mercredi 26 avril 2023

Les Égarements du cœur et de l'esprit - Crébillon

Les Égarements du cœur et de l'esprit - Crébillon

Les Égarements du cœur et de l'esprit de Crébillon, originellement paru en 1736 : roman d'amourettes de salon qui, en plus d'une superbe écriture nous régalant d'imparfait du subjonctif, parvient à maintenir l'intérêt en multipliant les pointes acérées sur la psychologie humaine et le grand bal masqué qu'est la vie sociale. Notre narrateur, jeune homme bien né mais débordant de niaiserie, passe de salon en salon et commence à découvrir les femmes ; il sera d'ailleurs fort égaré — comme le titre l'indique — entre deux membres du genre opposé. On est clairement dans un roman d’éducation, et plus particulièrement d'éducation sentimentale, avec une petite touche de vice qui n'est pas sans rappeler les Liaisons dangereuses.

J’oubliai bientôt combien peu sa conquête était flatteuse. J’étais trop jeune pour m’occuper longtemps de cette idée : à l’âge que j’avais alors, le préjugé ne tient pas contre l’occasion, et d’ailleurs, pour ce que je souhaitais d’elle, il importait assez peu que je l’estimasse.

Les deux premiers tiers se lisent ainsi avec grand plaisir, notre narrateur naviguant à vue dans un monde social qu'il ne comprend guère et faisant quelques commentaires à postériori sur sa naïveté. Les personnages discourent, médisent, manipulent, se font des vrai/fausses déclarations à n'en plus finir ; on est happé par la prose, un vrai régal, et on ricane sur quelques morceaux croustillants de satire sociale.

Être passionné sans sentiment, pleurer sans être attendri, tourmenter sans être jaloux : voilà tous les rôles que vous devez jouer, voilà ce que vous devez être.

Le dernier tiers est plus pénible, la faute à notre narrateur qui fait absolument n'importe quoi : ce n'est jamais marrant d'être forcé à suivre un personnage qui s'enfonce et s'enfonce encore de lui-même. Diable, il aurait sans doute dû évoluer un peu au lieu de devenir encore plus niais ! Le roman reste néanmoins plaisant, notamment grâce à deux passages : la leçon de vie désabusée d'un homme du monde averti — moment fort du roman sans aucun doute, duquel on voudrait citer bien des passages qui déconstruisent le grand jeu social d'une façon qui n'a rien perdue en pertinence — et l'explication finale avec l'amante malmenée. Qu'on se rassure : le roman se termine heureusement — notre narrateur est enfin déniaisé.

Je vous ai dit que vous ne pouviez point trop parler de vous. À ce précepte, j’en ajoute un que je ne crois pas moins nécessaire : c’est qu’en général vous ne pouvez assez vous emparer de la conversation. L’essentiel dans le monde n’est pas d’attendre pour parler que l’imagination fournisse des idées. Pour briller toujours, on n’a qu’à le vouloir. L’arrangement, ou plutôt l’abus des mots, tient lieu de pensées. J’ai vu beaucoup de ces gens stériles qui ne pensent, ni ne raisonnent jamais, à qui la justesse et les grâces sont interdites, mais qui parlent avec un air de capacité des choses mêmes qu’ils connaissent le moins, joignent la volubilité à l’impudence, et mentent aussi souvent qu’ils racontent, l’emporter sur des gens de beaucoup d’esprit, qui, modestes, naturels et vrais, méprisent également le mensonge et le jargon. Souvenez-vous donc que la modestie anéantit les grâces et les talents; qu’en songeant à ce que l’on a à dire, on perd le temps de parler, et que, pour persuader, il faut étourdir.

2 commentaires:

  1. Et dans la belle édition de L'école des lettres ! Le plaisir du poche sur papier bible...

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    1. On s'y ferait bien. Ne manque plus qu'une couverture en cuir de mouton de Nouvelle-Zélande demi fort et relié or...

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