lundi 17 février 2025

Les sols, un écosystème complexe et vital - La Recherche (janvier/mars 2025)


J'ai crée une section blog sur le site de ma pépinière, où je publie ce genre de truc.

Je copie l'article sur ce bon vieux blog !

Petit compte-rendu sur le dossier concernant les sols du magazine La Recherche (janvier/mars 2025).

 

Comme souvent avec ce format, je trouve que les articles, nécessairement brefs, ont souvent à peine le temps d’aborder leur sujet. Rien ne vaut les livres ! J’en tire néanmoins quelques infos.

Le sol, entre vie et mort

L’entretien avec l’inévitable Marc-André Selosse est une introduction efficace. Les microbes participent à la création du sol, en déstabilisant les roches pour trouver des oligo-éléments. Ils accélèrent donc la vitesse de dissolution des roches, forment des biofilms qui contribuent à retenir l’eau et produisent de l’acide, qui augmente drastiquement la vitesse d’hydrolyse (destruction de la matière par l’eau).

Rappelons aussi l’importance cachée des exsudats racinaires : jusqu’à 40 des produits de la photosynthèse des plantes passent dans le sol, les plantes modifiant ainsi leur milieu.

Les interactions entre la vie du sol et les plantes sont hautement complexes et encore peu comprises. Par exemple, des expériences montrent que les amides seraient à priori essentielles pour la vie des plantes, peut-être parce qu’elles régulent les populations bactériennes, empêchant ainsi les bactéries de monopoliser les nutriments du sol.

Rappel aussi sur les méfaits du labour : forte érosion, favorisation de la transformation de matière organique des sols en CO2 par les bactéries, perte de cette matière organique… Les sols d’Europe ont perdu 50% de leur matière organique depuis 1950. Le sol se retrouve ainsi émettre du carbone plutôt qu’à en stocker. Quant à l’artificialisation des sols, elle serait équivalente à 100 terrains de foot par jour.

Je note les définitions synthétiques de :

  • l’agriculture biologique : pas de pesticide, mais du labour
  • l’agriculture de conservation : pas de labour, mais un peu de pesticides

Le sol, sous le béton

On pourrait croire que l’artificialisation des sols est directement causée par l’augmentation de la population, mais non : l’artificialisation augmente 3,7 fois plus vite que la population. C’est le modèle de la maison individuelle qui serait en cause, mais aussi toutes les zones de services et commerces qui les accompagnent.

Il existe un projet politique de « zéro artificialisation nette » adopté sous forme de loi en 2021. L’objectif est de réduire de moitié la construction sur espaces naturels et agricoles d’ici 2031, et d’arriver à zéro artificialisation nette d’ici 2050. Autant dire que si c’est autant respecté que tous les engagements sur le climat… D’autant plus que la loi n’a qu’une dimension quantitative et pas qualitative, ne faisant aucune distinction entre les types de sol et leur valeur pour l’agriculture ou la biodiversité.

Des pratiques agricoles très différentes

Bien que bref, l’article sur les pratiques agricoles est dense.

  • « L’agriculture conventionnelle considère le sol plutôt comme un support physique pour les cultures, sans grande considération pour les dynamiques écologiques qui s’y jouent. »
  • « A l’opposé, en agroécologie, le sol constitue une préoccupation centrale, car il est perçu comme un écosystème dont le maintien de la santé est essentiel au bon fonctionnement et à la durabilité des agrosystèmes. »

On s’en doute, l’utilisation de pesticides réduit considérablement la quantité et la diversité de la faune du sol. La fertilisation minérale peut réduire la diversité des champignons mycorhiziens. « Au contraire, la fertilisation organique augmente la quantité et la diversité fonctionnelle des micro-organismes et des nématodes ainsi que la diversité végétale des prairies. » Cette diversité végétale entraine la diversité animale ; la diversité globale régule les populations de ravageurs.

On sait que la vie se concentre dans ce que j’appellerais les zones frontières, ou lisières, où plusieurs systèmes sont en contact. C’est le cas aussi dans les sols, avec la rhizosphère (zone d’influence des racines) et la drilosphère (zone d’influence des vers de terre).

Des espèces envahissantes ?

On connait la renouée du japon, une célèbre « envahisseuse », qui a droit à son article. Je l’ai souvent vue dans la nature, mais toujours dans des endroits où le sol avait été fortement perturbé par l’activité humaine. Fun fact : les jeunes pousses sont comestibles (mais attention, les renouées du Japon ont tendance à aimer les sols pollués). De plus, la renouée fleurit en septembre et octobre, ce qui en fait une plante mellifère d’intérêt non négligeable.

Je ne peux m’empêcher d’être sceptique par rapport à la paranoïa qui entoure cette plante, ou d’autres. Proscrire sa vente, certes, pourquoi pas, mais consacrer des ressources à lutter contre elle ? Est-elle vraiment aussi nuisible ? L’article ne parvient pas à m’en convaincre. Je ricane quand je lis que les massifs de renouées « perturbent l’environnement ». Dans ce cas, qu’en est-il des activités humaines, des monocultures sous pesticide, des plantations de pin sur des milliers d’hectares, etc. ? Certes, plusieurs problèmes peuvent cohabiter, mais la différence d’échelle fait que cette pauvre renouée me semble vraiment être prise comme bouc émissaire. Enfin, je ne suis pas expert du sujet.

Il est vrai que cette plante est d’une vigueur remarquable. Géophyte, elle passe l’hiver enfouie dans le sol, où les rhizomes stockent des nutriments. Les rhizomes peuvent prendre des nutriments dans un endroit riche pour les transmettre plus loin, permettant à la plante de s’établir dans des zones pauvres. Super pouvoir : la renouée peut inhiber les bactéries dénitrifiantes du sol, ce qui augmente la quantité d’azote disponible pour elle. Il se trouve que les opérations de destruction de la plante peuvent contribuer à la répandre, puisque ses fragments peuvent s’enraciner plus loin, surtout s’ils sont transportés par l’eau.

L’article suivant évoque une autre espèce envahissante et potentiellement plus dangereuse : les vers plats, qui mangent nos innocents vers de terre et n’ont pas vraiment de prédateurs. Sans surprise, le changement climatique est un facteur important dans leur propagation.

Agroforesterie et carbone

L’article sur l’agroforesterie est forcément un peu léger pour un sujet aussi intéressant, mais rappelons l’un des intérêts principaux de l’agroforesterie : la réduction de l’érosion. Je note un autre intérêt, que je n’avais pas en tête : les systèmes racinaires des arbres joueraient un rôle de « filet de sécurité » pour réduire les pertes de nutriments, notamment les pertes en nitrates. Fascinant, mais je m’étonne : la présence racinaire des arbres n’est-elle pas justement limitée dans les zones de cultures, où passent régulièrement des machines pour travailler le sol ? A quel point les arbres ont-ils des racines en profondeur sous les cultures pour récupérer les nutriments ? On sait en effet que les racines des arbres ont tendance à rester proches de la surface, là où tombent les matières organiques naturelles et où se concentre la vie (contrairement à ce que représente l’illustration en couverture du magazine).

En agroforesterie, s’il y a forcément une perte de rendement à l’hectare pour la culture principale (céréales par exemple), le rendement total, en prenant en compte les fruits, le bois, etc., à tendance à être plus élevé, sans compter les bénéfices agronomiques et écologiques.

Un autre article évoque l’importance du sol dans le stockage du carbone. Des sols perturbés libèrent du carbone, alors que des sols sains ont la capacité d’en absorber. Bien sûr, ce n’est pas juste avec des sols vivants et riches en carbone qu’on stoppera le changement climatique, loin de là, mais c’est un angle important, d’autant plus qu’un sol riche en carbone absorbe mieux l’eau, est plus fertile, plus riche en biodiversité, etc.

La vie comme remède

Point vocabulaire sur diverses façon de solutionner la pollution des sols avec les micro-organismes :

  • La biostimulation : stimuler l’activité des micro-organismes déjà présents dans le sol pour dégrader les matières polluantes.
  • La bioaugmentation : introduire des souches spécifiques.

Tout ça sonne très bien, et il est passionnant de constater les capacités variées des formes de vie microscopiques, mais forcément, c’est très difficile à mettre en place à grande échelle. Et couteux. Le mieux reste, bien sûr, de ne pas polluer.

Par ailleurs , la façon suivante de traiter des sols radioactifs (et donc assez localisés) est frappante. Le césium radioactif ressemble moléculairement au potassium. La phytoextraction consiste à cultiver des plantes capables d’absorber et accumuler le césium à cause de cette ressemblance. Après, qu’est-ce qu’on fait du césium, je ne sais pas… La recherche génétique s’emploie à créer des variétés capables de bloquer l’arrivée du césium jusqu’aux parties consommables des plantes. Comme d’hab, le mieux reste de ne pas polluer.

Fait saisissant : chaque année, en France, plus de 245 millions de tonnes de terre sont excavées du territoire pour la construction d’infrastructures souterraines (parkings, métro, fondations…). On appelle globalement technosols ces « sols » constitués de matières fabriquées (béton, etc.) ou excavées par les humains. Il existe des projets pour transformer les technosols en sols vivants en utilisant des vers de terre à grande échelle, mais ça me semble être un techno-solutionnisme utopique qui n’est pas sans rappeler le roman Humus de Gaspard Koenig. La section « start-up » du dossier du magazine rajoute une bonne couche de techno-solutionnisme. Bien sûr, je souhaite le succès de ces entreprises, mais il est frappant que ce dossier se conclue sur des start-ups technophiles.

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