samedi 15 avril 2023

Logorallye : Effet de serre (en bambou)


Même principe que la première fois et un résultat d'un autre style : dix mots générés aléatoirement, et il faut écrire rapidement une nouvelle en les plaçant naturellement dans l'ordre. Stimulant ! Les fleurs ci-dessus ne sont pas les fleurs évoquées dans le texte, mais des fleurs de cerisier.

Effet de serre → Particulier → Fichier → Fluor →  Marqueur → Sirop → Macaroni → Grenier → Duel → Vin


Je me réveille soudainement à quatre heures du matin et je n’ai qu’une chose à l’esprit : l’effet de serre. Diable.

Une lumière diffuse infuse les murs blancs. À travers les trous dans les volets, rongés par des générations de pics-je-ne-sais-quel-adjectif et de xylophages increvables, je distingue la lueur de la lune. Je me lève, en faisant de mon mieux pour ne pas déranger Mel. Pourquoi l’effet de serre en particulier ? Parmi tous les sujets contemporains à propos desquels je fais continuellement des cauchemars éveillés, celui-là fait presque prosaïque, dépassé. Je ne sais pas. C’est peut-être mon subconscient qui me rappelle que j’aurais dû finir de construire la serre il y a déjà un mois, avec une dose d’éco-anxiété en prime. Je ne peux pas blairer Jung, mais il ne dit pas que des conneries sur ce sujet-là: le rêve comme mécanisme d’équilibrage mental entre choses connues et choses refoulées, conscient et inconscient, etc. OK, Jung, t’as gagné : aujourd’hui, je finis la serre.

J’enfile mes loques crottées et j’allume mon PC fatigué. Je navigue dans mes fichiers à la recherche de ce PDF pas trop mal sur, je cite, l’« éco-construction ». Ah, voilà. Serre en bambou, fabrication maison. J’étudie rapidement les plans et je prends quelques notes. Ensuite, je fais une bêtise : j’ouvre Messenger. Lucas m’a envoyé un pavé. Il me parle du… fluor ? Apparemment il y en aurait dans l’eau du robinet et dans le dentifrice, parce que le fluor aurait la propriété de rendre les gens passifs et soumis, et donc « ils » utiliseraient ça pour nous contrôler, et les élites satanistes, les aliens cannibales, etc. Il est quatre heures trente. J’envoie à Lucas un émoji ambigu et je vais me faire une infusion de thym. C’est de l’eau du puits, pas de fluor au moins, youpi. Je lis quelques nouvelles écrites par un pote en lapant tranquillement l’eau chaude. C’est pas trop mal, il a une plume et quelques idées, mais ça parle que de fin du monde, de désespoir, de suicide, ce genre de trucs. Il faudra que je lui dise de plaquer son psy et de sortir plus.

Cinq heures. Je descends à l’atelier et je prépare le matériel : scie circulaire pour couper le bambou, marqueur pour noter clairement où couper, vis et viseuse, etc. Je sors avec tout ça et, alors que je m’approche du petit chantier délaissé de la serre, j’aperçois dans les vagues premières lueurs de l’aube les fleurs du sureau qui commencent à peine à s’entrouvrir. Non, non, focus, construis cette foutue serre… allez…

Je cède. Mel voulait faire du vin de sureau et elle sera contente si je fais une partie du travail. Ma mère faisait du sirop de sureau — j’ai toujours trouvé que ça sonnait bizarre, comme une assonance ratée. Je pose mon matos et je retourne chercher un sac en papier avant de m’approcher du sureau. Je récolte les fleurs, c’est un peu collant, et je n’ai guère de remords : les fruits sont sans doute très sains — c’est ce qu’on lit dans les bouquins de permaculture — mais pour être honnête, je n’ai pas encore trouvé comment les préparer. En compote, en tarte, c’est bof bof. J’ai même essayé de les faire fermenter pour obtenir une sorte de boisson alcoolisée — pas comme le vin que veut faire Mel, où on ajoute du « vrai » vin —  mais le résultat final faisait peur à voir. Je rentre poser le sac de fleurs sur la table — le soleil est presque levé à présent — et je tombe sur les restes de macaronis d’hier soir. Paf, j’ai faim. Mon estomac — ou mon esprit, qui sait ? — fonctionne comme ça. S’il y a un truc à manger, je vais le manger. Ça peut être problématique — je suis incapable de garder des bonnes choses dans les placards — mais là, ce sera juste un petit-déjeuner. Rien de déraisonnable. Je sors — encore — chercher des blettes au jardin, je rentre — encore — les faire revenir à la poêle, j’ajoute les macaronis, je les saupoudre de fromage, et voilà, un repas de roi. Je mange en observant le lever de soleil et j’aperçois le couple de chouettes qui vit dans notre grenier. Puis j’entends au-dessus de ma tête : tap, tap, tap. Elles reviennent d’une nuit de chasse, et pour elles, il est temps de se coucher. Je leur souhaite une meilleure nuit qu’à moi.

Allez. Allez ! Cette fois, pas d’excuse, je la bâtis, cette serre, je l’érige, je la fais sortir de terre — mon portable vibre. Je pose avec appréhension ma main sur la machine qui habite dans ma poche. Un combat naît dans mon esprit, un duel entre l’addiction à la stimulation et ce qu’il me reste de fierté. Ma fierté l’emporte. J’empoigne un bambou avec rage, je fais des mesures discutables et je coupe — non, je ne coupe pas, la scie circulaire n’a plus de batterie. Mon portable vibre. Je ne réfléchis pas — mon stock de fierté est déjà épuisé — et je regarde l’écran. Mel. « Merci pour les fleurs ! Tu viens faire le vin avec moi ? » Elle ne pouvait pas juste crier depuis la fenêtre ? Ou, je ne sais pas, sortir ? Bon, soit, d’accord, OK. Je vais fabriquer cette mixture avec toi. J’arrive. Au moins la scie circulaire aura le temps de charger. Et j’entends Jung ricaner avec dédain.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire