mercredi 28 septembre 2016
Eden - Stanislas Lem
Un peu comme dans The Invicible, une petite équipe plante son vaisseau sur une planète inconnue et essaie de comprendre ce nouveau monde. Premier point à noter : l'écriture, ou plus probablement la traduction, est très mauvaise. On fronce régulièrement les sourcils devant l'emploi invraisemblable de certains mots, et les dialogues sont souvent terriblement maladroits. Ensuite, on ne comprend rien à ce qu'il se passe pendant 200 pages. Problématique pour un roman qui en fait 248. C'est l'exploration de la planète, et on a droit un une multitude de descriptions géographiques et architecturales qui peinent un peu à faire naitre dans l'esprit du lecteur (le mien en tous cas) des images un minimum claires. Et quelques escarmouches avec les locaux, dont le comportement est très... flou. Ce n'est guère passionnant, mais il faut bien reconnaitre que l'on est tout de même curieux d'en savoir plus sur cette planète. Et bien on ne saura pas grand chose. Sur la fin, nos chers humains parviennent enfin à entrer en communication avec un local. L'un d'eux se pointe dans leur vaisseaux pendant qu'ils regardaient ailleurs, et leur dit coucou. Sérieusement, c'est la deuxième fois du roman qu'un alien rentre tranquillement chez eux sans qu'ils ne s'en aperçoivent. Bref, ces quelques dizaines de pages d'interactions avec une intelligence extraterrestre sont de loin les plus intéressantes. Mais pourquoi nous avoir fait errer pendant 200 pages avant ? Sans doute pour poser les mystères, et pouvoir les résoudre ensuite. Technique très discutable quand l’intérêt de l'exploration laisse à désirer. D'autant plus que pas grand chose n'est résolu, finalement. On a une ébauche de l'organisation sociale de la planète, et puis, ben, voilà, nos héros se barrent. Fin. Je sais bien que l’absence de résolution est justement le propos du livre : la difficulté de communiquer avec des entités si étrangères. Mais c'est juste... ennuyeux. Les problèmes de communication entre différentes races sont bien mieux traités dans La paille dans l’œil de Dieu par exemple, ou d'autres romans de Lem, comme Solaris ou même The Invicible. Il y a aussi quelques réflexions sur l’interventionnisme, mais rien qui n'arrive à la cheville de Il est difficile d’être un Dieu. Eden est certainement handicapé par sa traduction française, mais en l'état, c'est fort médiocre.
248 pages, 1959, bibliothèque marabout
mercredi 21 septembre 2016
Les jardins statuaires - Jacques Abeille
Les jardins statuaires, c'est de la fantasy qui, étrangement, a le privilège de se mêler à la littérature générale. On trouve en quatrième de couverture cette petite description : « À la fois récit d'aventure, conte initiatique et rêve éveillé... » Oui, bon, c'est de la fantasy quoi. Ce doit être la grande sobriété de l'ensemble et l'écriture d'un classicisme parfois lassant qui permettent à ce roman de passer à travers les mailles du filet. Et, comme toute fantasy qui se respecte, il y a un certain nombre de suites prenant place dans le même univers.
Tout commence comme un récit d'exploration. Un voyageur anonyme raconte à la première personne sa découverte progressive de la contrée des jardins statuaires. Et, bien que parfois très lent, le roman m'a tout à fait séduit dans sa première moitié, voir ses deux premiers tiers. Et ce pour une raison toute simple : le curiosité de découvrir un monde étrange et ses mœurs. Ici, dans de nombreux domaines isolés les uns des autres, les hommes cultivent les statues comme d'autres cultivent les fraisiers ou les poireaux. Il se dégage de ce monde une aura de mystère calme, et, comme le voyageur, on a envie d'en savoir plus, de partir en randonnée pendant des semaines dans cette région à la fois accueillante et oppressante.
Mais une fois que l'exploration est terminée, l’intérêt retombe, et ce pour plusieurs raisons. Le narrateur n'a guère de profondeur psychologique. Tant qu'il n'est qu'un voyageur, c'est parfait : il est principalement défini par sa curiosité, tout comme le lecteur. Mais quand le récit s'attache ensuite à sa vie personnelle, cela tombe un peu à plat. La vague histoire d’amour n'est guère intéressante, et les quelques personnages féminins ont presque tous l'inexplicable manie de venir la nuit se frotter à lui. Ensuite, le monde perd beaucoup de son charme. Une fois l'exploration terminée, les jardins statuaires semblent terriblement figés et peu intéressants, définis par quelques traditions que l'on pourrait résumer en deux ou trois pages. C'est un peu un problème que j'ai avec la fantasy en général : il n'y aucune impression de progrès, tout est comme tout a toujours été et sera toujours. Une fois le voile de mystère enlevé, on n'a plus l'impression d'une société vivante, peuplé d'une infinie variété de personnalités, coutumes et possibilités. Juste un unique tableau, froid et immuable. Au pire, les barbares du nord vont semer un peu le chaos, c'est tout.
L’intérêt des Jardins statuaires vient du sentiment d'explorer un monde étrange et différent. Et le roman est très bon à cela, il m'a vraiment happé pendant plusieurs centaines de pages. Mais le chemin est plus intéressant que la destination, et une fois ce monde cerné, on s'y attarde trop longtemps, et la magie retombe. La région devient comme les statues qui y poussent, immobile et stérile.
573 pages, Folio
vendredi 16 septembre 2016
Des Anges Mineurs - Antoine Volodine
Ce roman m'a laissé froid comme aucun autre ne l'avait fait depuis un bon moment.
Des Anges Mineurs est passé à des années lumières de ma sensibilité. C'est 218 pages d'ennui profond, total, absolu. Quarante-neuf chapitres, pardon, narrats, qui font surgir l'image d'un monde russo-asiatique en ruine, dans lequel l'humanité approche de la fin. Et des ébauches de personnages qui errent là-dedans, dans le vague. Et que c'est ennuyeux, que c'est vide. Je ne sais pas quoi en dire tellement ce roman me semble plein de néant. Quelques rares passages ont éveillés en moi un commencement d’intérêt, notamment cette petite séance culinaire de curry au poulet... à la mouette. Mais à part ça, rien, que dalle. Je ne crois pas avoir esquissé un seul sourire de toute ma lecture. Je m'en veux presque d'écrire ces quelques lignes pleines de négativité, mais là, je ne sais pas à quoi je pourrais me raccrocher. Il faut croire que le post-exotisme, c'est pas mon truc.
218 pages, 1999, Points
Libellés :
Littérature,
Science fiction,
Volodine Antoine
jeudi 15 septembre 2016
La Petite Auriculaire - Réécriture du Petit Poucet
The Little Girl with Red Headscarf Nicolae Grigorescu |
Il
était une fois un bûcheron et une bûcheronne qui avaient sept
enfants, tous garçons ; sauf la cadette, une petite fille de
sept ans. Comme elle était la plus jeune, elle était la plus petite
et la plus frêle, et c'est pour cela qu'on l’appelait la petite
Auriculaire, car c'est le plus frêle doigt de la main. Le père et
la mère travaillaient du matin au soir mais cela ne suffisait pas à
remplir les assiettes. Souvent les enfants devaient se contenter de
quelques racines, baies ou fruits sauvages. Mais l'hiver arrivait et
les parents ne pouvaient songer un instant à leur situation sans
sombrer dans le désespoir.
Les
enfants faisaient ce qu'ils pouvaient pour ramener de la nourriture à
la maison. L’aîné, débordant de fierté, a même rapporté une
fois un gros lapin. La petite Auriculaire avait pris le petit
mammifère en affection, et avait versé quelques larmes quand l’aîné
eut le privilège de l'égorger. Mais il y avait maintenant des mois que
la famille n'avait pas mangé de viande. Les enfants, débordant
d'une colère causée par la faim, reportaient leur mauvaise humeur
sur leur petite sœur. Ils se moquaient d'elle, parfois même ils la
frappaient. La petite Auriculaire, de nature calme et discrète,
voyait ces traits renforcés par le comportement de ses frères, et
elle n'ouvrait quasiment jamais la bouche. Un soir, jetée hors de la
chambre commune des enfants par ses frères, comme cela arrivait
souvent, elle se réfugia sous une couverture élimée dans le coin
sombre de la pièce principale qu'elle connaissait bien. Comme elle
était si frêle et si discrète, ses parents, restés prêt du feu
faiblissant, ne l'avaient pas vue et, sans le vouloir, elle entendit
leur conversation. Les flammes tremblantes du feu donnaient aux
traits du père une expression de chagrin profond. Il regardait
fixement les braises quand il dit à sa femme : « C'est
fini. On ne peut plus les nourrir. » « C'est bien vrai, mais
que faire ? Il faut essayer. Essayer de faire tout ce qu'on
peut. » « Non. Tu sais bien que ce n'est plus possible.
Tu le sais. » Le père fit une longue pause, avant de
continuer : « Tu te souviens de ces gens dont je t'ai
parlé ? Ils paient bien. De l'argent bien propre, bien net.
C'est la seule chose à faire. La seule chose à faire. » La
mère resta immobile un moment, puis se mit à sangloter doucement.
Essuyant ses larmes d'un revers de main, elle dit, la voix
vacillante : « Oui, la seule chose à faire. On a plus
d'autre choix, sinon crever de faim. » « Demain soir, dit
le père. Je leur dirai qu'on ne peut plus les nourrir, c'est la
vérité, et qu'ils faut qu'ils aillent un moment chez un cousin. Je
reviendrai seul, avec l'argent. » La petite Auriculaire, qui
parlait peu mais savait écouter, était immobile dans son coin
sombre, invisible. Plus tard, quand elle entendit le ronflement de
ses parents, elle sortit. Dans la clairière qu’occupait la petite
maison, à l'aide de la lumière de la lune, elle ramassa beaucoup de
petits cailloux blancs, qu'elle nettoya dans une flaque d'eau, pour
qu'ils soient bien brillants. Puis elle retourna se blottir dans sa
couverture, et eut beaucoup de mal à s'endormir.
Le
lendemain, le père rentra à la maison beaucoup plus tôt que
d'habitude. Il dit à ses enfants : « Mes petits, vous
savez que depuis trop longtemps nos assiettes sont presque vides à
chaque repas. Cela ne peut continuer ainsi. Ce soir, je vous amène
chez un cousin. Il s'occupera de vous le temps que notre situation
s'améliore. » Tous furent très tristes, la petite Auriculaire
en particulier, mais pour d'autres raisons que ses frères. La mère
pleura beaucoup, alors son aîné lui dit : « Ne
t'inquiète pas maman, non reviendrons bientôt ! » Elle
pleura encore plus.
Le
père guida ses enfants dans la forêt, dans des endroits qu'ils ne
connaissaient pas. Pendant tout ce temps, la petite Auriculaire
laissa derrière elle une file de petits cailloux blancs, discrets
mais clairement visibles. Le soir était presque venu quand la petite
troupe atteignit une clairière. « C'est ici que l'on doit
retrouver mon cousin », dit le père. En effet, quelqu'un
sortit de forêt tout près d'eux, mais ce n'était pas le cousin du
père, c'était un ogre. Il était gigantesque et contemplait les
enfants avec un grand sourire. Ceux-ci étaient tellement paralysés
par la peur qu'ils ne firent pas un geste pendant que l'ogre les
enfourna un par un dans un sac énorme qu'il passa par dessus son
épaule. L'ogre fit retentir un puissant rire gras, et par un trou
dans la toile du sac, la petite Auriculaire le vit donner à son père
une bourse bien pleine. Sans un regard en arrière, le père s'enfuit
d'un pas pressé. La petite Auriculaire vit aussi le reflet blanc de
ses petits cailloux, désormais inutiles.
L'ogre
marcha longtemps avec son fardeau puis arriva à la maison qu'il
partageait avec ses deux frères. Ensemble, les trois ogres
enfermèrent les enfants dans la cave, non sans en avoir gardé un
pour le dîner. Les survivants se lamentèrent : « Oh non,
les ogres vont manger notre frère ! Et puis ce sera notre
tour ! Ils vont tous nous manger ! Nous allons mourir
dévorés, découpés en morceaux ! » Ils pleurèrent pendant fort
longtemps, puis l’aîné eut une idée : « Auriculaire,
tu vois ce soupirail là-haut ? Tu es si mince et si frêle que
si l'on t'aide à l'atteindre, tu pourras passer entre les
barreaux ! » Et tous reprirent en cœur : « Oui,
cela fonctionnera ! Aide nous, Auriculaire, aide nous ! Tu
dois nous sauver ! Tu dois trouver la clé de la cave et nous
sortir de là ! » Et ce fut fait, la petite Auriculaire
passa entre les barreaux en se tortillant et se retrouva dehors,
seule dans la nuit.
S'approchant
d'une fenêtre, elle vit les trois ogres s’affairer dans la
cuisine. Ils tenaient son frère malchanceux, mais ne l'avaient pas
encore tué. Ils avaient arraché ses vêtements et s'amusaient avec
lui comme un chat avec une souris. La petite Auriculaire détourna
rapidement le regard, mais elle avait eu le temps d'apercevoir la clé
de la cave, accrochée au cou de l'un des ogres. Elle fut envahie par
la terreur. Que pouvait faire une petite fille seule et terrifiée
contre trois ogres ? Il lui semblait absolument impossible de
mettre la main sur cette clé sans se faire attraper. Et que
devait-elle à ses frères ? Depuis toujours ils la traitaient
en paria, ils se moquaient d'elle, l'obligeaient à dormir par terre,
et la frappaient. Et soudain, quand ils avaient besoin d'elle, ils la
suppliaient et l'imploraient ? D'un coup, la petite Auriculaire
se mit à courir dans la forêt. Elle espérait retrouver ses
cailloux blancs, et rentrer à la maison, loin des ogres. Elle
courut, courut et courut encore. Elle ne retrouva pas ses cailloux
et, accablée par la fatigue, elle s'endormit contre un arbre.
Le
froid la réveilla. La petite fille, seule dans la forêt, était
terrifiée. Une partie de la lumière de la lune traversait les
branchages, mais cela ne faisait que donner vie à la végétation.
Chaque buisson agité par le vent et chaque rongeur furtif semblaient
pour la petite Auriculaire révéler la présence d'un loup affamé
ou d'un ogre en furie, avide de retrouver sa proie… Elle avait
entendu dire que les ogres possédaient des pouvoirs magiques leur
permettant d'attraper facilement les enfants insouciants. Soudain,
elle entendit des bruissements qui ne pouvaient être ceux du vent.
C'était certainement une grosse créature. Un ogre ! La petite
Auriculaire se roula en boule contre son arbre, comme elle le faisait
dans son petit coin dans la maison de ses parents, souvenir qui
semblait déjà très ancien. Mais les bruits de mouvement se
rapprochaient, de plus en plus près, jusqu'à s’arrêter juste à
coté d'elle. Une main se posa sur son épaule et une voix douce
dit : « N'aie pas peur, petite fille. » La petite
Auriculaire ouvrit les yeux et distingua une silhouette féminine
accroupie à coté d'elle, un sourire calme sur les lèvres. « Une
fée ! Vous êtes une fée ! » La femme rit.
« Vraiment, quelle imagination ont les enfants ! Mais
dis-moi petite fille, n'as tu pas faim et soif ? »
Maintenant que l'idée lui traversait l'esprit, la petite Auriculaire
sentit sa gorge la brûler. « Oui c'est vrai, j'ai très faim
et très soif ! » Et tout d'un coup, elle sentit quelque
chose de mou lui tomber sur la tête. Une grosse grappe de raisin
bien juteux ! Commençant à les croquer un par un, elle dit à
l'inconnue : « Je savais bien que vous êtes une
fée ! Vous avez fait apparaître des raisins pour moi. C'est
très gentil. Merci ! » « Ces raisins ont du tomber
d'une vigne sauvage, dit la femme en riant. Un fée ! Quelle
drôle d'idée. Mais que fait une petite fille comme toi seule la
forêt ? » La petite Auriculaire lui raconta toutes ses
aventures. Soudain submergée par l'émotion, elle dit en
sanglotant : « Mes parents nous ont vendu à des ogres…
Je voudrais qu'ils meurent pour ce qu'ils ont fait ! »
L'inconnue la prit dans ses bras, et elles restèrent un moment
toutes les deux enlacées, jusqu'à ce que l'enfant épuise ses
larmes. « Viens avec moi, dit la femme, je t'apprendrai à
vivre. » La petite Auriculaire se leva. Le chagrin commençait
doucement à disparaître. « D'accord madame la fée ! »
Plus
personne ne revit jamais la petite Auriculaire, mais nos lecteurs
auront raison s'ils supposent qu'elle ne fut point malheureuse. En
revanche, ses parents connurent un destin différent. Après la
disparition de leurs enfants, des rumeurs commencèrent à circuler
dans le voisinage. On disait que le père n'avait aucun cousin, alors
à qui avait-il confié les petits ? Leur rythme de vie aussi
suscitait de vives discussions. Comment pouvaient-ils tout d'un coup
se permettre d'acheter tant de viande et d'alcool ? Il est vrai
que le père et la mère tentaient de noyer leur culpabilité dans le
vin, mais cela ne leur réussit pas. Un matin, ayant jeté un regard
curieux par une fenêtre de leur petite maison, un passant lâcha un
cri et courut chercher le plus de monde possible. La foule ainsi
rassemblée découvrit dans la maison, au milieu de restes de côtes
de porcs et de bouteilles vides, les corps sans vie du couple. Ils
avaient été égorgés, probablement pendant leur ivresse. Et l'on
eut beau fouiller, on ne retrouva pas une seule pièce dans la
maison. Voilà ce qui arrive quand on vit en mauvais chrétien, dit
la foule, voilà ce qui arrive quand on vend ses enfants au diable.
Chacun se régala du spectacle de la mort puis retourna à ses
occupations et pensa à autre chose. Mais pas le fossoyeur qui, on le
comprend, pesta et jura plus longtemps que les autres.
MORALITÉ
On ne s'afflige point d'avoir beaucoup d'enfants,
Tant que l'on a du pain à se mettre sous la dent.
Il se peut même que par inadvertance,
On pense que l'un d'eux soit sans importance.
Mais quand viennent la disette et la famine,
Et que soudain sont dans l'air crime et rapine,
Il ne faut pas s'attendre à se faire aider
Par celui qui fut longtemps rejeté et maltraité.
mercredi 14 septembre 2016
Les Misérables - Victor Hugo
C'est bien, mais c'est long.
Quand je dis que c'est long, ce n'est pas simplement parce que les deux volumes font environ 1800 pages. Non, c'est parce qu'une bonne partie de ces pages semble superflue. C'est étrange : je crois que je n'ai jamais sauté autant de pages dans un roman, jamais autant lu en diagonale, tout en appréciant énormément le roman en question. Disons que Hugo n'a pas vraiment l'esprit de synthèse. Il développe, il se répète, multiplie les paraphrases et les questions rhétoriques, c'est épuisant. A de nombreuses occasions il sort complétement de son récit pour disserter pendant des dizaines de pages sur Waterloo, les égouts de Paris, un couvent, et autres choses encore. Mais pourquoi fait-il ça au lieu de simplement utiliser ses personnages et leurs pensées ? Pourquoi décrit-il Waterloo en se mettant en scène lui-même en tant qu'auteur, et en énumérant un nombre affolant de détails et de noms d'officiers, alors qu'il a un personnage sous la main et qu'il pourrait nous faire vivre la bataille à travers ses sens ? Pourquoi n'utilise-t-il pas plutôt Cosette, qui vit pendant des années dans le couvent, pour nous faire découvrir les mœurs locales à travers elle, de façon intégrée à la narration globale ?
Bref, Les Misérables m'a semblé plein d'excroissances verbeuses qui viennent gâcher un cœur excellent. Il est clair que Hugo sait créer des situations et des personnages. Jean Valjean, Javert, Marius, Gavroche, Thénardier et bien d'autres sont des caractères en métal, extrêmes, puissants et marquants. Cosette, par contre... Elle est pure, chaste, belle, ignorante et niaise. Il ne faut pas lui dire ce que sont les galères, la pauvre, ça la choquerait. Tiens, petit extrait croustillant : « La poupée est un des plus impérieux besoins et en même temps un des plus charmants instincts de l'enfance féminine. Soigner, vêtir, parer, habiller, déshabiller, rhabiller, enseigner, un peu gronder, bercer, dorloter, endormir, (...) tout l'avenir de la femme est là. » Allez, encore un : « ... un des deux germes qui doivent plus tard emplir toute la vie de la femme, la coquetterie. L'amour est l'autre. » Intéressant aperçu de la vie des jeunes femmes de la bonne société de l'époque. Eponine est un personne féminin plus intéressant. Enfant des rues, elle court en haillons à droite et à gauche, se nourrissant de ses fantaisies plus que de pain.
Le roman culmine dans une longue et géniale scène de barricade révolutionnaire, vouée à l'échec, où les personnages se croisent, souffrent et meurent. Ces pages sont fantastiques et tragiques, Hugo captive. Dans ce genre de moment, Les Misérables est le chef d’œuvre tant vanté. Mais après, au lieu de finir en apothéose, Hugo fait agir ses personnages stupidement. Marius se met soudain à mépriser Jean Valjean, son beau-père, parce qu'il a été au bagne pour avoir volé un pain, alors que lui-même a souvent sacrifié le peu qu'il avait pour donner aux affamés et que, six mois auparavant, il a tué de son plein gré, sans que rien ne l'y oblige, un paquet de soldats et gardes nationaux. Mouais. Et Jean Valjean, au lieu de lui dire "mon p'tit gars je t'ai sauvé la vie alors respect", ne révèle à propos de lui que le négatif (et encore, ce n'est pas grand chose) et omet le positif. Oui, bon, Jean Valjean est une figure christique, ça va, on a compris depuis un moment. Hugo met dieu partout, à toutes les sauces, c'est fatiguant. Il cite Homère, il cite Dante, ça n'en finit pas.
Impression personnelle mitigée, donc, pour la grande œuvre romanesque de Hugo. J'en retiens des personnages admirablement dessinés, quelques scènes d'anthologie, et une grande envie de donner des coups de ciseaux là-dedans.
environ 1800 pages, 1862, Folio
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