mardi 28 août 2018
Burmese Days - George Orwell
Un roman particulièrement déprimant, basé sur l’expérience d'Orwell alors qu'il était officier de police en Birmanie entre 1922 et 1927, c'est à dire vers la fin de l'empire britannique. Flory habite dans une petite ville isolée dans la jungle, il s'occupe du commerce du bois. Il y a là moins d'une dizaine d'anglais et 4000 birmans. Le grand malheur de Flory est d'avoir un peu d'imagination. Il est bloqué dans une micro société qui se complait dans le racisme, les potins, la vulgarité et l'alcool, et qui, pour résumer, est susceptible de pousser à la dépression tout homme modérément progressiste et cultivé. Cette société, c'est celle du Club : c'est là que les blancs se serrent les coudes et maintiennent leur position de pouvoir. Et même la plupart des birmans sont éblouis par le prestige et le pourvoir de l'homme blanc. Le docteur birman, seul ami de Flory, est sincèrement persuadé que les européens sont naturellement supérieurs aux asiatiques. U Po Kyin, l'officiel birman qui sert de vilain de l'histoire (c'est à dire qu'il est encore pire que tous les autres) a pour ambition ultime son intégration dans le Club. Et dans ce but, il manipule, il complote, il intrigue horriblement. A part le docteur et Flory, qui, bien que faible, fait preuve d'un minimum d'esprit, les personnages, pour la plupart, sont détestables. Elizabeth, par exemple, la jeune femme qui se retrouve au fond de la jungle birmane, réveille le cœur fatigué de Flory. Mais c'est à peine si elle a une existence réelle, elle n'est que le miroir de l'opinion générale, ses sentiments fluctuent avec les remous du prestige, elle ne sait parler que de météo, de chasse ou de chevaux et méprise toute activité qui soit ne serait-ce que vaguement intellectuelle. Mais comment lui en vouloir ? Elle n'est que le produit d'une société où son seul espoir de vie décente est un mariage avantageux. On imagine aisément Orwell, piégé pendant des années dans l'horreur des institutions coloniales anglaises, ne pouvant jamais exprimer son identité intime. Burmese Days est un roman parfois ennuyeux, à rapprocher de Conrad, mais qui analyse fort bien les tréfonds du colonialisme et l'horreur de la solitude d'un homme forcé de vivre parmi des êtres avec lesquels il n'a rien de commun.
272 pages, 1934, penguin
jeudi 23 août 2018
Le Vrai Classique du vide parfait - Lie-Tseu
Un classique du taoïsme au format un peu surprenant. C'est essentiellement un recueil de fables philosophiques, imprégnées de mythologie et de magie. En extraire le contenu philosophique est souvent ardu. Je ne crois pas que l'ensemble soit le travail unifié d'un seul auteur, ça ressemble plutôt à recueil composé en patchwork. Comme c'est précisé en préface, Le Vrai Classique aide un peu le novice à comprendre la différence entre taoïsme et confucianisme (Confucius est un personnage qui apparait régulièrement au cours des aphorismes). Alors que le taoïsme prône le détachement du monde, le non-être, le confucianisme est plus orienté vers une « activité diligente au sein du corps social ». (p.27) Voilà une opposition qui ressemble fortement à celles de l'antiquité européenne. Ainsi, Confucius ne comprend guère les taoïstes :
Confucius demanda : « Maître, qu'est-ce qui vous rend si joyeux ? » L'autre répondit : « Mes joies sont multiples. Parmi les dix mille choses que le ciel créa, l'être humain est le plus noble ; or, je suis un être humain. Voilà ma première joie. [...] Le sort normal du sage est d'être pauvre, le destin de l'homme est de mourir. Pourquoi m'attrister alors que mon sort est normal et que mon destin est celui de tous les humains ? » Confucius dit : « Heureux qui peut être aussi détaché. » (I, 5)Un exemple de ce concept troublant qu'est le non-être :
Quelqu'un s'adressa au philosophe Lie tseu et lui demanda : « Pourquoi tenez-vous le vide en si grand estime ? » Lie tseu répondit : « Le vide n'a que faire de l'estime. Si l'on veut être sans nom, rien ne vaut le silence, rien ne vaut le vide. Par le silence et le vide, on atteint ses demeures. Mais celui qui prend, celui qui donne perd ses demeures. Quand les choses de ce monde se gâtent, il y a des gens qui s'évertuent à vouloir les réparer au moyen de la vertu et des devoirs, mais bien en vain ! » (I, 9)Et, tout aussi troublant, le portrait d'un sage qui reste souvent immobile comme une statue et ne parle pas :
Quand on a obtenu ce qu'on demandait, pourquoi encore parler ? Ainsi le sage se tait quand il a trouvé la vérité. Le silence de Nan kouo tseu est plus significatif qu'aucune parole. Son air d'indifférence recouvre une science parfaite. Cet homme ne parle ni ne pense plus, car il sait tout. Cela n'a rien d'étrange. (IV, 5)Toujours dans le même genre, le mot troublant étant encore une fois adapté (je me demande dans quelle mesure cette pensée est liée à la vision d'un monde stable, où la notion de progrès n'existe guère) :
Yang Tchou dit : « Celui qui fait le bien le fait non pas en vue de la renommée ; cependant cette dernière le suit. La renommée n'a rien à voir avec le profit, cependant le profit la suit. Le profit n'a rien à voir avec les disputes, cependant au profit s'attachent les disputes. C'est pourquoi l'homme de bien se gardera de faire le bien. » (VII, 31)Un passage qui me rappelle Marc Aurèle ou Sénèque, mais avec en plus un détachement plus fort, presque désinvolte :
Maître Lie tseu dit en souriant : « Celui qui prétend que le ciel et la terre s'abîmeront ne sait pas de quoi il parle. Celui qui prétend qu'ils ne s'abîmeront pas est également dans l'erreur. Si le monde doit finir ou non, c'est ce que nous ignorons. En tout cas que l'un prétende ceci, que l'autre prétende cela, c'est tout un. Les vivants ne comprennent pas la mort, les morts ne comprennent pas la vie. L'avenir ne comprend pas le passé, le passé ne comprend pas l'avenir. Que le monde ait une fin ou non, pourquoi nous encombrer l'esprit de ce souci ? » (I, 11)Un aphorisme particulièrement limpide et à la prose envoutante :
Long Chou s'adressa à Wen Tche et dit : « Votre art est subtil et j'ai une maladie. Pouvez-vous la guérir ? » Wen Tche dit : « Je suis à votre disposition, mais j'attends que vous m’indiquiez les signes de votre maladie. » Long Chou s'expliqua : « La louange de mes concitoyens ne me procure pas la satisfaction de l'honneur et je ne ressens pas de la honte à cause de leur blâme. Le gain ne me réjouit pas et la perte ne m'afflige pas. Je considère la vie à l'égal de la mort et la richesse à l'égal de la pauvreté. Quant aux humains, ils me paraissent valoir autant que des porcs et moi-même je me considère comme les autres. Je vis au sein de ma famille comme un voyageur à l’auberge. Ma patrie est pour moi comme un pays étranger. A l'encontre de ces défauts, dignités et récompenses sont sans effet ; blâmes et châtiments ne m'effraient pas ; grandeur et décadence, profits et pertes n'y feraient rien, non plus que les deuils et les joies. C'est pourquoi je n'ai aucune aptitude à servir le prince ni à entretenir des rapports normaux avec mes parents et mes amis, avec ma femme et mes enfants, et je gouverne mal mes domestiques. De quelle sorte de maladie suis-je affligé et comment m'en guérir ? » Wen Tche fit tourner Long Tchou le dos à la lumière et lui-même se mit derrière son patient pour examiner sa silhouette qui se découpait dans la lumière. Il dit alors : « Je vois bien votre cœur : c'est un pouce carré de vide ! Vous êtres presque comme un saint. Six ouvertures de votre cœur sont parfaitement libres et une seule ouverture reste fermée. Par le temps qui court, on tient la sainte sagesse pour maladie. Sans doute est-ce là votre maladie. A cela, je ne connais pas de remède. » (IV, 8)Cette fois, on croirait vraiment lire un stoïque :
Parmi les gens de Wei on trouvait un homme du nom de Wou, de Tong-men. La mort de son fils ne l'affectait en aucune façon. L'intendant de la maison lui dit : « Nulle part dans le monde, on ne trouverait personne qui aimât autant que vous votre fils et, maintenant qu'il est mort, vous n'en ressentez aucune tristesse. Est-ce possible ? » Wou de Tong-men dit : « Il y eut un temps où je n'avais pas de fils : à cette époque, je ne ressentais aucune tristesse. Maintenant mon fils est mort : je suis revenu de nouveau au temps où je n'avais pas d'enfant. Pourquoi serai-je triste ? » (VI, 13)Et pour conclure, une petite destruction de l'anthropocentrisme :
T'ien de Ts'i donnait un banquet dans la salle des ancêtres. Mille invités y prenaient part. Lorsqu'un apporta à table des poissons et des oies, il les considéra en soupirant : « Comme le ciel est généreux, dit-il, envers les hommes. Il leur donne les cinq céréales. Pour leur usage, il fait naître les poissons et les oies. » Tous les hôtes approuvèrent bruyamment. Mais le fils du seigneur P'ao, âgé de douze ans, exposa ses méditations à ce sujet en disant : « Cela ne se passe pas comme l'affirme le maître de céans. Tous les êtres, dans le monde, possèdent une vie de même qualité que la nôtre. Il n'y en a pas de nobles et de vils, mais les uns surpassent les autres par la taille, la ruse et la force et non pas parce que les uns seraient nés pour les autres. Ce que l'homme trouve comestibles, il le mange. Mais il n'a pas été créé à l'origine par le ciel pour les hommes. Les cousins et les moustiques provoquent sur notre peau des piqûres, les loups et les tigres nous dévorent. Cela ne signifie nullement que le ciel a produit, à l'origine, l'homme et sa chair pour les cousins et les moustiques, pour les loups et les tigres. » (VIII, 28)252 pages, folio
dimanche 19 août 2018
Sapiens : A Brief History Of Humankind - Yuval Noah Harari
Yuval Noah Harari distingue trois étapes majeures dans l'évolution humaine : la révolution industrielle, la révolution agricole et la révolution cognitive, il y a 70000 ans. Cette dernière, moins connue que les autres, donne au livre son argument principal : homo sapiens devrait son succès à sa capacité à créer de la fiction. Mais avant d'aller plus loin là-dessus, l'auteur revient sur un détail souvent oublié : « The real meaning of the word human is "an animal belonging to the genus Homo", and there use to be many other species of this genus besides Homo sapiens. » (p.5) En effet, les Neandertal, Homo denisova, Homo ergaster et les autres vivaient en même temps qu'Homo sapiens. Après la révolution cognitive, sapiens a été en mesure d'éradiquer ses concurrents. Selon l'auteur, la taille maximale d'un groupe pouvant communiquer par le langage est de 150 individus, ce qui est déjà mieux que les chimpanzés par exemple, qui sont rarement plus de 100. Le langage favorise l'échange d'informations et donc la cohésion du groupe, mais il a ses limites. Du coup, ce seraient les mythes (la religion est l'exemple le plus parlant) qui permettraient la cohésion de sociétés plus vastes. Les individus, même s'ils ne se connaissent pas personnellement, peuvent plus aisément de faire confiance s'il partagent les mêmes croyances, la même imagination collective. Or, l'imagination collective peut changer à une très grande vitesse, contrairement aux gènes. La révolution cognitive serait ainsi la capacité pour l'homo sapiens de ne plus avoir à attendre les évolutions génétiques pour pouvoir modifier drastiquement son ordre social.
Plus loin, l'auteur argumente que la révolution agricole a eu pour conséquence une baisse du niveau de vie humain. On peut penser au remplacement d'un régime varié à un régime unique, qui en plus d'être inadapté d'un point de vue nutritionnel soumet les populations à la menace d'une mauvaise récolte, et, moins évident, au développement des guerres. « The early farmers were at least as violent as their forager ancestors, if not more so. Farmers had more possessions and needed land for planting. The loss of pasture land to raidind neighbours could mean the difference between subsistance and starvation, so there was much less room for compromise. When a foraging band was hard-pressed by a stronger rival, it could usually move on. It was difficult and dangerous, but it was feasible. When a strong ennemy threatened an agricultural village, retreat meant giving up fields, houses and granaries. In many cases, this doomed the refugees to starvation. Farmers, therefore, tended to stay and put and fight to the bitter end. » (p.92) Mais d'un point de vue évolutionnaire la révolution agricole reste un succès : « This is the essence of the agricultural revolution : the ability to keep more people alive under worse conditions. »
Revenons sur la capacité de l'homme à créer de la fiction. Comment accepte-t-il cette fiction comme une réalité ? Yuval Noah Harari distingue trois causes :
- L'ordre imaginé est incorporé dans le mon matériel. Exemple : les occidentaux actuels croient en l'individualisme. Conséquence : ils construisent leurs habitats autour de pièces individuelles. Ainsi, la notion d'espace privé semble aller de soi. A l'inverse, un adolescent médiéval n'avait pas d'espace privé.
- L'ordre imaginé façonne nos désirs. Exemple : le désir de vivre des expériences, comme les voyages, jugées importantes pour l'épanouissement personnel, est façonné par des valeurs comme le consumérisme et le romantisme. A l'inverse, « a wealthy man in ancient Egypt would never have dreamed of solving a relationship crisis by taking his wife on holyday to Babylon. Instead, he might have built for her the sumptuous tomb she has always wanted. » (p.130)
- L'ordre imaginé est inter-subjectif. C'est à dire que, contrairement à un phénomène objectif qui existe indépendamment de la conscience et des croyances humaines, et contrairement à un phénomène subjectif qui existe uniquement dans la conscience et les croyances d'un seul individu, un phénomène inter-subjectif existe dans les liens reliant plusieurs subjectivités. « If a single individual changes his or her beliefs, or even dies, it is of little importance. However, if most individuals in the network die or change their beliefs, the inter-subjective phenomenon will mutate or disappear. » (p.132)
Yuval Noah Harari consacre des chapitres aux trois ordres universaux qui ont forgé la société humaine : l'ordre économique (monétaire), l'ordre politique (impérial) et l'ordre religieux. Je crois que c'est ce dernier qui m'a le plus intéressé. L'auteur associe la révolution agricole à une révolution religieuse : « Hunter-gatherers picked and pursued wild plants and animals, witch could be seen as equal in status to homo sapiens. The fact that man hunted sheep did not make sheep inferior to man, just as the fact that tigers hunted man did not make man inferior to tigers. Beings communicated with one another directly and and negociated the rules governing their shared habitats. In contrast, farmers owned and manipulated plants and animals, and could hardly degrade themselves by negociating with their possessions. Hence the first religious effet of the agricultural revolution was to turn plants and animals from equal members of a spiritual round table into property. » (p.236) Les dieux auraient été des médiateurs entre les hommes et les plantes et animaux devenus muets après la dégradation de l'animisme. Un petit rappel concernant le polythéisme : « The fundamental insight of polytheism, witch distinguishes it from monotheism, is that the suprem power governing the world is devoid of interests and biases, and therefore it is unconcerned with the mundane desires, cares and worries of humans. It's pointless to ask this power for victory in war, for health of for rain, because from its all-encompassingvantage point, it makes no difference whether a particular kingdom wins or loses, whether a particular city prospers or withers, whether a particular person recuperates or dies. The Greeks dis not waste any sacrifices on Fate, and Hindus built no temple to Atman. » La conséquence de ces croyances est la suivante : « The insight of polytheism is conducive to far-reaching religious tolerance. Since polytheists believe, on the one hand, in one supreme and completly disinterested power, and in the other hand in many partial and biased powers, there is no difficulty for the devotees of one god to accept the existence and efficacity of other gods. Polytheism is inherently open-minded, and rarely persecutes "heretics" and "infidels". » (p.239) Ainsi, dans les 300 ans entre la crucifixion du Christ et la conversion de l'empereur Constantin, les romains n'auraient pas tué plus de quelques milliers de chrétiens. Et ce n'était pas à cause du dieu qu'ils vénéraient, mais à cause de leur refus d'accepter les dieux traditionnels. Ajouter un dieu n'est pas un souci pour le polythéisme. L'auteur rappelle la survie du polythéisme dans le monothéisme : « Christianity, for exemple, developed its own pantheon of saints, whose cults differed little from those of the polytheistic gods. » (p.244) C'est particulièrement frappant dans l'orthodoxie, comme j'ai pu le voir en Grèce : les orthodoxes vénèrent des saints et embrassent leurs images. C'est vu comme une façon de se rapprocher de Dieu en se rapprochant des élus qui été proches de Dieu. Les monothéismes portent également beaucoup de traces des dualismes : «Another key dualistic concept, particulary in Gnosticism and Manichaeanim, was the sharp distinction between body and soul, between matter and spirit. Gnostics and Manichaeans argued that the good god created the spirit and the soul, whereas matter and bodies are the creation of the evil god. Man, according to this view, serves as a battleground between the good soul and the evil body. From a monotheistic perspective, this is nonsense - why distinguish between so sharply between body and soul, or matter and spirit ? And why argue that body and matter are evil ? Afterall, everything was created by the same good god. But monotheists could not help but be captivated by dualist dichotomies, precisely because they helped them adress the problem of evil. » (p.248)
Pour expliquer la montée de l'esprit scientifique en Europe à l'occasion de la renaissance, l'auteur utilise un exemple particulièrement bien trouvé, avec deux illustrations. Une carte du monde de 1459, d'origine européenne, est entièrement complète, quitte à dessiner des côtes fictives : ainsi, le monde est fermé, contrôlé. A l'inverse, une autre carte, de 1525, est essentiellement constitué de vide. Les parties du monde inconnues sont, sur la carte, admises comme inconnues. L'acceptation de l'ignorance est le premier pas vers la connaissance.
Je fatigue un peu, alors je me résous à être plus concis pour la suite. Un autre chapitre qui m'a passionné est celui sur le capitalisme. Ayant plutôt tendance à fréquenter des courants de pensée ayant un rapport plus ou moins hostile au capitalisme, c'est une bouffée d'air frais que d'avoir ici un tour d'horizon des ses bienfaits. Pas que des bienfaits, bien sûr : mais je suis moins familier avec les qualités historiques du capitalisme qu'avec ses défauts modernes. Yuval Noah Harari explique très bien le développement du concept d'investissement, qui, grâce à la puissance d'une toute nouvelle foi en l'avenir liée au développement de la science, permet une accélération inédite du progrès humain.
La dernière partie, qui s’intéresse à l'avenir, peut sembler franchement banale pour qui lit un peu de science-fiction. L'avant dernière partie en revanche, qui s'intéresse au bonheur, est captivante car elle mêle notions de philosophie et recherche scientifique. En somme, Sapiens : A Brief History Of Humankind est un bouquin qui charme par la variété de toutes les idées qui en débordent et par le vaste recul pris par l'auteur, qui aborde l'humanité un peu comme une blague cosmique et frise ainsi régulièrement l'humour. A moins que ce ne soit que mon propre regard.
480 pages, 2011, vintage
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jeudi 16 août 2018
The Broom of the system - David Foster Wallace
Un roman publié quand David Foster Wallace avait 24 ans. C'est très ambitieux, on sent que l'auteur ne manque pas d'un certain talent, mais mais la plupart de ce qu'il tente tombe à plat. Et au final, l'ambition se transforme en prétention. L'intrigue est volontairement difficile à suivre et n'offre aucune résolution. Les personnages son globalement désagréables, et passent beaucoup de temps à parler pour ne rien dire. C'est d'ailleurs une bonne façon de décrire le livre : Wallace écrit beaucoup, et il y écrit bien, alors on continue à lire. Mais souvent, on se demande si ce qu'on lit mérite de l'être. Si j'en croit l'éditeur, The Broom of the system explore « the paradoxes of language, storytelling, and reality. » Si c'est une façon de dire que c'est non linéaire, plutôt original, plein de jeux de mots et globalement peu concerné par l'idée de raconter une histoire cohérente, alors certes. Il y a quelques moments de brillance qui viennent illuminer l'ensemble, notamment cette scène où le gouverneur de l'Ohio décide de construire un désert artificiel pour apporter un peu de nécessaire désolation à ses citoyens. Et le désert est un succès : il devient un lieu touristique, bondé en permanence. Alors on hésite, parfois on s'ennuie, parfois on rigole, parfois on se dit que c'est bien prétentieux quand même, et parfois on se laisse simplement prendre par la prose de Wallace. Je tenterai de lire son roman majeur, Infinite Jest, si j'en l'occasion.
467 pages, 1987, penguin
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mercredi 15 août 2018
The Wandering earth - Liu Cixin
Pour dire les choses rapidement : Cixin Liu se révèle aussi capable de déployer de la SF puissante et intelligente en nouvelles qu'en romans.
- The Wandering earth
- Mountain
- Sun of China
- For the benefit of mankind
- Curse 5.0
- The micro era
- Devourer
- Taking care of god
- With her eye
- Cannonball
447 pages, head of zeus
mardi 14 août 2018
The Fountainhead - Ayn Rand
Après avoir lu Anthem, je me demandais si les romans suivants d'Ayn Rand seraient plus matures. Alors ? Oui et non.
Non, parce que la philosophie déployée par Ayn Rand est toujours aussi peu subtile. Quelques exemples tirés du discours de fin d'Howard Roark, l'architecte de génie qui doit lutter contre un monde qui maltraite les individualistes comme lui : « All that witch proceds from man's independant ego is good. All that witch proceds from man's dependance upon men is evil. » (p.668) Rand fait des absolus. Le bien et le mal sont clairs, nets, séparés. « The creator originates. The parasite borrows. The creator faces nature alone. The parasite faces nature through an intermediary. » (p.679) D'un côté il y a les bons, les forts, les indépendants, les héroïques. De l'autre, les dépendants, les socialistes, les travailleurs sociaux : des parasites. Une division du monde aussi claire, c'est agréable, certes. Il est plaisant de tout catégoriser de façon aussi limpide. Mais c'est illusoire. Le monde est gris. Complexe. Quoi qu'il en soit, cette division est erronée. D'un point de vue évolutif, l'homme de base qui lutte pour la survie de son groupe, par dépendance envers son groupe, est tout aussi important que le rare génie qui invente la roue ou domestique le feu.
Il y a du bon dans cet amour de l'égo, cet amour de l'indépendance. Je le sais intimement. Cultiver l'individualité, c'est cultiver un esprit critique, une pensée honnête, un précieux goût pour l’originalité. Mais mettre l’extrême individualité sur un piédestal, c'est se leurrer. Prenons par exemple la fameuse, ou malfamée, scène du viol. Roark, avatar de l'homme parfait selon Ayn Rand, désire Dominique. Alors il viole Dominique. Pas de souci : c'était ce que Dominique voulait. Un fantasme, en gros. Et Roark l'a de deviné. Très bien, Roark ne peut pas se tromper : étant lui-même le fantasme d'Ayn Rand, il est parfait. Mais le problème, c'est que dans la vie réelle, les gens se trompent. Dans la vie réelle, peut-être que le fantasme de Dominique serait un diner aux chandelles, ou un sensuel massage des orteils. Et c'est pour ça que les gens se parlent, communiquent, cherchent le compromis. Le compromis n'est pas nécessairement un mal, comme l'affirme Rand. C'est un outil capital de paix, d'entente, de vivre ensemble. Roark ne fait jamais de compromis. C'est le meilleur architecte du monde, point final, et les autres doivent accepter intégralement sa vision ou se passer de ses services. Et si tous les professionnels se targuant d'être bons faisaient pareil ? Et si les bons libraires décidaient pour le lecteur ce qu'il doit lire ? Serait-on mieux servi que dans le communisme qui a traumatisé Rand ? Ensuite, cette notion de « meilleur ». Roark est le meilleur parce qu'il est né ainsi. Il est né intelligent et indépendant. Pourquoi pas : nous naissons tous différents, d'esprit comme de physique. Mais ici, le physique est lié à l'esprit. Roark est beau, mince, musclé. A l'inverse, le méchant communiste, Toohey, est frêle et faible. C'est le genre d'association qu'on tolère dans les productions de divertissement américaines qui ont forgé les opinions de Rand, mais qui devient problématique quand on prétend faire de la philosophie.
Le système de Rand est un fantasme. Les inclinaisons personnelles entre dépendance et indépendance sont bien réelles : Rand, traumatisée par le communisme où, née indépendante, elle est violentée par le règne de la dépendance, rêve de l'individualisme total et parfait. Dans sa préface, elle raconte une scène où son mari la réconforte longuement alors qu'elle désespère de finir son roman, ce qui lui redonne de la force. Mais dans le roman en question, Roark est en conflit professionnel terrible avec son amante : elle veut le ruiner en tant qu'architecte, car elle pense que le monde ne mérite pas son génie, ou quelque chose comme ça. Roark, comme il est parfait, aime ça : ça lui fait juste du défi en plus. Rand aurait-elle aimé que son mari se comporte ainsi ? Non : parce que dans la vraie vie, même quand on est très indépendant, l'entraide, c'est positif. Et pas seulement l'entraide basé sur l'intérêt personnel, comme le conçoit Rand.
Alors, The Fountainhead est donc un mauvais roman ? Pas du tout : c'est excellent. J'ai adoré. C'est en cela que c'est une œuvre mature : Rand parvient dans la fiction à donner une intense cohérence à sa philosophie douteuse. Tous ses personnages sont les incarnations d'une position par rapport à son système. Roark est l'absolu, guidé par une inaltérable force intérieure. Dominique est proche de l'absolu, mais trop éloignée pour affronter le monde : alors elle le hait et entretient avec lui une relation provocatrice et auto-destructrice. Keating est l'homme de la foule, celui qui renie son identité pour suivre le flot des masses. Wynand est l'homme grandiose mais résigné, qui a mis son génie au service de la foule, seule façon de ne pas se faire dévorer par elle. Et Toohey est le vil socialiste, incarnant toute la haine de Rand pour collectivisme. Ces personnages sont extrêmes, et c'est ce qui fait leur charme. On se laisse aisément prendre à leur quête d'individualité, et pour Toohey, à sa quête de pouvoir. Toohey est d'ailleurs le vecteur d'un brillant monologue sur le totalitarisme soviétique. Les idées sont des armes, et le monde un champ de bataille métaphoriquement sanglant, jonché de victimes et de soldats fanatiques, où s'affrontent individualisme et collectivisme. Une vision terriblement réductrice, mais qui le temps d'un long roman à idées diablement bien mené emporte aisément par sa fougue narrative tout en stimulant abondamment l'esprit, et l'esprit critique en particulier en ce qui me concerne. J'ai hâte de lire Atlas Shrugged.
694 pages, 1943, signet book
lundi 13 août 2018
Manuscrit trouvé à Saragosse - Jean Potocki
Un roman hors normes. Écrit sur de nombreuses années, le Manuscrit trouvé à Saragosse est difficilement descriptible. Les récits insérés se multiplient, les personnages des histoires racontent d'autres histoires où d'autres personnages prennent la parole pour en transmettre encore une autre. Même les personnages finissent par se plaindre qu'on ne comprend rien à cet entremêlement d'intrigues. Et cette autodérision de la part de l'auteur est de la fausse modestie : son récit, malgré sa complexité, est clair de bout en bout. Clair et riche. Je cite la quatrième de couverture pour essayer, vainement, de pointer les genres auxquels s'attaque Potocki : « roman picaresque, conte fantastique, récit libertin, fable philosophique... » On passe entre autres choses de récits historico-fantastiques à des amourettes espagnoles, et le plus surprenant, c'est que même les nombreuses intrigues amoureuses son diablement bien menées. Dans toute cette variété, il est inévitable que l'intérêt retombe parfois selon les goûts du lecteur, mais la qualité reste globalement constante. Mon histoire favorite est certainement celle du pèlerin maudit, une excellente variation sur le thème de Faust et la quête de la connaissance. Il amusant de constater chez Potocki un mélange de scepticisme, qui a tendance à expliquer rationnellement les événements surnaturels, et un vrai goût pour le fantastique, car la raison n'explique pas toujours tout.
613 pages, 1794-1810, le livre de poche
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