ces inventions s'appuient sur des techniques connues et
maîtrisées à l'époque. Les submersibles et les canons existent
depuis de nombreuses années, ceux de Verne sont plus gros et plus
efficaces, recèlent quelques particularités étonnantes, mais
restent des objets familiers obéissant à des lois physiques
connues.
Ce
genre de vision place l'homme au centre de la création. L'homme
semble pouvoir observer, comprendre et maîtriser la nature qui
l'entoure. Cependant, pour observer son environnement, l'homme ne peut utiliser que les
sens avec lesquels il est né. Et si, au delà de ces sens, se
cachait toute une portion de la réalité qu'il nous est impossible
de percevoir ? Peut-être même que cette portion inaccessible
constitue la majorité de la réalité, et que ce qui s’offre à
nos regards n'en est qu'un fragment. Pour soulever le voile, on peut
compter sur une opportunité offerte aléatoirement par la nature, ou
sur le progrès technique. Rosny Ainé et Maurice Renard explorent
chacun l'une de ces options, avec des résultats fort semblables.
En
1895, Rosny Ainé publie Un autre monde. Le personnage
principal de cette nouvelle a dès sa naissance de nombreuses
particularités: sa teinte de de peau est violet pâle, ses yeux sont
étrangement opaques … Et depuis sa plus tendre enfance, sa
nourriture principale est l'alcool. Mais l’élément clé concerne
sa vision. Narrant sa jeunesse et sa familiarisation avec ses sens,
il explique qu'il peut « regarder le soleil sans en paraître
incommodé1 »,
que des matières transparentes pour nous, comme le verre et l'eau,
sont pour lui très troublées, ou encore qu'il ne voit pas certaines
couleurs communes mais perçoit entre le rouge et le violet « des
couleurs qui ne sont que nuit pour les hommes normaux 2».
On comprend donc que cet homme est né différent, probablement sans
raison particulière, par simple hasard de la nature. Et ses
perceptions dépassent de loin celles de l’être humain classique :
Le monde autrement coloré, le monde autrement transparent et opaque
– la faculté de voir à travers les nuages, d'apercevoir les
étoiles par les nuits les plus couvertes, de discerner à travers
une cloison de bois ce qui se passe dans une chambre voisine ou à
l'extérieur d'une habitation – ,qu'est tout cela, auprès de la
perception d'un MONDE VIVANT, d'un monde d’Êtres
animés se mouvant à coté et autour de l'homme, sans que l'homme en
ait conscience, sans qu'il en soit averti par aucune sorte de contact
immédiat ? Qu'est tout cela, auprès de la révélation qu'il
existe sur cette terre une autre faune que notre faune, et une faune
sans ressemblance, ni de forme, ni d'organisation, ni de mœurs, ni
de mode de naissance, de croissance et de mort, avec la notre ?3
Pour
mieux cerner ces créatures qui font l'objet de nombreuses
descriptions, il faut comprendre qu'elles sont « intangibles4 ».
Elles évoluent sur le même sol que nous, et si certaines matières
artificielles sont pour elles infranchissables, elles passent à
travers toute matière vivante, homme ou arbre, comme si de rien
n'était.
On
comprend facilement la différence radicale avec Jules Verne.
Descendant jusqu'au centre de la Terre, les aventuriers de Verne
découvrent des espèces certes fort anciennes, mais tout à fait
connues et ayant un mode vie aisément compréhensible. Rosny place
les Moedigen (nom que donne le narrateur à ces créatures) dans
notre proximité immédiate, et leur donne des caractéristiques tout
à fait étrangères. Pour le narrateur, un tel don est une plaie. A
qui communiquer de telles merveilles, qui ne le croirait pas fou ?
Habitant à la campagne, son adolescence s'écoule dans une solitude
morose, mais son esprit s'éveille. Et un beau jour, la décision est
prise : il faut aller en ville trouver un homme de science,
aussi bien pour assouvir un désir d'épanouissement que par volonté
de partager de précieuses connaissances. Après une arrivée
mouvementée à Amsterdam et une visite à l’hôpital, le mentor
tant espéré se présente opportunément en la présence du docteur
Van den Heuvel, « grand front chauve, regard puissant
d'analyste5 ».
C'est
une délivrance. Le monde de la science semble parfaitement opposé à
l'univers dans lequel le narrateur a grandit. Entouré de gens à
l'esprit pratique et à l'éducation limitée, il était vu comme un
handicapé, incapable à cause de sa constitution de réussir dans le
monde du travail. Or, en compagnie du docteur, ces soucis
disparaissent. Il n'est plus question de travailler, le docteur
« étant fort riche, et tout à la science6 ».
Arrive
le moment délicat : comment annoncer à un homme rationnel que
vit autour de lui tout un règne animal inconnu qu'il ne peut
percevoir ? Le narrateur joue la prudence. Il gagne la confiance
du docteur en lui faisant tout d'abord étudier sa constitution
particulière. Ce n'est qu'un an plus tard que la révélation peut
avoir lieu :
Je vis le docteur devenir pâle de la pâleur des grands savants
devant une nouvelle attitude de la matière. Ses mains tremblaient.
–
Je vous croirai ! dit-il avec une certaine solennité.
–
Même si je prétend que notre création, je veux dire notre monde
animal et végétal, n'est pas l'unique vie de la terre... qu'il en
est une autre, aussi vaste, aussi multiple, aussi variée...
invisible pour vos yeux ?
Il
soupçonna de l'occultisme et ne put s’empêcher de dire :
–
Le monde du quatrième état... les âmes, les fantômes des
spirites.
–
Non, non, rien de semblable. Un monde de vivants condamnés comme
nous à une vie brève, à des besoins organiques, à la naissance,
à la croissance, à la lutte …7
Pour
le scientifique, c'est le choc. La conversation est assez longue, le
docteur posant calmement de nombreuses questions, tentant de démêler
le vrai du faux. Puis, convaincu, il se laisse aller à l'émotion.
Il indique qu'il se sent « accablé », que tout
cela semble « désespérément lucide8 ».
Le choix des termes est important : ils ne dénotent pas de la
joie ou même de la curiosité face à la révélation, mais la
difficulté d'accepter de remettre en cause tout un système de
pensée et de savoirs durement construit par une vie de travail.
Impossible de classifier ces êtres dans des catégories connues,
toutes les constructions de la science s’effondrent. Comme le dit
le narrateur, « leurs propriétés sont trop contradictoires
pour l'idée que nous nous faisons de la matière9 ».
En
tant qu'homme de science idéal, le docteur parvient à mettre de
coté ses préjugés. La vérité viendra de l'expérimentation. Mais
bien entendu, le monde n'est pas prêt pour de telles révélations :
non seulement personne d'autre ne peut voir cet autre monde,
mais qui voudrait le voir ?
On
l'a dit, dans la nouvelle de Rosny Ainé, la découverte de ce monde
« parallèle » est due à un hasard de la nature, et
Maurice Renard s'en inspirera en 1921 dans le court roman L'homme
truqué. Renard revendique clairement sa source d'inspiration,
puisque dans une note, la seule du roman, il conseille au lecteur de
« lire à ce propos l'admirable nouvelle de J.-H Rosny.
intitulée: Un autre monde10 ».
Dans
ce récit, Jean, un jeune homme présumé mort pendant la Grande
Guerre, fait un retour surprenant dans la petite ville de Belvoux.
Jean, blessé par un obus dans l'enfer des combats, est devenu
aveugle. Avant de risquer de choquer sa mère par sa réapparition
soudaine, il préfère se présenter au docteur Bare, qui jouera le
rôle du scientifique ouvert d'esprit tentant de percer les mystères
qui s'offrent à lui, à l’instar du docteur Van den Heuvel chez
Rosny. Et la première chose que le bon docteur remarque, ce sont
sont les yeux de Jean. Des yeux artificiels, « des yeux de
statues11 ».
De simples prothèses, selon le jeune homme. Mais face à la sagacité
du bon docteur qui remarque que Jean a une vue étonnamment fine pour
un aveugle, celui-ci finit par révéler à contrecœur la vérité.
Une fois blessé et aveugle, il semble que Jean se soit fait vendre
comme cobaye à un groupe de savants. Enfermé dans une maison isolée
en Europe de l'est, il rencontre un autre scientifique :
Prosope. Prosope n'est pas un bon docteur comme Bare, c'est plutôt
la figure du savant fou, ou du moins du savant de génie prêt à
tout pour faire avancer la science mais aveugle aux émotions
humaines, sauf si elles peuvent être utiles pour manipuler un
cobaye. Il explique son projet à Jean, retenu contre son gré,
pendant de longues tirades passionnées :
Vous savez, [Jean], que l’œil est relié au cerveau par le nerf
optique, lequel transmet au cerveau les impressions lumineuses que
l’œil à perçues. Vous savez, d'autre part, que le nerf optique
ne peut envoyer au cerveau que des impressions lumineuses, et
point d'autres. Pincez-le, ce n'est pas une douleur qui en résulte,
mais la sensation d'une clarté. […] Mais si, à la place de l’œil,
j’installe un autre organe, et que je mette cet organe en
communication avec le nerf optique ; si, par exemple, je
remplace votre œil par un appareil auditif, ou, ce qui revient au
même, relie votre oreille au nerf optique, au lieu de la laisser en
rapport avec le nerf auditif, qu'arrivera-t-il ? Ceci :
votre oreille continuera à enregistrer les sons, mais ces sons, vous
les percevrez sous une forme lumineuse, puisque c'est là le seul
langage que le nerf optique sache parler. Vous verrez les sons.
[…] Vous n'ignorez pas que les
cinq sens de l'homme ne sauraient prétendre à lui donner la
perception totale de la matière en ses états différents. Cinq
sens ! Il en faudrait cent, peut-être mille, pour prendre
connaissance de tout ce qui existe ! […] J'ai remplacé vos
yeux par des façons d’électroscopes très perfectionnés. Ils
perçoivent du monde l'aspect électrique ; ils n'en perçoivent
pas d'autre, et, naturellement, votre nerf optique vous traduit cet
aspect sous forme de luminosités.12
Voici
donc le secret de Jean : il voit l’électricité. Première
différence notable avec le personnage de Rosny : Jean,
contrairement à son homologue, refuse d’être étudié, il
n'aspire qu'à la paix et à l'oubli. Il n'est pas né avec ce don,
et pour lui ce n'est pas une « véritable vue », c'en est
une pâle imitation. Jean n'est pas un scientifique, et après avoir
utilisé la capacité offerte par Prosope pour fuir sa captivité,
créant ainsi une savoureuse ironie du sort, il tentera à tout prix
de la cacher. Jean est ainsi le représentant du peuple, qui n'est
pas prêt ou n'a juste aucune envie de soulever les voiles de la
réalité. Ce n'est que sous l'insistance du docteur Bare qu'il
donnera les clés de sa perception. Commençons par laisser la parole
à Jean :
Imaginez une forme humaine constituée par l’enchevêtrement d'une
quantités de fils plus ou moins gros – une sorte de résille
incandescente, brûlant d'un feu violet, et reproduisant, par ses
entrelacs et ses ramifications aériennes, l'apparence légère et
anatomique de nos semblables. On aurait dit un homme construit comme
une racine d'arbre lumineuse, un homme branchu, dont le cerveau
faisait dans ma nuit un bloc de lumière duveteuse et dont la moelle
épinière s'allongeait, luminescente, comme un tube de Geissler en
activité13.
Ce
que Jean décrit ici, c'est tout simplement un homme, dont il ne voit
que le système nerveux, ou plus précisément l'électricité
circulant dans le système nerveux. On obtient des descriptions qui
ressemblent à des apparitions fantastiques tout en étant de la pure
observation scientifique. On pense notamment à la radiographie,
invention encore récente à l'époque, qui produit des effets
semblables et fait une apparition dans le roman quand Bare veut
utiliser ce dispositif de vision artificielle pour percer les secrets
des yeux artificiels de Jean, créant une intéressante mise en abîme
où la technique sert à observer la technique.
Maurice
Renard ne manque pas d'idées pour mettre en valeur les possibilités
étonnantes d'une telle variation des sens humains. Par exemple, il
n'y a pas moins d'électricité la nuit que le jour : Jean peut
donc voir dans l'obscurité la plus noire aussi bien qu'a midi. Et le
brouillard, qui pour le commun des mortels réduit grandement la
portée du regard, est pour lui un magnifique amplificateur de
vision. En effet, l'humidité ambiante transmet mieux l’électricité
qui parvient plus facilement jusqu'à ses yeux artificiels. La
plupart des parois sont pour lui translucides, sauf celles qui sont
isolantes, comme le verre. On pourrait croire que la Terre serait un
isolant efficace, mais cela n’empêche pas Jean de percevoir très
loin sous ses pieds le pôle magnétique de la planète, ainsi que
ses divers champs magnétiques.
Le
docteur Bare tente d'utiliser ces capacités à des fins altruistes
en leur trouvant des applications médicales. En observant le système
nerveux de malades, il semble possible de localiser et de comprendre
leur mal, et ainsi de les guérir. Mais quand Bare essaie de
percevoir par ces moyens « les fonctionnements de l'âme14 »,
il se heurte à l'échec… Au lecteur de se faire une faire une idée
sur les raisons de cet échec, que l'âme soit trop subtile pour tous
les sens humains, même augmentés par la science, ou qu'elle ne soit
rien de plus qu'un concept abstrait.
Toutes
ces merveilles ouvrent des possibilités scientifiques immenses, mais
n'offrent globalement que des occasions d'approfondir des aspects
déjà connus du fonctionnement de l'univers et de l'Homme. La
véritable découverte, qui forme le lien le plus étroit avec la
nouvelle de Rosny, est esquissée de façon si rapide qu'il est aisé
pour qui n'est pas particulièrement sensibilisé au sujet de passer
à coté. Comme pour le personnage de Rosny, les nouveaux sens de
Jean gagnent en acuité avec le temps. Et c'est sur son lit de mort
qu'il fera les observations les plus marquantes:
Autant que j'aie pu le comprendre, la première apparition avait
affecté pour Jean Lebris la forme d'un disque de brouillard violet,
animé d'un frémissement rotatoire. Ce disque traversa la chambre,
s'éloigna en perçant le plafond, et disparu. Mais, chaque jour, de
plus en plus distincts, d'autres disques vibrants se montrèrent au
moribond. […] Ce n'étaient plus des disques, mais des globes
légers, contenant une circulation vertigineuse. […] Une fois, il
m'avertit qu'un de ces globes s'était attaché à mon cerveau, et je
reconnais qu'alors je souffrais d'un mal de tête des plus pénibles.
Était-ce une coïncidence ? […] Qui prouve que l’accoutumance
des appareils fabriqués par Prosope n'a pas permis à Jean Lebris de
distinguer plus avant, et de découvrir un monde clandestin, un
peuple exclusivement formé d'électricité, constitué par un fluide
si subtil que nos détecteurs les plus impressionnables n'en sont pas
influencés ? Un homme, enfin, a-t-il pu entrevoir une des ces
races invisibles dont il est philosophique de dire qu'elles nous
environnent ? Et cette race use-t-elle à son gré de
l'humanité, sans que l'humanité s'en doute ? Lui devons nous
parfois la maladie, la démence, la mort ?... Je ne puis
résoudre la question, n'ayant pu savoir à quels moments Jean Lebris
délirait, à quels moment il ne délirait pas.15
L'hypothèse
d'un monde parallèle au nôtre est évoquée brièvement mais avec
force. Tout d'abord, cette révélation, si elle n'en constitue pas
la conclusion, intervient vers la la fin du roman. Le lecteur a
appris à se fier aux observations de Jean, et même si est évoquée
l’hypothèse du délire, jamais ses perceptions n'en paru
défaillantes auparavant. Il est donc tentant de lui faire confiance
cette fois aussi, mais quoi qu'il en soit, le concept est plus
important que sa potentielle réalité dans la fiction. Jean perçoit
donc ce qui semble être des formes de vies électriques, et le
narrateur emploie les termes sans ambiguïté de « peuple »
et de « race ».
Ce
peuple supposé, comme les Moedigen de Rosny, est pour nous
immatériel et invisible, mais le narrateur formule des hypothèses
assez inquiétantes. L'épisode du mal de tête potentiellement causé
par l'une de ces créatures suggère des interactions entre eux et
nous, interactions qui semblent à notre désavantage, comme s'ils se
nourrissaient de l’électricité circulant dans le corps humain.
Puis le docteur Bare, avec ces nouveaux éléments en main, se pose
l'éternelle question de la liberté de l'humanité. En quelque
lignes, on imagine une race humaine réduite à l'état de cheptel
par des êtres supérieurs sans que celle-ci ne n'en perçoive rien,
la faute à ses ses sens limités.
Au
delà de ces idées qui ne sont peut-être que pur fantasme,
l'efficacité des yeux de Jean pour ce qui est de l'augmentation des
sens humains semble incontestable. Et pourtant, pour le visionnaire
Prosope, figure du progrès sans limitations ni morale, ce n'est
qu'un petit pas en avant destiné à paver la voie vers de plus
grandes avancées :
Un jour, peut-être nos successeurs parviendront-ils à créer l’œil
complet, l’œil que les vibrations les plus lentes et les plus
précipitées pourront impressionner, l’œil qui verra les rayons
infra-rouge comme les rayons ultra-violets, la chaleur comme
l’électricité – l’œil enfin qui donnera du monde la vision
intégrale. Et alors il n'y aura plus lieu de distinguer la lumière
visible et la lumière invisible. Il n'y aura plus que LA
LUMIERE. Quelle beauté !16
On
perçoit donc l'évolution des idées sur la science depuis Jules
Verne. Celui-ci utilise avec inventivité toutes les techniques de
son époque, mais sans en inventer, plaçant l’être humain en
position de contrôle. Rosny Ainé, lui, évoque une science nouvelle
et inconnue, à priori imperceptible et incompréhensible. La place
de l'homme dans le monde change, car s'il est incapable de percevoir
tout un règne vivant à ses cotés, qui sait toutes les autres
choses qui lui échappent ? Puis Maurice Renard met en scène
dans son récit un dispositif créé par l'intelligence humaine et
permettant de jeter un regard vers ce qui était jusqu'à présent
invisible. Ainsi l'humanité semble capable de se frayer un chemin
dans les mystères de la nature, et c'est en commençant par accepter
le fait que ses perceptions sont limitées qu'elle peut chercher à
les développer. Paul Valery, dans ses Regards sur le monde
moderne, utilise la
métaphore de l'enfant pour évoquer ce phénomène. L'humanité est
comme un nouveau né dont l’œil « s'ouvre d'abord dans un
chaos de lumière et d'ombres, tourne et s'oriente à chaque instant
dans un groupe d'inégalités lumineuses », puis, à force
d'essais et de tâtonnements, « les forces de l'enfant
s'accroissent et le réel se construit comme une figure
d'équilibre17 ».
Assez modestes pour reconnaître que notre construction commune du
réel est certainement encore celle d'un enfant, Rosny Ainé et
Maurice Renard nous invitent à en avoir conscience tout en tentant
de voir plus loin, ne serai-ce qu'en littérature, pour commencer.
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samedi 25 février 2017
Récits apocryphes - Karel Čapek
Une trentaine de courts récits écrits entre 1920 et 1938 qui réinventent l'histoire et les mythes, de la préhistoire à Napoléon. Parmi les diverses époques explorées par Čapek, j'ai été particulièrement sensible à l'antiquité et aux balbutiements du christianisme, et un peu moins aux réécritures shakespeariennes. Mais quoi qu'il en soit, l'ensemble est remarquable. La plupart des récits prennent la forme de dialogues, et Čapek met en avant l'humain et sa parole. Souvent on est face à des personnages connus, mais d'autres fois ce sont d'illustres inconnus qui commentent leur époque. Et c'est pour le mieux, ces visions apocryphes sont délicieusement drôles. Par exemple, autour de Troie, les soldats se plaignent de « ce gandin d'Achille », « cette canaille d'Ulysse » et de ce « vague chanteur de foire, un dénommé Homère, ou je ne sais au juste comment s’appelle ce vagabond » qui « se laisse soudoyer avec quelques deniers pour chanter la gloire des plus grands traitres de la nation grecque ». Il est tentant d'évoquer chacun de ces petits récits tant ils ont pour la plupart leur propre force indépendante. Au-delà de l'humour terriblement efficace de Čapek et de sa maitrise de la langue, la façon dont il parvient à chaque fois en quelques pages à imposer une idée forte qui laisse à la fois troublé et souriant est impressionnante. En haut de cette édition on trouve le nom de la collection : classiques slaves. En effet, je veux bien croire que c'est un classique. Le genre de livre que l'on a envie de garder près de soi pour pouvoir en relire quelques pages régulièrement.
— Il n'existe pas de vérité mienne, dit Joseph d'Arimathie. Il n'est qu'une seule et unique vérité valable pour nous tous.201 pages, éditions l'age d'homme
— Et quelle est-elle ?
— Celle en laquelle je crois.
— Tu vois bien, prononça lentement Pilate. Cette vérité, ce n'est rien d'autre que la tienne. Vous êtes semblables à des enfants qui croient que le monde prend fin avec les limites de leur horizon, et qu'après il n'y a plus rien. Le monde est grand, Joseph, et beaucoup de choses y peuvent trouver place.
jeudi 23 février 2017
Amok / Angoisses - Stephan Zweig
Deux nouvelles de Zweig qui se distinguent par leur remarquable sens du suspense.
Amok nous emmène aux Indes, et avec un tel personnage principal, médecin croupissant dans un avant-poste isolé, on se croirait presque chez Conrad. Voilà qu'un beau jour il est visité par une femme qui cherche à avorter. Il est frappé par l'amok : une folie furieuse qui va le faire courir après cette femme comme un possédé. Il est sensible à la force de cette inconnue, à sa fierté, sa froideur métallique. Angoisses est aussi le parcours de quelqu'un qui court droit dans le mur : une femme mariée, de la bonne société, qui après une petite aventure se retrouve victime d'une maitre-chanteuse. Cette nouvelle est presque difficile à lire tant elle est chargée de tension : on assiste au ralenti à un naufrage, on a envie de hurler des conseils au protagoniste pour l'aider, mais rien n'y fait. Dans ces deux récits Zweig impressionne par son talent romanesque. Il y a la construction habile et la maitrise du suspense, mais aussi la force de ces personnages aux prises avec un univers qui n'a que faire de leurs besoins réels. Un médecin coincé dans un coin morbide, une femme qui cherche à avorter avant le retour de son mari, une autre qui tente de protéger son confort de bourgeoise... Ces deux personnages féminins sont poussés jusqu'à la mort par une morale publique implacable pour avoir osé être un peu libérés, ne serait-ce qu'un instant. Et dans les deux cas les hommes, bien qu'emplis d'une certaine bienveillance, s'y prennent comme des pieds pour leur venir en aide.
Remarquons que Folio, pour profiter autant que possible du filon Zweig en vendant ses nouvelles à l'unité, parvient presque à doubler le volume de ces éditions en ajoutant préface, chronologie et bibliographie.
Amok, 100 pages, 1922, folio
Angoisses, 108 pages, 1913, folio
mardi 21 février 2017
La fabrique d'absolu - Karel Čapek
La traduction par Jean Danès de La fabrique d'absolu n'est, je crois, pas très récente. Il me semble que traducteurs ne se permettent plus ce genre de chose depuis un moment : « Souhaitant éviter de décourager les lecteurs français, le traducteur a francisé le nom des personnages et a adapté le cadre du début en le transportant à Paris, "pensant que Capek aurait agi ainsi s'il s'était adressé directement au public français".» Mouais. Déjà, c'est prendre les lecteurs pour des imbéciles en partant du principe qu'ils seraient déstabilisés par un roman ne se passant pas en France. Ensuite, cela introduit le doute en permanence. On se demande régulièrement si ce que l'on lit a un quelconque rapport avec l’œuvre originale. Enfin, passons.
Les fabriques d'absolu, ce sont de nouveaux types de réacteurs qui ont la capacité d’annihiler l'intégralité de la matière. Conséquence : ils libèrent ainsi l’essence divine contenue dans toute chose. Et cette essence divine, cet Absolu, n'a pas l'intention de rester inactif. L'Absolu, c'est Dieu en version gazeuse. Les effets se font rapidement sentir : conversions en masse, illuminations, miracles... On pourrait penser que le monde n'est pas prêt pour une telle technologie, mais l'industriel Bondy est au-delà de ce genre de détail. Ce qu'il voit, ce sont des réacteurs extrêmement performants, et donc des bénéfices renversants. Les réacteurs envahissent donc le monde, et l'Absolu avec lui.
C'est l'occasion pour le futur auteur de La guerre des salamandres de multiplier les situations croustillantes :
Oui, j'ai essayé toues sortes d'isolants imaginables pour empêcher l'Absolu de sortir de la cave : les cendres, le sable, les blindages d'acier, rien n'est efficace. J'ai essayé d'entourer toute la cave avec les œuvres complètes d'Auguste Comte, de Spencer, d'Haeckel, et de toutes sortes de positivistes. Pense donc que l’Absolu traverse même cela !Alors que Dieu envahit le monde, la société humaine tremble sur ses fondations et Capek déploie tout son talent humoristique et satirique. Les religieux eux-mêmes ne sont guère enchantés de la venue d'un Dieu un peu trop réel, bien plus encombrant et difficile à gérer que celui, plus passif, dont ils avaient l'habitude. Petit à petit les hommes sombrent dans la fièvre de la piété, et si pendant un moment on peut imaginer un monde uni dans la bonté, la réalité se révèle toute autre :
– Je le dis pour la deuxième fois : décampez, ou bien, au nom du Seigneur, je démolis votre baraque.Eh oui ! Chacun s’approprie un petit morceau de la divinité et est persuadé de l'avoir toute entière. Dans la seconde partie du roman, c'est la guerre. La guerre totale. Capek a d'ailleurs un peu tendance à s'éparpiller. Si auparavant on restait vers Paris (donc Prague en version originale) avec quelques personnages récurrents, Capek passe ensuite à une échelle mondiale. Du coup, les chapitres n'ont que peu de liens entre eux et il est plus difficile de suivre et d’apprécier la situation. Malgré ce petit regret, La fabrique d'absolu n'est est pas moins une fable débordant d'intelligence et d'humour, une satire brillante des phénomènes religieux. Ceux-ci ayant tendance à ne guère changer au fil des époques, le roman de Capek possède une puissante dimension intemporelle.
– Et vous, dit Jean Binder, rentrez chez vous, ou bien, au nom du Seigneur, je vous casse la figure.
222 pages, 1922, éditions ibolya virag
mardi 14 février 2017
La Maison des feuilles - Daniel Z. Danielwski
Un livre peu commun.
Tout commence en prenant la chose en main. C'est massif. On l'ouvre, on feuillette. Sur les pages, parfois un mur de texte d'une rare densité, parfois trois lettres, parfois des notes de bas de page plus qu'envahissantes, parfois dix lignes écrites à l'envers dans un cadre bleu, entourées de morceaux de texte qui se baladent un peu partout. Bon. Au moins, ça attise la curiosité.
Ensuite, on commence à lire. Tout d'abord, il y a le récit central. Enfin, appeler ça récit, c'est peut-être aller un peu loin. Disons que c'est un faux essai sur un film (documentaire ?) fictif. Le film en question, le Navidson Record, est réalisé par le Navidson du titre. C'est l'exploration de la fameuse maison, qui est bien plus grande qu'elle n'en a l'air, mais aussi l'étude de sa relation avec sa femme, son frère et quelques autres. L'essai est parfois descriptif, se contentant de narrer le film, et parfois analytique. Dans ce cas il est agrémenté d'une multitude de citations et références, fictives pour la plupart. Entourant tout ça s'incruste le récit à la première personne de Johnny Errand. Johnny est un mec à la vie un peu bordélique qui tombe par hasard sur l'essai. La lecture de celui-ci le rend un peu dingue, et il raconte sa vie en introduction, conclusion et notes de bas de page. Ce personnage passe tellement de temps à nous expliquer à quel point ce livre est terrifiant qu'on a l'impression qu'il est juste là pour en convaincre le lecteur. A la fin du bouquin, il y a aussi tout un tas d'autres fragments plus ou moins rattachés à l'ensemble.
Bref, sur la forme, c'est original et créatif. Et si j'ai eu du mal à décrocher, cette forme y est pour beaucoup. Elle s'adapte bien sûr à ce qu'il se passe dans le récit, bien que souvent elle reste très obscure. Elle impacte fortement le rythme de lecture : neuf-cent mots sur une page et cinq sur une autre. Ces variations on un effet parfois troublant. Hypnotique, même.
Le récit lui même n'est pas dénué d’intérêt. Les passages d'exploration des couloirs et des recoins de la maison sont même assez remarquables. On se rapproche d'un certain type d'aventure teinté d'horreur plutôt rare. Une horreur métaphysique, celle de la confrontation avec le pur inconnu, l'incompréhensible total. Ensuite, les personnages et leurs relations sont aussi assez habilement maniés. Mais ce récit est tellement parasité par une multitude d'excroissances inutiles qu'on en vient à sauter des paragraphes entiers en souhaitant que, par pitié, l'auteur ait un peu de respect pour le temps libre de ses lecteurs. Il y a les passages délirants de Johnny, des dizaines de lignes incompréhensibles sans la moindre ponctuation. Il y a les interminables "analyses", ponctuées d'une infinités de citations toutes plus chiantes et ridicules les unes que les autres. Si le but est de parodier les textes universitaires, d'une certaine façon c'est réussi. Il y a ces notes de bas de page auxquelles on prend rapidement l'habitude ne plus jeter un œil. Il y a ces passages littéralement illisibles, de texte en miroir, de braille ou de listes infinies. Il y a ces annexes soporifiques, un gros tas de poèmes et de citations, et même un index de 25 pages.
Alors certes, ce livre ne serait pas ce qu'il est sans tous ces trucs qui débordent de partout. Il s'y cache un bon roman si l'on découpe la moitié, mais pas un génie suffisant pour justifier toute cette accumulation de matériau pénible. On a souvent une impression de tape-à-l’œil, de maitrise technique servant juste à impressionner. La sobriété, c'est bien aussi.
700 pages, 2000, denoel
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samedi 11 février 2017
Retour au meilleur des mondes - Aldous Huxley
Plus jeune, enthousiasmé par Le meilleur des mondes, j'étais tombé en librairie sur ce petit livre. J'ai cru que c'était un roman, et la quatrième de couverture est habillement ambiguë sur le sujet. La suite est facile à prévoir : déçu, m'attendant à totalement autre chose, je n'ai lu quelques pages avant de le poser dans un coin où il est resté pendant des années.
En fait, cet essai de 1958 examine la propagande et la manipulation des masses comme des individus par les structures de pouvoir. Chose étrange, Huxley donne dès les premières pages l'impression de ne même pas avoir relu son roman original avant de prendre sa plume (« J'ai oublié la date exacte des événements rapportés dans ma fable... »), ce qui ne l’empêche pas de le citer plus tard. Enfin, pourquoi pas. Il est fort intéressant de lire les inquiétudes d'Huxley concernant l'avenir. Une bonne partie de son argumentation tient compte de la surpopulation à venir, les difficultés qu'elle entrainerait encourageraient la montée des régimes totalitaire. Sans compter bien sur que les masses sont bien plus aisément manipulables que les individus, et qui dit surpopulation dit plus de masses. Huxley, contrairement à bien des auteurs de SF, est extremement septique quand à l'avenir spatial de l'humanité, qui permettrait de limiter la croissance démographique. A juste titre, comme l'histoire l'a démontré jusqu'à maintenant. Ses considérations sur la vie urbaine n'ont guère pris d'age :
La vie urbaine est anonyme et pour ainsi dire abstraite. Les êtres ont des rapports non pas en tant que personnalités totales, mais en tant que personnifications de structures économiques ou, quand il ne sont pas au travail, d'irresponsables à la recherche de distraction. Soumis à ce genre de vie, l'individu tend à se sentir seul et insignifiant ; son existence cesse d'avoir le moindre sens, la moindre importance.On croirait lire Houellebecq. Pour Huxley, l'homme n'est un animal que « modérément grégaire », et il s'inquiète des excès d'organisation qui tendent à aller contre cette nature. Il se souvient quand, pendant son enfance, les hommes portaient des haut-de-formes et prenaient des trains, regardant de haut les violences et les misères du monde, pour quelques années plus tard subir et commettre des atrocités lors de la Grande Guerre. Ainsi l'idée de progrès est bien légère, et ce genre de chose arrivera à nouveau. Pour Huxley, la propagande n'est ni bonne ni mauvaise : il y a la rationnelle et l’irrationnelle. Il décrit longuement les méthodes de propagande en démocratie, qui se mêlent intimement avec le marketing, et en dictature, qui peuvent prendre des formes bien plus radicales. Les exemples ne manquent pas et me font voir avec une nouvelle lumière la longue séance de torture de 1984, aussi bien du coté des techniques de torture et de suggestion mentale que du celui du pouvoir autoritaire et de sa recherche de l'uniformité. Cette exploration de la suggestibilité humaine est assez captivante. Huxley s'inspire par exemple de l’hypnose et des placebos pour démontrer la vulnérabilité de l'esprit aux illusions, et se demande quel impact cette suggestibilité a sur les notions de liberté et démocratie.
Quand il en vient aux pistes à explorer pour le futur, Huxley se montre d'un environnementalisme qui, s'il avait été appliqué à l'époque, nous arrangerait bien aujourd'hui :
Que faire ? De toute évidence, diminuer le plus vite possible la natalité jusqu'à un point où elle n'excède pas la mortalité. En même temps, il nous faut augmenter le plus vite possible la production de denrées alimentaires, instituer et mettre à exécution un plan mondial pour la conservation des sols et des forêts, créer pour nos combustibles actuels des produits de remplacement, si possible moins dangereux et moins vite épuisés que l’uranium...Huxley conseille aussi la décentralisation des pouvoirs : la démocratie ayant montré ses limites avec le régime nazi, il part du principe que de petits groupes autonomes sont bien moins vulnérables à la « dictature par référendum ». Huxley consacre également de longs passages à l'hypnopédie et à la suggestion subliminale, qui l'inquiétaient beaucoup. Il voyait par exemple les politiciens du futur s'en servir massivement. Que ses hypothèses se révèlent pertinentes aujourd'hui ou non, ce petit Retour au meilleur des mondes n'en est pas moins captivant. A lire pour qui s'intéresse à la manipulation des esprits.
154 pages, 1958, pocket
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mardi 7 février 2017
Le grand secret - Barjavel
Il y a pas mal d'années, j'avais découvert Barjavel avec Ravage et La nuit des temps. Il m'est resté en mémoire que je n'aime pas Barjavel, pas du tout. Dans mes souvenirs, il avait tendance à s'embourber dans quelques marécages idéologiques. Ayant trouvé Le grand secret dans une boite à livre (comme une bonne partie des mes lectures ces derniers temps d'ailleurs), je m'y replonge avec curiosité, pour voir si c'était juste une question d'age.
Il semble que non.
Commençons par le positif, parce que dans l'ensemble, je ne me suis pas forcé à lire Le grand secret. Le secret en question, c'est celui de l'immortalité. L'immortalité est réelle, et elle est contagieuse : les contaminés sont donc reclus sur une ile surprotégée pendant que quelques leaders mondiaux luttent dans l'ombre pour gérer le problème. J'ai bien aimé cette dimension géopolitique. Les intrigues plus ou moins complotistes, qui réécrivent l'histoire officielle, sont assez plaisantes. Autre qualité, l'étude des problèmes soulevés par l'immortalité. Déjà, tous les insectes de l'ile deviennent immortels aussi, ce qui représente une énorme menace. Les plantes aussi sont touchées, et du coup se figent à l'état de fleur, ce qui fait que les immortels ne peuvent se nourrir des plantes contaminées. Bref, il y a clairement du bon dans ce roman.
Mais l'écriture de Barjavel est... Disons qu'il essaie tellement d’être poétique, avec la subtilité d'un rhinocéros, que c'en est est assez pitoyable. Dès qu'il parle d'amour, de sexe, de sa petite utopie ou des femmes en général, je suis absolument consterné. Déjà, tout le monde est beau. Pour décrire ses personnages, Barjavel commence toujours par « il était très beau » ou « elle était très belle ». J'ai sélectionné quelques extraits. Par exemple, une scène de sexe : « Il était la Tour, il était l'Arc de triomphe, elle était la ville écartelée de joie sous la pluie. » C'est juste... insupportable. Et ça continue comme ça sur des pages et des pages. Barjavel a encore l'air de fantasmer sur la figure du patriarche, qui lui aussi est « beau », mais heureusement c'est un peu moins grotesque que dans Ravage. Les hommes ont la fâcheuse habitude de droguer les femmes, pour leur bien, pour les calmer. Ça arrive pas moins de trois fois dans le récit, et c'est bien souligné. En parlant des femmes... Toute la tension dramatique du personnage principal concerne le fait que comme son copain a eu la jeunesse éternelle vingt ans avant elle, et bien elle fait vingt ans de plus. Alors est triste. Désespérée. Pourquoi pas, certes, mais en faire la principale caractéristique de son principal personnage, c'est un peu... lourd. La petite utopie de l'ile ne manque pas de ridicule. C'est une sorte de jardin d'éden dans lequel les oiseaux vienne faire cuicui en se posant sur les humains, et les enfants courent nus entre deux jeux sexuels. A la fin, les enfants massacrent les adultes parce que les petites filles veulent avoir des bébés, et que les adultes désapprouvent. En gros, c'est un massacre causé par l’instinct maternel... Sérieusement ?! Oui, sérieusement : « la femme, quels que soient ses amours, son indépendance, son intelligence, sa beauté, n'est rien d'autre qu'une fantastique machine à faire des vivants ». Ouille, mes yeux piquent. Encore une fois, pourquoi pas : il ne fait aucun doute que pour certaines personnes l'impossibilité d'avoir des enfants sera une souffrance (sujet fort bien traité dans Futu.re). Mais en faire une telle généralité... Pire, c'est la cause d'un énorme massacre. Qui est ridicule, parce que uniquement causé par l'absence totale d’éducation des enfants de l'ile. Je veux dire, ils sont immortels, ils sont un danger pour le monde, la surpopulation est un danger pour eux, ça serait bien de leur enseigner tout ça au lieu de les laisser passer leur temps à baiser dans les fourrés non ? Du coup, on a juste l'impression que tout le monde est stupide.
Et je n'ai même pas abordé la construction du récit. Disons que Barjavel passe 150 pages a tourner à vide en disant au lecteur : « haha, il y a un grand secret, mais vous ne le saurez pas, lisez la suite, héhé, quel suspense ». C'est le genre de chose qui passe quand la narration suit des personnages qui sont eux aussi dans l’ignorance, mais pas quand l'auteur zappe volontairement des dialogues pour ne pas révéler l'info au lecteur. Pendant 150 pages, c'est juste grossier. En plus, il est du coup obligé de réécrire plus tard les mêmes scènes pour cette fois dévoiler l'information. Bref, je m’arrête là.
366 pages, 1973, pocket
jeudi 2 février 2017
La Sonate hydrogène - Iain M. Banks
La Sonate hydrogène fait parti du cycle de la Culture. La Culture est une vaste société galactique extrêmement développée, libérée des contraintes matérielles, dirigée par des IA, hédoniste. La Culture tente de convertir les civilisations qu'elle rencontre à son point de vue, de façon pacifique si possible, en intervenant discrètement. Chaque tome est une histoire indépendante prenant place dans l'univers de la Culture.
Le neuvième et dernier tome de la Culture. Cette fois, le thème principal est la Sublimation : ce point final que la plupart des civilisations choisissent, par épuisement, à un moment ou un autre. Elles disparaissent du réel pour aller dans le Sublime, un endroit très... mystérieux. Les Gziltes sont sur le point de se sublimer, et les civilisations charognardes moins développées regardent d'un œil envieux toute la technologie qu'ils vont laisser derrière eux. Il y a également un petit souci : certains leaders des Gziltes sont prêts à tout, y compris à tuer, pour préserver un secret qui pourrait compromettre la sublimation. Et bien sur, la Culture se retrouve mêlée jusqu'au cou là-dedans en essayant discrètement de jouer à la police galactique.
Le problème, c'est qu'une bonne partie du récit consiste simplement à courir après un MacGuffin. Un objet/secret finalement pas très intéressant, qui sert de prétexte à parcourir la galaxie. Il y a aussi beaucoup de sous-intrigues qui s’arrêtent net sans mener nulle part. On sent vraiment dans La Sonate hydrogène, comme dans le tome précédent, un certain manque d'inspiration. La Culture est toujours aussi captivante, la galaxie foisonne de vie, on rigole souvent des différentes particularités de diverses races, les mentaux et leur prodigieuse intelligence fascinent. Mais, franchement, ça tire un peu en longueur. Voir beaucoup.
Dans un univers aussi libéré des contraintes matérielles, les conflits ont des causes particulières. Le leader Gzilte qui crée des problèmes a une ambition précise : donner son nom à l'étoile de son système. Les races charognardes sont encore un peu... primitives. Elles s'entretuent pour des raisons assez légères, le genre de chose l'on connait bien sur Terre. Quand aux mentaux de la Culture, et bien, ils sont justes curieux. Il y a un mystère qui attend, comment résister à l'envie de fourrer son nez virtuel partout ? J'aime beaucoup les passages qui traitent des mentaux et de l'organisation anarchique de la Culture. Selon les événements, ils improvisent des groupes de réflexion et d'action, et la frontière entre libre arbitre et devoir est toujours très subtile. On a également quelques pistes intéressantes sur la relation potentiellement symbiotique que les mentaux entretiennent avec les biologiques : les êtres de chair et de sang serviraient aux mentaux de point d'encrage, de sécurité pour ne pas se laisser dériver dans le chaos de la toute puissance intellectuelle et des infinités virtuelles. Et pour ce qui est de la Sublimation, et bien on apprend rien sur la question. Pire : dans les romans précédents, le processus gardait quelque chose de mystérieux, une aura mystique. Ici, c'est juste totalement trivialisé sans offrir plus de réponses. La Culture est toujours un plaisir à explorer, mais Banks semble cette fois un peu à bout de souffle, et je me suis plusieurs fois surpris à lire en diagonale.
739 pages, 2012, le livre de poche
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