La thèse centrale, passionnante, est dans le sous-titre : les rôles respectifs du hasard et de la nécessité dans l'évolution. En d'autres mots : la contingence et la convergence. Laquelle de ces deux forces domine le processus évolutionnaire ? Comme d'habitude, la réponse est évidente : la vérité se trouve quelque part au milieu. Le livre prend ainsi le temps de décrire de nombreuses expériences scientifiques en détail, ce qui ne manque pas d'intérêt : ces expériences sur l'évolution sont particulièrement évocatrices et elle imposent l'idée que l'évolution est un phénomène parfois étonnamment rapide, qui peut tout à fait être observé avec succès sur un temps très réduit. Dommage que le livre, faute de véritablement développer l'idée centrale autrement qu'en décrivant des expériences de façon toujours plus minutieuse, finisse par s’avérer un peu lassant. Attention : ce petit compte-rendu est un peu plus tiré de juste ma mémoire que d'habitude.
La convergence évolutive, c'est par exemple les porcs-épics de l'ancien monde et du nouveau monde qui convergent vers la même forme de façon indépendante, alors qu'ils sont deux espèces bien différentes. On retrouve ce phénomène partout : les serpents à bec, l'apparition de la caféine dans certaines plantes, l'apparition du vol, des yeux, ou même de l'agriculture pour les humains, mais aussi l'agriculture pour les termites et fourmis, etc. Le vol est apparu trois fois chez les vertébrés : oiseaux, chauve-souris et ptérosaures. Notons que ces trois adaptations concernent la même fonction, mais cette fonction est obtenue par les traits physiques différents. De même pour l'alimentation par filtration d'eau des baleines (mammifères) et des requins-baleines (poissons cartilagineux), sans parler des traits plus évidents qui permettent la nage et la vie sous-marine.
Dans le même temps, les mutations à l'origine du processus évolutionnaire sont aléatoires : même si les organismes tendent à converger vers une forme adaptée à un environnement donné, cette forme ne peut émerger que par le hasard des mutations, hasard qui n'est pas forcément déterminé et reproductible. Par exemple, les ornithorynques sont très bien adaptés à leur environnement (les petits cours d'eau) et pourtant aucune bestiole semblable n'est apparue ailleurs qu'en Australie. Même chose pour les kangourous, qui sur le plan écologique occupent un peu la même niche que les cerfs ou les bisons. On retrouve un phénomène similaire avec les lémuriens à Madagascar. Les chemins évolutionnaires se développant sur le très long terme, l'évolution ne peut agir qu'avec le "matériau" qu'elle a sous a la main à un endroit et un moment donné : ainsi il n'y a pas de forme optimale qui sort de la fabrique de la nature, mais des formes qui tendent vers l'optimisation et qui sortent d'un réservoir biologique donné, lui même déterminé par ses millions d'années d'histoire évolutionnaire. Ainsi un oiseau (le kiwi) peut évoluer pour occuper la niche écologique d'un rongeur, mais il ne va pas se transformer en rongeur, de même que les rongeurs ne deviennent pas des kiwis. Donc, on a à la fois convergence (vers des traits adaptatifs précis) et hasard (chaos évolutionnaire à partir duquel émergent ou non les traits adaptatifs précis).
Les marsupiaux australiens convergent avec leurs homologues placentaires
: taupe marsupiale – taupe ; phalanger volant – vrais écureuils
volants ; wombat – marmotte commune ; dasyure – chat sauvage ; thylacine
– loup :
L'auteur raconte avec grands détails les expérience qu'il a mené sur des ilots où ont été introduits des lézards qui, preuve par l'observation, ont évolué pour s'adapter à leur nouvel environnement. Les choses peuvent aller vite, par exemple : une tempête balaie tous les lézards qui ont des pattes trop petites pour bien s'accrocher, ou une période de sécheresse tue tous les lézards dont la taille les rends moins résilients, et hop, en quelques années on a des changements significatifs chez leurs descendants, des changements qui tendent à répondre à des pressions évolutionnaires bien précises. Les îles sont les environnements parfaits pour observer ces phénomène, pour les oiseaux également.
La capacité de l'évolution à agir très rapidement d'autant plus frappante pour les micro-organismes, notamment concernant leur résistance toujours croissante aux antibiotiques et aux pesticides. Étonnamment, tout le monde est conscient de cet exemple de la rapidité des processus évolutionnaires, sans pleinement le réaliser !
Il y a de nombreuses autres expériences évoquées, notamment à propos des pinsons "de Darwin", qui comme les lézards répondent extrêmement vite aux pressions évolutionnaires, les poissons guppy, dont la couleur évolue en fonction de plusieurs facteurs dont la présence ou non de prédateurs, et la bactérie E. coli (expérience de Lenski), qui offre peut-être l'exemple le plus frappant de mutation purement aléatoire aux conséquences énormes.
Sur le plan végétal, notons aussi l'expérience de Park Grass, où depuis plus de 100 ans des parcelles de terres amendées différemment sont laissées à elles-mêmes. Ce n'était pas l'objectif initial, mais aujourd'hui c'est très utile pour examiner l'évolution des végétaux dans différentes niches maintenues sur du temps long. Chaque parcelle est ainsi devenue différente des autres, et les plantes ont évolué pour s'adapter à leur sol particulier.
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