samedi 21 septembre 2013
La tour des damnés - Brian Aldiss
La tour des damnés est une grosse nouvelle (un peu plus d'une centaine de page) qui aborde le thème de la surpopulation. En Inde, une étrange expérience a été lancée 25 ans plus tôt. 1500 jeunes couples se sont vus offrir une vie de sécurité et d'abondance dans la Tour. Mais sans accès à aucun moyen de contraception et de contrôle des naissances. Et voilà que 25 ans plus tard, ils sont 75000 dans la Tour, dont une majorité d'enfants, dont le cycle de vie a été terriblement accéléré. Les conditions de vie sont donc devenues extrêmement difficiles, employer le terme de promiscuité forcée serait un euphémisme.
Déjà, passer de 1500 personnes à 75000 en 25 ans, cela me semble un poil exagéré. Mais bon, je ne connais rien à la science de la gestion de la population, alors admettons. Le récit, entrecoupé d'extraits d'un rapport nous en apprenant plus sur la Tour d'un point de vue extérieur, s'attache tout d'abord à nous raconter la difficile vie d'une famille dans la Tour. Ensuite, le monde du dehors va envoyer un messager dans la Tour, avec pour mission de trouver des traces de perceptions extra-sensorielles chez les locaux. Et au final, il devra aider à répondre à une grande question : faut-il laisser tomber l'expérience ?
Le tout est très intéressant, c'est de la bonne SF à dimension sociale. La Tour est un milieu créant un monde nouveau, avec ses propres règles. Cet environnement va jusqu'à modifier le corps, lui donner de nouvelles capacités. Et il modifie l'esprit, en créant une nouvelle normalité. Comment quelqu'un ayant passé sa vie dans Tour peut-il envisager l'extérieur ? De la même façon, le point de vue du monde extérieur est complexe : faut-il faire cesser cette expérience créant des conditions de vie inhumaines, ou laisser vivre ces gens dans ce qui leur semble la normalité et tirer profit de l'expérience ? C'est là qu'on reconnait un bon texte de de SF, il pose des questions originales mais importantes et ouvre des fenêtres vers des façons différentes d'envisager notre environnement. Par contre, à la fin du livre sont cités quelques ouvrages traitant du même sujet, notamment Tous à Zanzibar de John Brunner et Les monades urbaines de Robert Silverberg, et il faut bien dire que ces deux là sont quand même nettement plus riches et plus complexes. Enfin, ce n'est pas le même format. Dans un autre genre, à savoir la BD (ou roman graphique), je recommande aussi le Transperceneige de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette.
105 pages, 1968, Le passager clandestin Dyschroniques
Les avis de Nébal, le dévoreur de livres, ActuSF
mercredi 18 septembre 2013
L'homme que les arbres aimaient - Algernon Blackwood
Première chose, ce recueil a un titre magnifique. Sérieusement, L'homme que les arbres aimaient ... c'est splendide ! Ensuite, l'illustration de couverture mérite les mêmes qualificatifs. Difficile de partir aussi bien avant même d'ouvrir le livre. Et quand on l'ouvre, on tombe tout d'abord sur une introduction qui nous présente Algernon Blackwood, auteur assez méconnu dans nos contrées. On apprend notamment qu'il a connu le succès de son vivant, en Angleterre.
- La première nouvelle, Les saules, est aussi bien que l'on pouvait l'espérer. Deux compagnons partent faire un voyage en canoé sur le Danube, et une nuit, dans un coin particulièrement sauvage, alors que le niveau du fleuve monte, ils bivouaquent sur une petite ile. Une petite ile sur laquelle poussent de nombreux saules. Le talent de Blackwood en ce qui concerne la description de la nature sauvage saute au yeux, il parvient à donner vie à l'environnement et à la végétation. Il ne se passe pas grand chose, mais qu'est ce que c'est bien ! Une ambiance, une atmosphère ... Les amateurs de randonnée devraient apprécier.
- Dans Passage pour un autre monde, un chasseur possédant la connaissance instinctive d'un monde différent du notre, un monde de la nature habité par des êtres inconnus, va être amené à s'en approcher d'un peu plus près. Un autre texte efficace sur les mystères de la nature, mais tout de même un peu moins enthousiasmant que le précédant.
- Avec le Piège du destin, on change de sujet, direction une maison hanté. Trois personnages vont devoir passer une nuit dans une maison à la réputation plus que douteuse. On dit que le taux de suicide y est anormalement élevé ... Cette histoire a une particularité, à propos des trois personnages : il y a le mari, l'épouse et ... son amant. Un récit d'horreur tout en retenue agrémenté d'un triangle amoureux, pour un excellent résultat.
- On arrive ensuite à la nouvelle la plus longue du roman, Celui que les arbres aimaient, qui fait plus de 100 pages. Retour dans les bois. Le titre est en fait un résumé de l'histoire. Un homme, habitant une maison en bordure d'une grande forêt, a une relation particulière avec les arbres. Ils les aime, et ils l'aiment en retour. L'histoire est surtout vue des yeux et des sentiments de la femme de cet homme, une femme a l'esprit assez étroit qui n'a dans sa vie rien d'autre que son mari et son Dieu, et les arbres lui réclament le premier et lui font se poser des questions qui font chanceler sa croyance dans le second. Clairement, ce point de vue particulier est la grande force de cette nouvelle. Sinon, il ne se passe tout de même pas grand chose, et Blackwood a beau écrire particulièrement bien et exceller dans les descriptions des états d’âme des personnages comme dans celles des forces de la nature, c'est parfois un peu long. Rien qui n’empêche de profiter des grandes qualités de ce texte cependant.
- Et pour finir, La folie de Jones. Un employé à l'apparence tout à fait normale est en fait passionné par l'idée de réincarnation, et est persuadé d'avoir des comptes à régler remontant à plusieurs centaines d'années. Est-il fou ou bien ses croyances sont-elles réelles ? Au lecteur de décider. Quoi qu'il en soit, vraiment un très bon texte, qui aborde superbement le thème de la folie ... ou de la réincarnation.
354 pages, l'Arbre Vengeur
Les avis de Nébal, La maison muette
mardi 10 septembre 2013
Stalker - Arkadi & Boris Strougatski
J'ai déjà eu l'occasion de rencontrer les mystères la Zone, grâce au magnifique film de Tarkovski (1979). Et même de m'y balader dans Stalker: Shadow of Chernobyl (2007), Stalker: Clear Sky (2008) et Stalker: Call of Pripyat (2010). Dans ces adaptations, la Zone se retrouve transposée à Chernobyl. Ce qui n’empêche pas ces jeux d’être très bons, notamment grâce à leur ambiance à couper au couteau et leur coté survival. Enfin, je n'en ai fini aucun des trois, j'ai été à chaque fois découragé par une difficulté mal gérée ou carrément bloqué par de gros bugs ... Et malheureusement, Stalker 2 a été annulé après la fermeture du studio, faute d'avoir trouvé un éditeur.
La Zone originale, celle des frères Strougatski, n'est pas unique. Il y en a plusieurs, de ces cicatrices laissées sur Terre par le passage des visiteurs, et celle qui est cœur du récit semble être en Europe de l'est. Elle abrite des dangers terrifiants, mais aussi des trésors étranges, incompréhensibles, aux propriétés parfois très utiles. Et bien sur, il y a des hommes pour braver les dangers des la Zone à la recherche de ces artefacts: ce sont les stalkers. Ils sont motivés par l'argent, mais pas seulement. La Zone en elle même est peut-être un aimant pour un certain type de personnes. Le lecteur suivra la vie de Redrick, l'un de ces stalkers, qui malgré les dangers, malgré les risques pour sa famille, malgré la prison, continuera au fil des ans à explorer la Zone pour en rapporter des objets étrages et les vendre au marché noir.
Stalker n'est pas un roman dans lequel l'aspect SF occupe le premier plan. Il fournit une toile de fond, un univers modifié et torturé dans lequel les personnages peuvent évoluer. Par exemple, on ne saura rien sur les extraterrestres impliqués dans la création des Zones. Ce qui par contre est au cœur du roman, c'est le réalisme social, et disons l'humanité en général. L'écriture va dans ce sens, très orale, laissant la place aux pensées de personnages réalistes et crédibles. Pas d’héroïsme, juste des gens qui essaient de survivre en se faisant un peu de fric. Stalker ne se lit pas toujours de façon très fluide parce que justement il ne privilégie pas l'action (sauf si l'on considère comme "action" l'oppressante l'exploration de la Zone), il installe une atmosphère lourde, puissante, oppressante, aussi bien dans la Zone que dans la ville qui la borde, où tout n'est que tension morbide. Parfois, deux personnages peuvent se supporter assez longtemps pour échanger de grandes interrogations sur le véritable sens de la Zone et la place de l'humanité dans ce grand jeu cosmique. Puis ils boivent, boivent encore, et retournent à leurs gagne-pains.
Stalker n'est pas un roman que l'on peut qualifier d'attachant ou même de plaisant à lire, non, c'est un roman fascinant, qui explore plus les tréfonds de l’âme humaine que ceux de la Zone. Il s'en dégage une atmosphère d'une puissance rare, une atmosphère dans laquelle une humanité crasseuse survit en rampant péniblement dans l'inconnu. On comprend aisément que le roman des frères Strougatski ait pu jusqu'à aujourd'hui inspirer d'autres créateurs.
209 pages, 1972, Denoël Lunes d'encre
Il y a tellement d'avis sur ce livre qui trainent sur le net que j'ai la flemme de mettre des liens.
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Strougatski Arkadi et Boris
dimanche 8 septembre 2013
La cité du gouffre - Alastair Reynolds
Après L'arche de la révélation, Alastair Reynolds reste dans le même univers mais délaisse (un peu) les épopées spatiales et les extraterrestres tueurs pour concentrer son action en un lieu unique.
Tanner Mirabel est un héros à l'ancienne : musclé, déterminé, et amateur de blagues douteuses même dans les situations les plus tordues. Ainsi, après l'assassinat de son employeur et de la femme de ce dernier, il file aussitôt sur une autre planète à la poursuite du meurtrier, Reivich, pour accomplir sa vengeance, comme tout homme un tant soit peu viril ferait. Cela semble un peu étrange, d'autant plus que Reivich n'agissait que par revanche et était dans son droit, mais cette situation est clarifiée plus loin dans l'histoire. Bref, la planète sur laquelle se déroule la plus grande partie de l’action s’appelle Yellowstone, et la ville, c'est Chasm City. Et là, on touche à la grosse particularité du roman : cette ville a été sept ans auparavant totalement ravagée par la pourriture fondante, une sorte de peste bio-électronique qui s'attaque à toute machine un peu trop complexe et à tout humain possédant des implants ou des nanomachines dans son corps. Et les résultats ne sont pas beaux à voir. Ainsi, la ville est totalement transformée, à moitié détruite. Les machines sont devenues folles, les immeubles ont évolués chaotiquement comme des plantes sauvages et la technologie se fait rare. Du moins pour ceux qui vivent au sol, car dans les hauteurs nichent les riches, les puissants et les immortels qui, grâce à une mystérieuse drogue, se débrouillent pour maintenir leur santé malgré la peste.
Et, en parallèle, Tanner est étrangement victime de flashs mémoriels le mettant dans le peau de Sky Haussmann, capitaine à la réputation pour le moins douteuse de la flotte qui a apporté les humains sur la planète de Tanner 400 ans plus tôt. Tout cela fonctionne vraiment bien ensemble. La trame s'oriente petit à petit sur des questions de mémoire et d'identité, mais n'en disons pas trop. On a même droit à quelques extraterrestres, j'avoue que ça m'aurait manqué un peu.
C'est bien beau tout ça, mais malheureusement ce n'est pas sans défauts. Le principal concerne l'écriture d'Alastair Reynolds. Disons qu'il m'a souvent semblé que les personnages, dans leurs dialogues et leur comportement, manquent de crédibilité. Un petit exemple. Tanner, perdu dans la ville, recherche quelqu'un nommé Zebra. Il croise un groupe de fêtards. Voici ce qu'il se dit : "Un plan, plutôt mince, m’apparut : j'allai me mêler au groupe et essayer de découvrir si l'un d'eux connaissait Zebra". Mais ... mais ... franchement, qui agirait comme ça ? Bon, ce n'est qu'un exemple, mais il est révélateur du manque de naturel dans le comportement des personnages. De la même façon, la plongée dans la folie de Sky Haussmann n'est pas très bien rendue. Cela casse un poil l'immersion et la crédibilité de l'ensemble.
Mais à part ça, il faut bien reconnaitre que La cité du gouffre a beau être un sacré pavé, il se lit très vite et sans effort tellement l'ensemble est bien foutu. L'univers, tout d'abord, est totalement réussi. Cette cité en ruine est vraiment attachante. Et, malgré l'écriture parfois très perfectible d'Alastair Reynolds, ses occupants aux motivations douteuses aussi. Ils passent en quelques instants d'alliés a ennemis, Tanner leur tire dessus puis cinq minutes après prend un café avec eux, c'est assez marrant. Les petites escales dans le vaisseau de Sky Haussmann et dans la jungle de la planète de Tanner sont vraiment les bienvenues, elles s'intègrent parfaitement au récit. L'histoire est particulièrement centrée sur les personnages, mais n'oublie pas d'intégrer aussi des éléments qui relient le tout à une trame d'une ampleur bien plus importante. Bref, pour qui a envie de gros pavés de SF accessibles mais également riches et complexes, Alastair Reynolds semble être un très bon choix.
959 pages, 2001, Pocket
Les avis de Bifrost, sci-fi universe et Noosfere
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mercredi 4 septembre 2013
Le Golem - Gustav Meyrink
Encore un bouquin sur lequel il m'est difficile d'écrire. La raison est simple : le roman prend place dans la partie juive de Prague, et tout son déroulement est largement influencé par diverses traditions judaïques (notamment la Kabbale). Ainsi, les symboles sont légion et l'absence de connaissance de cette culture est un peu handicapante. Et pourtant, la lecture du Golem m'a vraiment enthousiasmé.
Tout d'abord, le golem n'est pas vraiment un élément central du roman. Parce que, à moins que j'ai mal compris certaines choses (ce qui ne serait pas étonnant vu que je ne connais rien aux thèmes traités), le golem n'est pas tellement au cœur du récit. Il s'agit d'une multitude de mythes de Prague et de légendes juives, dont celle du golem, mais pas seulement. Et au milieu de tout ça, Pernath, le narrateur. Un homme perturbé, un peu fou, à la mémoire incomplète et sujet à des hallucinations mystiques qui semblent ne pas émerger simplement de son esprit. Le Golem est un roman assez perturbant, non seulement à cause des thèmes traités, mais aussi par sa construction : elle n'est pas fluide, les éléments ne s'enchainent pas de façon logique, on passe parfois d'une chose à l'autre sans comprendre ce qui s'est vraiment passé. Heureusement, l'écriture de Meyrink est particulièrement belle, et il parvient à créer une atmosphère extrêmement puissante. L'étrange et le bizarre sont partout, et il est difficile de faire la différence entre le fantasme et la réalité. La vie dans les ruelles brumeuses de Prague, l'ambiance malsaine et hallucinée, l'omniprésence des mythes et les difficiles relations de voisinages avec des personnalités fascinantes comme repoussantes, et même l'horreur de la prison et de l'absurdité administrative, il y a beaucoup de choses dans le roman de Meyrink. Ainsi, Le Golem est un livre très particulier et parfois difficile à aborder, mais c'est certainement un chef d’œuvre de la littérature fantastique.
248 pages, 1915, Bibliothèque Marabout
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