Würm, le jeu de rôle préhistorique d'Emmanuel Roudier. Il m'a fait de l’œil. Ici, c'est le livre de base, mais je ne manquerai pas de critiquer les divers recueils de scenarios qui ont suivi. En gros, je ne suis pas fan du système de jeu, mais on verra à la pratique ; quant au reste, c'est du tout bon et ça me donne très envie de plonger quelques joueurs dans l'âge de glace.
1. LA FORME
Sur ce plan, Würm assure et bénéficie indéniablement d'avoir un seul esprit derrière le texte et l'emballage visuel. Emmanuel Roudier écrit bien, et ses dessins sont à tomber : splendides de bout en bout, sans compter la cohérence de l'ensemble. De plus, je n'ai pas eu l'impression de perdre mon temps : l'espace est bien utilisé, très rempli, et à part les inévitables premières pages où on explique ce qu'est un jeu de rôle, il n'y a pas le moindre remplissage, ce qui est une grande qualité pas toujours fréquente dans ce genre d'ouvrage. Je regrette simplement l'absence de quelques résumés des règles de combat, de chasse et autres sous forme de diagrammes condensés, qui permettraient de saisir l'essentiel d'un coup d’œil : dans les faits, les règles sont assez étalées et très littéraires.
2. L'UNIVERS
On est en France il y a 40 000 ans, avec des Homo sapiens et des néandertaliens. C'est clairement ce qui a éveillé mon intérêt pour Würm : la préhistoire, l'âge de glace, la vie en clan et en tribu, la chasse et la cueillette, le rapport inévitablement intense avec la nature et les superstitions qui vont avec ! L'époque est détaillée de diverses façons, dans des chapitres au ton d'essai, qui s’interrogent sur les idées d'âge d'or et d'âge farouche, qui questionnent la place des femmes, ou qui tout simplement s'intéressent à la vie quotidienne de l'époque : c'est très agréable à lire et franchement instructif pour qui n'est pas déjà spécialiste. Il est aussi question de la faune, avec son lot d'illustrations splendides, et des biomes, avec leurs lots de dangers climatiques et géologiques : éléments essentiels pour jouer à Würm. J'aurais aimé au moins une double page sur la flore, mais globalement, l'univers est suffisamment détaillé et ne trahit pas ses promesses.
En revanche, l'approche du surnaturel n'est pas celle que j'aurais espéré. Dans l'univers du jeu, la magie est réelle : il y a toutes sortes de créatures fantastiques, des fantômes, des chimères, etc., et les chamans sont bel et bien magiciens. Je ne veux pas reprocher ce choix, car je comprends tout à fait la perspective de l'auteur : difficile de résister à l'envie d'offrir plus : plus d'options, d'adversaires, de capacités... Il est cependant inévitable que ça trivialise un peu le contexte. Des fantômes, des géants, des morts-vivants, paf, nous voilà finalement dans de la fantasy classique et, franchement, banale. Donc, je ne reproche pas la volonté d'offrir ces options : ce ne sont que des options et il est facile de les ignorer (même si je m'inquiète un peu sur la dimension surnaturelle des recueils de scénario publiés).
Ceci dit, je trouve qu'il y a une véritable opportunité manquée : celle de traiter le surnaturel en tant que mythe qui, pour les personnages, est psychologiquement bien réel. Cette piste est certes évoquée dans le livre, mais guère explorée. Il y aurait pourtant tellement à faire sur les rites, les transes, les innombrables drogues et les privations de sommeil, de nourriture, qui ne peuvent manquer de subjectivement rendre réel le surnaturel. C'est de cette façon que j'ai envie d'explorer les croyances et le surnaturel dans Würm, et il est décevant de constater que le livre va à la place dans une direction plus classique et, selon moi, bien moins intéressante.
3. LE SYSTÈME
Pour être clair : je n'ai pas encore fait jouer Würm, et en plus, je n'ai pas tant d'expérience que ça en jeu de rôle. Mes critiques seront donc à revoir avec l'expérience, et je ne doute pas que Würm soit, malgré mes retenues, parfaitement jouable.
Les personnages n'ont pas de statistiques personnelles. Dans cette situation, difficile de lever l'impression qu'on jette les dés dans le vide. Le MJ a donc le poids supplémentaire de décider arbitrairement d'un seuil de difficulté pour chaque jet de dé des PJ, alors que s'ils avaient des statistiques, il suffirait, dans la plupart des cas, de simplement lancer les dés contre une statistique. Et si les règles sont donc simplistes au premier regard, il y a en fait des dizaines et des dizaines de cas particuliers possédants des micro-règles : manœuvre de combat, dangers naturels, pouvoirs et enchantements, actions sociales, etc., et le MJ est en quelque sorte obligé d'aller les vérifier dans le livre, puisque les personnages n'ont pas de stats personnelles qui donneraient la base suffisante pour résoudre la plupart des situations : il faut savoir dans chaque cas quels seuils de difficulté et quels bonus et malus arbitraires s'appliquent. Je suppose que, bien souvent, le MJ fera fi des règles imprimées et inventera à la volée ses propres règles pour simplement maintenir le rythme. Comme le jeu est basé sur des jets de 2D6 (voire 3D6 ou plus), il aurait été intéressant d'avoir quelques mots sur la façon dont fonctionnent les probabilités et leurs implications pour le système.
De plus, avec l'absence de statistiques, les personnages n'ont pas grand-chose pour les différencier : à part les 3 bonus appelés "Forces" et quelques compétences, ils ont la même force, les mêmes PV, la même vitesse, etc. Le fait est que j'ai du mal à voir ce que ce système a d'avantageux par rapport aux classiques statistiques personnelles.
Il n'y a pas de classes de personnages, mais les chamanes prennent 15 pages à eux tout seuls. C'est la seule "catégorie" de personnage à être ainsi développée, et si les joueurs posent leurs yeux sur ces pages, il ne fait aucun doute qu'ils voudront tous être chamanes : il y a tout un tas de pouvoir magiques très puissants à la clé avec en contrepartie un seul petit désavantage négligeable. C'est pour moi une raison de plus pour jouer sans magie.
4. LES SCENARIOS
Ah, enfin, le gros morceau : les scénarios ! Car que valent un univers et un système s'il n'y a pas de bonnes histoires qui s'y trament ? Notons qu'avec 4 scénarios, le livre de base de Würm est assez généreux. Il me semble que bien souvent on peut s'estimer chanceux d'avoir un unique voire deux scénarios dans un livre de règles. Notons aussi qu'il est plusieurs fois conseillé au MJ de ne pas hésiter à manipuler les jets de dé : je ne partage pas cette idée. Au contraire, que les jets de dé se fassent sous tous les regards.
JOUEURS, LES MIENS OU LES AUTRES, NE LISEZ PAS CE QUI SUIT OU L'ESPRIT DU GRAND OURS ROUGE VOUS POURCHASSERA PENDANT TROIS LUNES !
Le puits aux ossements (5/5)
Exactement ce que j'attendais d'un scénario introductif pour Würm. Les PJ sont l'escorte de deux femmes qui vont au puits aux ossements de la tribu, la tombe de tous les membres de la tribu depuis toujours. L'une des femmes est une vieille qui va là-bas pour mourir, l'autre est une jeune femme enceinte qui cherche à se faire "féconder" par l'esprit des ancêtres. Il faut chasser pour faire une offrande aux ancêtres, et ça aura une petite influence pour la suite ; il faut se débarrasser de deux gros bras mal intentionnés, et il y a des options tactiques ; il est possible de plonger dans le puits aux ossements et de farfouiller parmi d’innombrables squelettes pour récupérer une arme légendaire de la tribu. On pourrait reprocher le lieu commun de la femme enlevée à secourir, mais sinon, il y a tous les ingrédients : pas trop de complexité à gérer, mais des options, des choix à faire, des images marquantes, une exploration des mythes et coutumes préhistoriques, une célébration à la fois de la vie et de la mort. J'ai envie de le faire jouer.
Le dévoreur (2/5)
Pour commencer, ce scénario est plus difficile à introduire : il nécessite une communauté aux rites très particuliers, ce qui fait qu'il serait difficile de placer cette histoire dans une communauté préétablie. En soi ce n'est pas grave, ça pourrait un bon one-shot (scénario isolée le temps d'une soirée). Dommage que la trame soit à la fois simpliste et cousue de fil blanc : il y a une tradition qui consiste à sacrifier des bébés, tradition maintenue par le chaman, et bien entendu le chaman est méchant, ce que les joueurs comprendront instantanément. Ensuite, il faut simplement suivre et tuer le chaman, qui d'ailleurs se transforme en ours (mais il y a moyen d'esquiver ce côté magique en le dotant d'un ours apprivoisé). Ça aurait été plus intéressant si le chaman, rendu suspect car rongé par le poids de la culpabilité, avait en fait une bonne raison de pratiquer ces sacrifices, par exemple un clan de cannibales agressifs, ou une famille de tigres mangeurs d'hommes, desquels il essayait sincèrement de protéger son propre clan : au moins, il y aurait un petit coup de théâtre.
Accident de chasse (4/5)
Le seul texte du livre qui n'est pas d'Emmanuel Roudier, mais d'un autre auteur : Sébastien Jeanne-Brou. Cette fois, ce n'est pas vraiment linéaire mais plutôt orienté bac à sable. J'ai quelques retenues concernant l'élément déclencheur, l'accident de chasse qui donne son titre au scénario : les PJ doivent être responsables de cet accident pour être vraiment impliqués, et il peut être frustrant pour les joueurs d'être "poussés" par le MJ à commettre une telle erreur : le MJ doit gérer cette introduction avec une grande prudence. Bref, un gamin d'une autre tribu est gravement blessé voire tué, et à partir de là, bonne chance pour maintenir la paix ! Il y a toutes sortes de pistes pour régler cette situation ou la voir dégénérer en bain de sang. Ça me semble une bonne façon d'introduire les joueurs à une grande liberté et à de nombreuses options de résolution. L'aspect magique est purement facultatif.
Les loups de l'orage (5/5)
Un scénario simple mais assez unique par le fait qu'il se déroule essentiellement avec des animaux. Les PJ sont en chasse à la fin de l'hiver et, après une balade introductive, ils tombent sur un magnifique mammouth englué dans un marais. Cependant, une meute de loups, menée par un loup légendaire, est déjà sur le coup. Un peu plus tard, une quatrième faction se ramène : des hyènes, menées par une hyène chamane, capable de réanimer les morts, que je m'empresserai se transformer en "simple" hyène légendaire quand je mènerai ce scénario. Donc, quatre factions, composées de quatre espèces différentes, opposées les unes aux autres : il y a de quoi s'amuser. Évidemment, c'est bien plus marrant si les PJ s'allient avec les loups ou avec le mammouth, même si je vois mal les PJ se la jouer grand cœur et libérer le mammouth. Il y aura aussi la question du transport de la nourriture à prendre en compte : il faudra aller chercher du renfort pour ramener la viande, et ne surtout pas la laisser sans protection pendant ce temps. Bref, une petite situation croustillante qui devrait se jouer avec plaisir sans trainer en longueur.